Chercheur à l’institut suisse Religioscope, le Valaisan Olivier Moos vient de publier ‘Le djihad s’habille en Prada’, analyse des outils de séduction en ligne de l’Etat islamique.
Chercheur à l’institut suisse Religioscope, le Valaisan Olivier Moos vient de publier ‘Le djihad s’habille en Prada’, analyse des outils de séduction en ligne relativement sophistiqués de l’Etat islamique envers ses recrues européennes.
Selon vous, l’Etat islamique a une stratégie marketing au même titre qu’une entreprise ?
Olivier Moos: Si on considère le marketing comme un outil et une stratégie de diffusion pour populariser un récit, oui, l’Etat islamique fonctionne comme une entreprise du jihad et ses produits de propagande sont de qualité professionnelle. C’est une vraie rupture avec ce qui existait auparavant parmi les groupes salafistes- djihadistes, même si al Qaïda avait déjà développé cette approche dans son magazine Inspire. L’EI totalise une quarantaine d’unités de production et diffuse ses messages en neuf langues en plus de l’arabe: français, anglais ouïgour, bengali, bosniaque, turc, russe, allemand, italien. Son magazine Dabiq est de très bonne qualité, d’un point de vue du format, de la mise en page. Et ses productions audiovisuelles s’alignent sur les standards occidentaux en termes de forme: montage, choix des angles, positions des caméras, etc. On est loin d’un bricolage d’amateurs.
Qui est à l’origine de ces contenus?
Il semble qu’une partie substantielle des acteurs qui font cette production appartiennent aux émigrés européens qui ont rejoint le mouvement, ils maîtrisent les réseaux sociaux, le langage visuel moderne et disposent d’une certaine liberté de création. Cela ne tient pas compte des ‘évangélisateurs’ et diffuseurs plus ou moins affiliés au mouvement à travers le monde. Entre septembre et novembre 2014, la production de l’EI pouvait compter sur plus de 46 000 comptes Twitter pour la diffuser.
D’après votre ouvrage, l’EI est allé jusqu’à développer sa propre image de marque?
Oui, l’EI a développé son propre branding, une identité de marque immédiatement reconnaissable et ouverte à tous. L’EI, c’est un peu le McDonald du jihadisme. La nature des productions de l’EI joue sur la violence, sur le romantisme du combat pour une cause, et le tout emballé dans une forme d’esthétique lyrique. Son image de marque s’appuie sur une esthétique globalisée, que l’on retrouve dans les jeux vidéos ou les films : Matrix, V comme Vendetta, Call of duty, Grand Theft Auto…Une récente étude a montré que 15% de la production de l’EI est directement tirée de ces blockbusters et jeux vidéos. Le maître propagandiste d’al-Qaïda d’éducation américaine, Anwar al-Awlaki l’avait déjà compris: il faut séduire les jeunes et le faire par le lyrisme et l’image.
C’est ce que vous appelez ‘l’esthétique ghetto’ ?
En partie, dans le sens où le style «ghetto» compte parmi les ressources culturelles et symboliques spontanément accessibles à des jeunes souvent – mais pas seulement – issus des marges sociales et urbaines des grandes villes européennes. L’esthétique de l’EI est proche d’une sous-culture du divertissement de masse, avec l’omniprésence de l’héroïsme kitsch, du narcissisme, du gangster avec une cause, etc. Tout ce bric-à-brac se mélange avec des slogans religieux et politiques, bien sûr, mais il existe de nombreux ponts entre sous-culture «ghetto», divertissement de masse et l’esthétique de ce nouveau jihadisme.
Quel effet a eu cette production sur le recrutement ?
Comme le marketing la propagande opère un travail de séduction. C’est plus une expérience identitaire qui est proposée qu’une doctrine idéologique: le message vendu c’est qu’appartenir à l’EI va permettre de donner un sens à une vie en dérive ou trop ordinaire. Cependant, aujourd’hui, pour plusieurs raisons, le ralliement à l’EI connaît un essoufflement. La grande vague d’émigration vers le califat s’est tarie.
Cette production n’est-elle pas plus sévèrement combattue sur Internet?
On note en effet que la production globale de l’EI a baissé depuis un certain temps: les campagnes militaires ont ciblé leur capacité de communication, une prise de conscience du problème a permis un meilleur contrôle sur les réseaux sociaux, la clôture des comptes se fait beaucoup plus vite. Facebook et Twitter ont notamment investi des ressources en la matière. Aujourd’hui la durée de vie d’une publication propagandiste sur les réseaux peut, selon la plateforme, être aussi courte que trente minutes.
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