La Zone de libre-échange continentale (ZLEC) africaine est au cœur des 25ème Assemblées générales annuelles d’Afreximbank qui se tiennent actuellement à Abuja. Qu’il s’agisse de finance, d’infrastructures ou d’industrialisation, les discussions reviennent encore et toujours sur la ZLEC et le cas du Nigeria -pays hôte de cette grande messe du commerce africain et qui n’a toujours pas rejoint l’accord- intrigue. Mais face aux interrogations, le Nigeria avance les siennes. Les détails.
A Abuja, hommes et femmes d’affaires, décideurs et experts veulent entendre de vive voix, et surtout comprendre, ce qui empêche le Nigeria, depuis plusieurs mois, d’adhérer définitivement à l’accord de Zone de libre-échange continentale (ZLEC) signé par 44 pays le 21 mars dernier à Kigali, après deux ans de négociations, et auquel ont adhéré cinq autres pays lors du 31ème sommet de l’Union africaine qui s’est tenu début juillet à Nouakchott : la Sierra Leone, la Namibie, le Lesotho, le Burundi et l’Afrique du Sud.
Pas plus tard que la semaine dernière, Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) -lors d’un symposium organisé en l’honneur de l’un de ses prédécesseurs le Nigerian Adebeyo Adedeji- exhortait encore le Nigeria à presser le pas pour qu’ensemble, tous les gouvernements constituent enfin cet « héritage pour l’Afrique »qu’est la ZLEC, lequel, rappelons-le, devrait faire passer le commerce intra-africain de 19% à 52,3% des échanges du continent.
Pourquoi donc le Nigeria -premier producteur de pétrole en Afrique, fournisseur de plusieurs pays en matières premières et en produits manufacturés à travers le continent- reste-t-il encore de marbre face à la ZLEC, projet phare de l’Union Africaine (UA) pour l’intégration régionale ? Représentant le président Muhammadu Buhari à l’ouverture des assemblées générales annuelles d’Afreximbank, la ministre des Finances, Kemi Adeosun, explique que le président veut faire d’une éventuelle adhésion du Nigéria à la ZLEC, le fruit d’une décision collective.
« Nous avons mené de nombreuses consultations dans le pays avec des groupes de fabricants et d’autres parties prenantes. Les gens posent des questions légitimes sur la façon dont la ZLEC pourraient les affecter. […] Il est extrêmement important que le Nigeria prenne son temps pour faire cela, car nous ne devons jamais être pressés pour ne pas nous tromper. Nous devons faire les choses correctement et c’est pourquoi nous devons suivre tous les processus raisonnables, afin que nous puissions dire que nous avons fait tout ce que nous sommes censés faire», a-t-elle déclaré à l’ouverture de la conférence, soulignant qu’une fois ces consultations terminées et les réponses aux interrogations trouvées, alors le Nigeria pourra signer.
Dumping, la grande crainte
Plus tard, abordant la question cruciale du protectionnisme et comment cela peut freiner le bon développement de la ZLEC, la question a été directement posée à la représentante de l’Ambassadeur Chiedu Osakwe, Négociateur commercial en chef pour le Nigeria et directeur général de la Nigarian Office for Trade Negociations. « Il ne s’agit pas pour nous de nous mettre en porte-à-faux de l’accord. Il faut savoir qu’avec les consultations lancées, aucun acteur [économique, ndlr] ne nous a dit être opposé à la ZLEC. Il n’y a donc d’opposition idéologique à cet accord », a expliqué Demitta Gyang.
Selon elle, les hommes d’affaires nigérians -surtout ceux opérant à une plus petite échelle continentale- s’interrogent sur l’incidence qu’aurait un marché libre-échangiste sur leur compétitivité. « Les acteurs sont préoccupés par le fait que le Nigeria devienne une victime du dumping », a-t-elle confié, soulignant que le Nigéria est conscient des clauses anti-dumping introduites dans l’accord, mais qu’il est important de les étudier pour s’assurer que celles-ci protègent aux mieux les opérateurs nigérians.
« Il ne s’agit pas pour nous d’avoir un niveau de protectionnisme, mais de protéger les secteurs qui doivent être protégés », a déclaré la représentante du Négociateur en chef du Nigeria.
Quels sont donc ces secteurs à protéger ? Olukayode A. Pitan, CEO de la Banque de l’Industrie de la République fédérale du Nigeria fait un zoom sur le secteur industriel, plus précisément la manufacture. « Prenons le cas du textile. Les Nigérians y sont actifs depuis plus de 59 ans, mais aujourd’hui, ce secteur est mort. Pourquoi ? Parce que des articles viennent de partout dans le monde et tuent notre économie », explique-t-il avant d’ajouter, « tant que nous n’aurons pas une réglementation commune [à travers le Continent, ndlr], ce sera difficile ».
« Je crois au libre-échange, mais pour ce qui est des réglementations, droits douaniers et autres, il faut que tout le monde soit prêt en même temps. »
Ramaphosa en émissaire ?
Le temps, c’est d’ailleurs ce sur quoi s’est articulée l’intervention du président Cyril Ramaphosa lorsqu’il abordait la « nécessaire » signature du Nigeria dans la ZLEC. Il a rappelé l’importance de cet accord pour l’agenda 2063 de l’UA, estimant que ce dernier stimulera les investissements et le commerce intra-africains.
Accordant au Nigeria de prendre du temps afin d’avoir suffisamment d’assurances avant de franchir le pas de la signature, Ramaphosa exhorte tout de même :
« Il faut y aller doucement, mais attention à ne pas prendre trop de temps non plus. […] Nous devons être animés d’un esprit d’urgence !»
Juste après son allocution, le président sud-africain a rencontré son homologue nigérian à la State House d’Abuja, l’exhortant à nouveau à rejoindre la ZLEC. Lors d’une conférence de presse à l’issue de cette rencontre, le président Buhari s’est voulu rassurant, promettant une signature imminente du Nigeria.
Les assurances de Buhari
« Je l’ai [l’accord, ndlr] gardé sur ma table. Je vais bientôt le signer », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « en essayant de garantir l’emploi, les biens et les services dans notre pays, nous devons faire attention aux accords qui rivaliseront, peut-être avec succès, avec nos industries à venir ».
Après sa sortie de récession en 2017 où sa croissance s’est établie à 0,8%, le Nigeria est optimiste pour l’avenir. Même si 2018 a commencé sur un ton négatif avec un ralentissement de la croissance (1,95%) par rapport au dernier trimestre 2017 (2,11%), Abuja table sur une performance 2019 « plus robuste » , pour emprunter les mots de la ministre dans une récente déclaration sur l’économie de son pays.
Aujourd’hui, l’un des principaux défis du Nigeria est de se délivrer de la dépendance au pétrole. Au moment où sa stratégie de diversification tarde à prendre réellement forme, Abuja semble vouloir limiter au maximum les situations d’inconfort. Une commission gouvernementale est chargée d’étudier point par point l’accord de Zone de libre-échange afin de déterminer les forces et les faiblesses qu’impliquerait ce dernier pour le commerce nigérian.
La parole des officiels et du président de la République sur une éminente signature de la ZLEC étant désormais entendue, reste à savoir ce que signifie « bientôt ». Dans tous les cas, les projecteurs restent braqués sur Abuja.
Avec latribuneafrique