Tiguidanke Mounir Camara, ancienne mannequin, est la présidente et fondatrice de Tigui Mining Group (TMG). Elle est l’une des rares femmes du continent détentrice d’une licence et propriétaire d’une compagnie minière. Créée en 2009, la compagnie minière junior, aux chiffres d’affaires estimés à plus de 40 millions de dollars, présente en Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire a dans son tiroir une multitude de projets visant plusieurs pays d’Afrique et secteurs miniers. La présidente de TMG qui a également investi dans l’agriculture, se veut une entrepreneure sociale. Dans cet entretien avec La Tribune Afrique, Tiguidanke Camara a détaillé les activés du groupe, les projets en cours et futurs, les défis déjà surmontés ou à relever, sa conception de la responsabilité sociale de l’entreprise et les innovations instituées par TMG pour faire face aux problèmes de développement durable et de la prise en charge des demandes sociales liées à l’exploitation minière.
Quelles sont les principales activités menées au sein de Tigui Mining Group (TMG) ?
Tiguidanke Mounir Camara : Tigui Mining Group est un holding articulé autour de 8 centres d’activités, à savoir les mines, l’agriculture, l’immobilier et les infrastructures, l’aviation, la pêche, l’énergie et le commerce. Sur ces 8 secteurs d’activités, nous avons entamé le développement des mines et l’agriculture.
Où en est actuellement Tigui Mining dans ses projets miniers ?
Pour ce qui est des mines, nous avons depuis 2009 des licences en Guinée, nous avons 5 unités semi-industrielles au nord à Siguiri sur une superficie de 76 km² et nous avons obtenu 3 permis de recherches à Kérouané Macenta pour l’exploitation du diamant sur une superficie de 280 km². Nous venons juste de finir une série de prospections en Côte d’Ivoire où nous avons commencé à appliquer pour deux licences d’or. En Côte d’Ivoire, nous avons entamé depuis l’année passée notre programme agricole à Dabou sur une superficie de 52 hectares et cette année nous sommes entrain d’acquérir 10 hectares supplémentaires à Bouaflé.
Vos activités se limitent-elles uniquement à la Guinée et à la Côte d’Ivoire ?
Pour l’instant oui. Mais nous visons toute l’Afrique de l’Ouest dans un moyen terme.
Dans ces pays, vous investissez uniquement dans le diamant et l’or ?
En effet. Quand il s’agit des mines, notre spécialité ce sont les diamants et l’or, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas acquérir des licences dans d’autres secteurs comme la bauxite ou le fer. Nous envisageons d’investir effectivement dans le fer et la bauxite. Nous en sommes à la phase de repérage pour certaines zones, pour d’autres comme en Côte d’Ivoire, nous en sommes à la phase d’acquisition des licences.
A combien ont été évalué vos actifs dans le secteur minier ?
Dans le secteur minier, mes licences sont évaluées à plus de 40 millions de dollars. Nous avons investi nos fonds propres à hauteur de 15 millions de dollars et nous venons juste de signer un partenariat. Nous venons de passer de la phase d’exploration à celle d’exploitation, à la fois pour nos activités minières et agricoles, il y a juste deux semaines.
Avec qui ?
Nos partenaires souhaitent rester discrets pour l’instant. Je ne peux communiquer que sur le volet évoqué.
Aujourd’hui, le secteur minier doit relever de nombreux défis liés au respect de l’environnement, aux conditions de travail, à ses rapports avec les autorités locales. Vous, en tant qu’africaine et dirigeante de Tigui Mining Group qu’est-ce que vous avez prévu de nouveau, d’innovant sur ces questions ?
Je me définis comme une entrepreneure sociale. Tout en faisant de l’économie, nous voulons voir notre impact sur la communauté autour de laquelle nous faisons nos activités. Nous créons des coopératives. Sur le plan de l’agriculture, nous donnons des formations. Je viens de mettre en place TMG fondation, elle s’occupe de l’aspect social de l’entreprise, de la RSE. Dans le domaine agricole, nous proposons des formations aux villageois, en mettant l’accent sur les femmes et les jeunes, dans ce que l’on appelle la sécurité alimentaire. Nous sommes conscientes que la population africaine va considérablement augmenter d’ici 2030, il y aura un besoin important dans le domaine agricole.
