Depuis un certain 3 août 2005, Ely Mohamed Vall est l’homme le plus populaire et le plus mystérieux, le plus recherché et le plus introuvable de Mauritanie.
Il était un invité de marque lors du lancement de la Fondation Chirac, début juin. Aux côtés du Sénégalais Abdou Diouf, l’un des tout premiers présidents élus africains à avoir reconnu le verdict des urnes ; de Joachim Chissano, lauréat du prix Mo Ibrahim, et qui s’est retiré du pouvoir comme l’on se retire d’un banquet, décontracté et sans y être forcé. On a aperçu sa fine silhouette récemment aux entretiens de la Méditerranée où il plaidait le rapprochement des deux rives et des peuples. Il, c’est Ely Mohammed Vall, né en 1953 à Nouakchott, parlant la plupart des langues nationales pratiquées des deux Hods au fleuve, le Mauritanien le plus populaire depuis un certain 3 août 2005. Cet éminent membre de la tribu des Oulad Bousbaa, d’antiques commerçants pacifiques au nom guerrier (fils de lion partis de la province marocaine du Haouz pour s’établir aujourd’hui dans le Tagant, l’Adrar et dans la ville sénégalaise de Louga, a été, vingt ans durant, le chef du service des renseignements de son pays. A leur actif, une ribambelle de putschs déjoués, des complots étouffés dans l’œuf et un encadrement policier efficace qui a expliqué l’exceptionnelle longévité de Maouiya Ould sidi Ahmed Taya au pouvoir.
Presque mystique
A la différence du Premier ministre malien actuel, un policier dur à cuir que tout Bamako connaissait en son temps, Ely, un homme de l’ombre, imprévisible et presque « mystique », dit de lui un officier de l’armée à la retraite, a toujours cultivé la réserve. Sobre dans son genre de vie, presque muet sur tout sujet délicat, à la recherche du consensus. Peu conflictuel dans ses rapports, séducteur avec les médias, il incarne le parfait homme de pouvoir.
Après avoir quitté le pouvoir, l’ancien président demeure l’homme le plus recherché, mais aussi le plus introuvable à Nouakchott. Ses moindres déplacements à l’étranger son disséqués et analysés par la presse qui le soupçonne de créer une vaste coalition pour 2012.
Durant les deux années de transition où il était au pouvoir, ce voile de mystère, entretenu aussi en partie par l’imaginaire fertile du Mauritanien, poète par vocation, ne s’est jamais dissipé. Aucune des prévisions faites à son encontre ne s’est réalisée. L’on s’attendait à un réglement de compte dans le microcosme politique et économique. Il n’en sera rien. Par la suite, l’opposition s’était dite persuadée que le régime Vall basculerait dans un scénario à la Robert Guei. Là aussi, il n’en sera rien. Le colonel a non seulement organisé les premières élections démocratiques du pays, mais il a également cédé le pouvoir à un civil élu. Ses détracteurs, qui rappellent sa frilosité dans le dossier des Mauritaniens réfugiés au Sénégal et au Mali, s’attendent à un retour tonitruant aux élections de 2012. La thèse d’un retour d’Ely Ould Mohammed Vall II est-elle plausible ? Le tout Nouakchott se passionne sur la question en plaçant sur un échiquier les liens de parenté supposés ou réels des membres du comité militaire auteur du putsch en 2005 avec l’actuelle équipe au pouvoir.
Si retour il y a, il sera très compliqué, l’ancien président devant se faire adouber par le nouveau parti au pouvoir, constitué sur les cendres du puissantissime PRDS de Ould Taya et dans l’enthousiasme des soutiens présidentiels disparates. Cette option retour supposerait presque un renoncement du président Ely à un destin africain ou arabe. Ne le voit-on pas comme le successeur potentiel de l’Egyptien Amr Moussa, pour asseoir cette politique du dialogue méditerranéen duquel il est un ardent défenseur ? De l’autre côté, n’est-il pas de par son expérience un émissaire naturel de l’Union africaine au Tchad, en Centrafrique, au Rwanda ? A moins qu’il ne se livre à sa passion favorite, la lecture, quelque part dans le désert au milieu des chameaux, comme il l’avait confié à la presse durant la transition.
