La réputation du monde des affaires est en chute libre depuis quelques années. En effet, la confiance envers les entreprises les plus expérimentées est en régression depuis la fin de la grande récession. Ce manque de confiance a ébranlé certaines des plus grandes entreprises au monde ainsi que leurs dirigeants, et la réputation des pays en pâtit également.
« Les gens sont de plus en plus exigeants envers les entreprises, surtout lorsqu’il s’agit de relever les défis que nous pouvons observer tout autour du monde. Ils se sentent laissés pour compte », explique Nicolas Georges Trad, associé du Reputation Institute, une société de services de gestion et d’évaluation des réputations. Le classement de cette année a révélé un déclin d’un point en moyenne de la réputation des nations figurants au Country RepTrak.
« Le monde a connu de nombreux bouleversements au cours des 18 à 24 derniers mois », ajoute Stephen Hahn-Griffiths, le directeur de l’institut chargé des réputations : « Cela s’ajoute à un sentiment latent d’incertitude dans le monde, entre tensions géopolitiques, nationalisme et agitation sociale sous-jacente ».
Afin d’établir le classement Country RepTrak, l’institut a sondé près de 58 000 individus au Canada, en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Russie, au Royaume-Uni et aux États-Unis entre mars en avril 2018. Les 55 pays en lice étaient ceux présentant le plus gros PIB et le plus de points communs avec au moins 51 % de la population générale des pays du G8.
Bien que la stabilité financière ait toujours influencé les réputations, seuls deux des pays les plus solides économiquement figurent dans le top 10 du RepTrak. On retrouve le Canada, qui chute de la première à la septième place et le Japon, qui gagne quatre places pour s’installer au huitième rang. Et la taille du pays semble peu importer. Aucune des nations les plus peuplées ne figure dans le classement et seules deux des plus grandes géographiquement y sont représentées. Il y a l’Australie en sixième place et le Canada à la septième. À la place, les caractéristiques telles que la beauté des paysages, l’accueil des habitants et les politiques éthiques déterminent la réputation des pays. « Le bonheur altruiste est une tendance qui émerge actuellement, explique Stephen Hahn-Griffiths. Les pays figurant en haut du classement sont ceux qui vous permettent de chercher le bonheur avec succès ».
L’un des exemples de cette nouvelle tendance, c’est la Suède qui a gagné deux places pour parvenir à la tête du classement, avec une note de 81,7. Ce pays scandinave est un habitué du haut du classement, car il était déjà en tête en 2016. Son excellente réputation peut, en partie, être expliquée par des décennies de prises d’initiatives durables. Ces dernières ont débuté en 1967 lorsque la Suède a été le premier pays à créer une agence de protection de l’environnement. Depuis, l’écologie est devenue une priorité, et il semblerait que cela porte ses fruits. Aujourd’hui, plus de 99 % des déchets sont recyclés et 52 % de l’énergie produite est renouvelable. La Suède est responsable de moins de 0,2 % des émissions de gaz à effet de serre du monde entier.
Ce pays scandinave est également devenu synonyme d’hospitalité. Il compte dix millions d’habitants et a une longue tradition d’accueil des immigrés. Il a récemment ouvert ses frontières à 163 000 réfugiés syriens, ce qui, rapporté à la population, est bien plus important que pour les autres pays européens. « L’incertitude force les pays à se recentrer davantage sur eux-mêmes et ils en oublient l’extérieur », explique Georges Trad, citant comme exemple les États-Unis. Classée au 34e rang, la première puissance économique mondiale se remet à peine de sa chute de dix places de l’an dernier, résultat de l’élection de Donald Trump et de son discours anti-immigration : « La fermeture des frontières n’est pas vue d’un bon œil ».
Tout comme ils ont accueilli des migrants, les Suédois soutiennent la communauté LGBTQ – avec la légalisation du mariage pour tous en 2009 et l’ajout de protections contre les discriminations portant sur l’orientation sexuelle en 2011 -, ainsi que les femmes. La Suède s’est toujours classée dans le top 5 du rapport mondial sur l’égalité homme femme du World Economic Forum. C’était par exemple le premier pays à substituer les congés parentaux aux congés maternité (1974). Sa politique en matière de congés parentaux fait partie des plus avantageuses au monde, offrant aux parents 480 jours de congés avant le huitième anniversaire de l’enfant. Cependant, le pays a encore des progrès à faire. Par exemple, les femmes suédoises touchent seulement 88 centimes pour chaque dollar empoché par un concitoyen. Cependant, le gouvernement est conscient de ces défauts. D’ailleurs, régulièrement, il rapporte publiquement les chiffres sur l’état actuel de l’égalité homme femme dans le pays.
« L’art de vivre à la suédoise est dans la droite lignée de la recherche du bonheur, ajoute Stephen Hahn-Griffiths. Mais ce n’est pas un hasard ».
La Suède n’a obtenu que quelques dizaines de points de plus que la Finlande (2e) et la Norvège (4e), des nations voisines, qui disposent de leurs propres politiques progressistes. Il est donc intéressant d’étudier les raisons de cette tendance nordique. Selon Stephen Hahn-Griffiths, tout repose sur une histoire très convaincante : « Le défi pour les pays, contrairement aux entreprises, c’est qu’on y trouve plusieurs voies et différents groupes dont la communication repose sur des histoires qui ne coïncident pas. Ce que la Suède a réussi à faire, c’est développer une seule histoire, à laquelle tout le monde adhère ».
Cette histoire, intitulée « Partager la Suède », est présentée dans un manuel de douze pages. Elle est produite et promue par une agence publique : l’institut suédois. Cette stratégie s’adresse aux « valeurs fondamentales » et aux « groupes cibles », comme un business plan : « La réputation, c’est créer un équilibre entre la réalité et la perception », note Georges Trad.
Les 29 nations dont la réputation a décliné cette année feraient bien de prendre exemple sur la stratégie de la Suède. Par exemple, la Russie (52) a rétrogradé d’une place : « Saint-Pétersbourg est magnifique, mais ce n’est pas la première image qui vient en tête lorsque l’on pense à la Russie. C’est plutôt Vladimir Poutine. On ne retrouve pas la beauté des paysages dans ce que communiquent le pays, les médias ou le grand public, explique Stephen Hahn-Griffiths. C’est la notion de bonheur et d’altruisme qui fait une réputation d’un pays ».
Avec weforum