Il faut commencer par cultiver des produits de bases que nous consommons, à la base de notre alimentation, valoriser la consommation locale. Ce qui rendra le coût des produits alimentaires moins onéreux et favorisera l’autosuffisance, la sécurité alimentaire. Nous sensibilisons également les agriculteurs sur la nécessité d’avoir les bonnes pratiques en matière d’hygiène alimentaire, sur la valeur des produits bio ou naturels. La sensibilisation porte aussi sur les questions environnementales. Nous mettons également l’accent sur l’entrepreneuriat local. Nous sommes en partenariat avec les villageois. Leur contribution c’est la terre et nous venons avec les technologies pour les aider dans la gestion, la production, la valorisation, la commercialisation de leurs produits.
Le secteur minier est très pollueur et est décrié pour ses pratiques peu orthodoxes. Avez-vous pensé à une stratégie, à une façon de faire différente pour instaurer de meilleures pratiques au sein de Tigui Mining Group ?
D’abord c’est un travail collectif de toutes les entreprises minières. Mais dans mon cas, j’ai été exposée aux mines de deux manières. A l’âge de 22 ans, mon père m’a donné un lopin de terre où ma mère gérait à mon compte quelques activités liés aux mines. Moi, j’étais aux USA où je travaillais comme mannequin et représentante beaucoup de maisons de joaillerie. Ce qui m’a amené à poser pas mal de questions sur l’origine des bijoux, les pratiques, l’impact que l’exploitation minière peut avoir sur les communautés locales. Les réponses obtenues m’ont poussé à m’investir dans ce secteur.
En tant qu’Africaine ayant les moyens de prendre des licences, pour investir dans nos ressources, je me suis dite que si eux peuvent le faire, pourquoi pas nous ? De là, j’ai commencé mes activités, mais je ne voyais pas non plus les femmes y investir. Une fois dedans, j’ai découvert que le problème n’est pas dû au manque de contribution des sociétés minières, mais qu’il est davantage lié à la mal gouvernance locale, à la corruption faisant que les richesses ne parviennent pas jusqu’aux communautés locales concernées.
Alors dans ce cas qu’est-ce que vous avez fait ?
J’ai décidé que je ne serais pas une entrepreneure qui reste au bureau uniquement. Je m’implique personnellement, je vais sur le terrain, je ne me contente pas d’éplucher les chiffres, les données fournies. Je suis en contact direct avec les communautés dans les régions minières où nous opérons, habitées principalement par des éleveurs, des cultivateurs. Ce que j’ai constaté, c’est qu’à chaque fois qu’il y a une société minière dans une localité, tout le monde veut devenir minier.
Ce que nous faisons, c’est embaucher et former ceux qui évoluent déjà dans les mines et le reste nous les soutenons, à maintenir dans leurs activités agricoles ou pastorales, en leur aidant à créer de la plus-value. Pour un meilleur respect de l’environnement, nous avons souvent recours à la technologie. Nous travaillons avec une entreprise russe qui, grâce à des satellites, peut en 50 jours effectuer des explorations sans un fort impact sur l’environnement. Ensuite, nous avons mis en place des programmes de réhabilitation des zones explorées, nous avons contacté des entreprises françaises pour cela. Aussi, nous voulons organiser le secteur artisanal lié à l’activité minière.
Exactement. Sur ce point, je voulais vous demander qu’est-ce que Tigui Mining Group a prévu pour aider l’artisanat local, comme la bijouterie ?
Chaque entreprise a sa spécialité. Je fais de l’or, je voudrais me concentrer dans la première phase. Les entreprises qui veulent acheter nos produits afin d’avoir de la matière pour leur bijouterie et autres sont les bienvenues. Nous ne faisons pas de l’artisanat, il est toutefois possible d’aider le secteur, en achetant leurs produits, en les poussant à sortir de l’informel, à se former, à avoir une traçabilité de l’origine des produits. Ce qui devrait aider à la création d’une économie garantie et à la sensibilisation aux méthodes de sécurité, et au recours au travail des enfants dans les mines. Cela a nécessité l’élaboration des programmes d’éducation. C’est un travail progressif que nous allons améliorer, peaufiner sur le long terme.
A côté de l’exploitation minière, pouvez-vous donner plus de détails sur les autres activités de Tigui Mining Group citées plus haut ?