Un possible retour au pouvoir ou un destin régional
Mais, c’est connu, le pouvoir donne de l’appétit. Après tout, Amadou Toumani Toumaré, premier militaire à montrer la voie à Ely, a fini par revenir au pouvoir. D’autres Mauritaniens se passionnent pour la fortune de Ely Ould Mohammed Vall sans que rien d’officiel n’y filtre. Une troisième frange salue sa détermination féroce dans l’affaire Woodside, un groupe australien présent dans le pétrole mauritanien et qui aurait acquis des contrats d’exploitation pétrolière dans des conditions jugées peu claires. La pugnacité du colonel Vall infléchira la position de l’Australien qui acceptera un nouveau contrat de partage de production sur le champ de Chinguetti. Mieux, Woodside aurait accordé à la Mauritanie un montant de 100 millions de dollars avant de solder ses actifs et, depuis, de revoir les réserves pétrolières à la baisse. La justice australienne vient de son côté de « blanchir » Woodside, n’ayant pas découvert de preuves palpables quant au paiement de pots de vin. Bref, la politique mauritanienne du pétrole serait sortie renforcée de ce long bras de fer. Pour le lauréat de l’académie militaire de Meknès, ce coup de poker remporté renforce la thèse d’un fin stratège, qui sait patiemment attendre son tour. Il aura attendu 18 ans, de 1987 à 2005, avant de s’emparer du Palais le plus convoité en Mauritanie.
Sobre dans son genre de vie, presque muet sur tout sujet délicat, à la recherche du consensus. Peu conflictuel dans ses rapports, séducteur avec les médias, il incarne le parfait homme de pouvoir.
L’homme le plus recherché
De ses deux ans à la tête du pays, l’on retiendra d’abord les réformes politiques. Désormais, le président ne pourra plus cumuler deux mandats. Exit la présidence à vie. La presse se dote d’un observatoire et d’une haute autorité. Sur le plan économique, Ely, qui a mobilisé des cadres de la diaspora et ceux de l’intérieur, a commencé une œuvre encore inachevée de réformes économiques. Une œuvre de longue haleine qui n’a pas encore abouti, l’économie mauritanienne étant encore fortement basée sur la rente et non sur la production compétitive. Exemple, la découverte du pétrole a spontanément provoqué une ruée vers les parcelles des terrains, devenues aujourd’hui inaccessibles pour le Mauritanien moyen. Jamais la location de villas aux expatriés n’a été aussi florissante. Il en est de même dans le secteur de la pêche, où l’investisseur mauritanien, peu enclin à engager ses fonds dans la transformation du poisson, adore jouer au rentier en louant la licence à des Russes ou à des Espagnols. Bref, on ne change pas les mentalités du jour au lendemain. Le président Ely Mohamed Vall a donné un premier coup de pioche dans un édifice économique encore intact et qui constitue le vrai pouvoir en Mauritanie, où l’homme de la rue à tendance à dire que « ce sont les commerçants qui tiennent le pays ». Après avoir quitté le pouvoir, l’ancien président demeure l’homme le plus recherché, mais aussi le plus introuvable à Nouakchott. Ses moindres déplacements à l’étranger son disséqués et analysés par la presse qui le soupçonne de créer une vaste coalition pour 2012. Reste que jusque-là, l’homme garde un silence complet sur la question, laissant ses partisans et détracteurs s’entre-déchirer à coup de postings dans les sites d’information dédiés à la Mauritanie. Dernier à rejoindre le train en marche, l’écrivain Gaston Kelman, auteur du très controversé Je suis noir et je n’aime pas le manioc, et qui a consacré un essai inédit sur le devenir des nations africaines en élevant l’ancien président mauritanien au rang de ces hommes providentiels qui manquent tant à l’Afrique.
avec lesafriques