Dans un rapport qu’elle vient de publier sur les perspectives économiques en Côte d’Ivoire, la Banque mondiale s’est alarmée des effets du changement climatique sur la croissance malgré la fait que cette dernière reste robuste. Des menaces que le gouvernement prend à bras le corps d’autant que cette année, le pays a particulièrement été frappé de plein fouet par les répercussions du dérèglement climatique qui risque d’hypothéquer les chances du pays d’accéder à l’émergence.
«Pour que demain ne meure jamais : la Côte d’Ivoire face au changement climatique», c’est sous titre que la Banque mondiale, qui se met un peu à l’humour à l’ivoirienne, a évalué les nouvelles perspectives de la croissance du pays d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Dans le dernier rapport sur la situation économique de la Côte d’Ivoire publié en fin de semaine dernière, l’institution financière internationale estime que les perspectives à court et moyen termes sont favorables avec une bonne trajectoire de croissance du PIB, de l’ordre de 7 à 7,5 % au cours des prochaines années. Toutefois, le rapport a particulièrement mis en exergue, «l’urgence d’accélérer ces efforts et de prendre des mesures supplémentaires pour éviter que les effets du changement climatique ne mettent en péril ces progrès économiques et ne fassent basculer des millions d’Ivoiriens dans la pauvreté».
Comme l’a résumé Jacques Morisset, chef de programme pour la Côte d’Ivoire et principal rédacteur du rapport, «le gouvernement a également réussi à maîtriser ses comptes, avec un déficit moins élevé que prévu de 4,2 % du PIB, tout en continuant sa politique ambitieuse d’investissement, en partie financée par une politique d’endettement judicieuse sur les marchés financiers». De bonnes performances donc comme c’est le cas en 2017 année au sortir de laquelle, l’économie ivoirienne a affiché un taux de croissance de 8 %, qui est essentiellement due au secteur agricole qui a bénéficié de conditions climatiques avantageuses, en plus d’avoir bénéficié d’une «certaine accalmie après l’instabilité politique et sociale du premier semestre 2017 et de conditions plus favorables sur les marchés internationaux ».
Le rapport a aussi relevé quelques facteurs d’incertitude notamment le climat social et politique à l’aube des élections de 2020, lesquels «risquent d’inciter les investisseurs à adopter un comportement plus attentiste». Cependant, ce rapport d’évaluation des perspectives, le 7e du genre, a particulièrement mis l’accent sur les vulnérabilités qui guettent l’économie ivoirienne.
Sonnette d’alarme
A vrai dire, c’est une véritable sonnette d’alarme que la Banque mondiale a tiré dans son document. Comme la croissance économique de la Côte d’Ivoire repose en partie sur l’utilisation de son stock de ressources naturelles, les auteurs du rapport se sont particulièrement intéressés à l’impact du changement climatique sur l’économie. Le constat à ce niveau est des plus alarmants puisque selon le document, ce stock de ressources aurait diminué de 26 % entre 1990 et 2014. Selon la Banque, plusieurs phénomènes visibles confirment cette dégradation notamment la déforestation, l’épuisement des réserves d’eau et l’érosion côtière. S’appuyant sur les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), selon lesquelles le changement climatique pourrait induire une baisse du PIB de l’ensemble de l’Afrique de l’ordre de 2 à 4 % d’ici 2040 et entre 10 à 25 % d’ici 2100, les auteurs estiment que pour la Côte d’Ivoire, cela correspondrait à une perte de l’ordre de 380 à 770 milliards de francs CFA en 2040.
«Ce rapport lance un cri d’alarme afin de susciter une prise de conscience rapide et collective. La lutte contre le changement climatique va requérir des décisions immédiates et doit devenir une priorité pour que le pays maintienne un rythme de croissance accéléré et soutenable dans la durée», a souligné Pierre Laporte, directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire.
Le rapport a d’ailleurs accordé une attention particulière à l’érosion côtière et au secteur du cacao qui représente un tiers des exportations du pays et touche directement plus de 5 millions de personnes. «Avec un littoral de 566 km, la Côte d’Ivoire compte aujourd’hui une population côtière de près de 7,5 millions d’habitants, qui produit près de 80 % du PIB national», rapporte le document selon lequel, deux tiers de ce littoral est affecté par l’érosion côtière, avec des conséquences dramatiques pour les communautés et l’économie du pays.
Défis et enjeux d’une économie verte
Fort heureusement, souligne la Banque mondiale, «l’État ivoirien, a déjà pris conscience de ce défi et élaboré une stratégie pour y faire face». Il s’agit maintenant d’accélérer sa mise en œuvre, ce qui permettra par la même occasion de développer une économie verte et de créer de nouveaux emplois.
Il faut dire que sur ce sujet, le gouvernement ivoirien a pris la mesure des menaces bien avant le constat alarmant de la Banque mondiale. Les dernières semaines ont d’ailleurs été l’occasion pour le pays d’avoir une illustration grandeur nature des effets du changement climatique sur les perspectives de croissance et surtout le vécu des populations urbaines comme rurales. Le pays a en effet fait face, rien qu’au mois de juillet, à une vague de pluies diluviennes qui ont causé d’importantes inondations et ont engendré plus d’une trentaine de morts à Abidjan, la capitale économique, ainsi que dans plusieurs villes du pays, sans compter les importants dégâts matériels. C’est d’ailleurs pour cette raison, que l’une des priorités du nouveau gouvernement d’Amadou Gon Coulibaly, aussitôt installé il y a moins d’une semaine, a été d’annoncer des mesures destinées à atténuer les effets du changement climatique et donc à prendre en compte les nouveaux défis qui se posent à l’économie ivoirienne.
«Comme la majorité des pays africains, la Côte d’Ivoire est une victime plutôt qu’une cause du changement climatique de la planète. Son économie est aussi l’une des plus vulnérables -146e sur 166 pays- à cause de sa position géographique et de sa dépendance à l’agriculture. Une politique d’adaptation va imposer des choix, sans nul doute coûteux à court terme, mais dont les bénéfices seront indéniables à plus long terme. Elle ouvre aussi la voie à une autre économie, celle qui est communément appelée «verte» où des investissements judicieux dans les énergies renouvelables, les infrastructures résilientes et une nouvelle agriculture peuvent créer de nombreuses opportunités et des postes de travail. Il ne tient qu’à la Côte d’Ivoire de s’y préparer et de devenir l’un des pionniers dans ce domaine sur le continent africain», a commenté à ce sujet, Jacques Morisset, chef de programme la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire.
Alors que la Cote d’ivoire, forte de son potentiel et de ses perspectives, aspire à l’émergence économique d’ici 2020, les autorités doivent donc tenir compte des nouveaux défis qui se posent sur le chemin et qui fort heureusement, recèle aussi d’opportunités pour que «le nouveau miracle ivoirien» ne soit pas de nouveau pris en otage.
Avec latribune