En dehors des mines, nous avons investi dans l’agriculture. La Côte d’Ivoire a été notre point de départ. Nous faisons de l’agriculture vivrière. Le projet s’étend sur 52 hectares. Nous avons voulu effectuer des tests sur 5 hectares, afin d’avoir une meilleure idée des cultures les plus adaptées et ayant le plus de débouchés. L’objectif est de mettre en valeur les 52 hectares, mais aussi de mettre en place une usine de transformation. Il s’agit de contribuer à sortir le continent de sa situation de consommateur et d’en faire une région transformatrice. Sur place, nous allons non seulement produire mais également mettre en place de petites usines de transformation locales et exporter. Sur ce projet, nous avons également noué un partenariat qui est le même que celui évoqué un peu plus tôt. Je ne peux pas trop développer ce volet. Mais, c’est un partenaire africain connu et reconnu sur le plan international. C’est un des leaders du secteur agricole, avec une société d’investissement qui investit dans beaucoup de domaines.
Vous avez évoqué plutôt la pêche. Comment comptez-vous vous positionner sur ce secteur ?
Nos pays ont d’énormes potentialités en matière de pêche, un secteur où les entreprises chinoises ont le monopole. Il est temps de pousser l’entrepreneuriat local dans ce secteur, en travaillant avec les acteurs locaux. Nos pêcheurs ont besoin d’installations frigorifiques pour conserver et commercialiser leurs produits nous les aidons à acquérir le matériel. Nous allons de ce fait travailler et investir dans la conservation, la transformation, la commercialisation et l’exportation des produits halieutiques, en travaillant en collaborations avec les pêcheurs locaux. Ensuite, nous avons prévu dans les prochaines années d’acquérir des licences de pêches en collaboration avec des partenaires qui ont de l’expertise dans ce domaine.
Quels sont les secteurs où investir en Afrique selon vous ?
Déjà, je pense que l’Afrique a des demandes criardes en matière de production agricole. Je dirais d’investir dans l’agriculture, les mines, le secteur de l’énergie et des infrastructures. Nos gouvernements n’ont pas assez de fonds pour financer tous les projets. Il faut donc pousser le secteur privé et à travers celui-ci, développer l’énergie, les transports, l’agro-industrie… Pour ce qui est des mines, nos pays sont très riches de ces matières. Il nous faut juste des entreprises respectueuses des réglementions et une bonne gouvernance.
Tigui Mining Group va bientôt fêter une décennie de présence sur le sol africain. Quels sont les défis majeurs que vous avez dû relever ?
Pour ce qui est du challenge, il a d’abord été personnel. En tant qu’entrepreneure venue de la diaspora, on a tendance à être déconnectée de la réalité locale ou d’avoir peur d’investir dans nos pays, vue les images qui nous parviennent des médias, alors que tout est différent sur le terrain. Il faut venir, s’imprégner des réalités et lois locales, puis investir. Aussi, le passage du système américain anglophone à celui francophone a été difficile. Mais en tant que femme dans un domaine très masculin, j’ai toujours été soutenue et accompagnée. Par contre, j’ai eu énormément de difficultés à lever des fonds et j’ai été contrainte de démarrer avec des fonds propres, sachant je me suis investie dans un secteur très fermé. De même, j’ai du surmonter ma méconnaissance de l’industrie minière, pour laquelle je me suis formée et investie sur le terrain afin d’apprendre et d’en connaitre toutes les phases.
Que pensez-vous du concept de l’entrepreneuriat social ?
L’entrepreneuriat, c’est faire du profit. Mais je veux ne pas me limiter au profit. Je veux voir mon impact sur la communauté autour de laquelle j’évolue. L’entrepreneuriat est largement tributaire de la vision des fondateurs de l’entreprise. Moi, comme j’ai pour objectif d’aider la communauté, mon entreprise a fait un large focus sur la RSE. Toutefois, faire de l’entrepreneuriat social est un choix très personnel, on ne peut pas l’imposer à qui que ce soit. Les gouvernements ont déjà mis en place des règles qui obligent les entreprises à élaborer des programmes pour les communautés. Nous entrepreneurs sociaux, devront ainsi veiller à ne pas se substituer aux gouvernements, à l’Etat. Les communautés assimilent rapidement les entreprises au gouvernement. Nous devons trouver le juste équilibre pour agir, impacter positivement les communautés locales sans se substituer à l’Etat.
Avec tribuneafrique