Mr NANGA Emile
Administrateur et Vice-Président de l’OCAB
« LA FILIERE FRUITIERE,UN MAILLON IMPORTANT DANS L’ECONOMIE NATIONALE »
La Filière Fruitière ivoirienne occupe une place de choix dans le développement agricole de notre pays. Dans cet entretien, Monsieur NANGA Emile, Vice-Président de l’Organisation Centrale des producteurs-exportateurs d’Ananas et de Bananes (OCAB), jette un regard rétrospectif sur la Filière Fruitière et nous présente l’évolution des activités et les perspectives de son organisation
- Quel est l’état des lieux de la Filière Fruitière en Côte d’Ivoire ?
L’OCAB comptait 1 500 à 2 000 planteurs d’ananas avec 120 000 à 150 000t exportés. Après les différentes restructurations, et l’appui de l’Union Européenne, l’OCAB est passé, a 200 000t de produits exportés, la part des petits producteurs était de 150 000t exportées. Dans le même temps, l’OCAB a développé les exportations de mangue qui ont atteint un niveau de 11 000t à 14 000t / an de mangues fraîches. La Filière Ananas a connu, à partir de 1999, une chute drastique de sa production, suite aux évènements socio-politiques survenus en Côte d’Ivoire. La production a été affectée de façon pernicieuse, au fur et à mesure qu’on s’enfonçait dans la crise. En ce qui concerne la banane dessert, tous les petits planteurs ont disparu à cause de la réglemention européenne et de la concurrence sur le marché européen. A l’époque, les petits planteurs d’Abgoville produisaient à eux seuls 39 000t de bananes désserts. Il ne reste plus que 3 producteurs de bananes au sein de l’OCAB qui sont des entreprises privées indépendantes qui font environ 80 000t de bananes /an. Mais, malgré les vicissitudes, nous sommes présents dans la banane et nous essayons de développer des produits tels que la papaye et les fruits de la passion. L’OCAB va bientôt intégrer en son sein des producteurs de fruits et de légumes et également des transformateurs. A l’heure actuelle, nous avons des partenaires étrangers venus des Antilles et de la Guadeloupe qui ont commencé à investir dans des plantations de bananes dans la région de Tiassalé. Nous estimons que d’ici 1 à 2 ans, la production passera de 80 000t à 150 000t environ.
- Qu’elle est la spécificité de chaque sous-filière ?
Nous sommes dans le domaine des fruits et légumes, chaque filière a ses contraintes. L’ananas est une culture difficile, dont il faut suivre l’itinéraire technique. Et pour le faire, il faut avoir les ressources financières suffisantes.
La banane a connu également des problèmes avec les différentes modifications intervenues dans la réglementation de l’Union Européenne. A l’époque, une licence était donnée par l’Union Européenne et attribuait un quota à l’Etat de Côte d’Ivoire qui le reversait à l’OCAB, et à son tour le distribuait aux planteurs. La réglementation ayant changé, les planteurs ont cessé d’être des détenteurs de licence au profit des importateurs. Le planteur était obligé d’acheter des licences auprès des importateurs européens qui n’avaient rien fait dans la production. Cela devenait très couteux pour les planteurs. L’Union Européenne a aussi revu les normes de qualité qui sont très couteuses pour les petits planteurs. (Certification) La mangue est une spéculation très difficile au niveau de la commercialisation car elle est produite au nord, il faut des équipements importants pour assurer la chaîne de froid. Pour pallier cela, les exportateurs se sont organisés pour mettre en place un système qui garantit la pérennité de la chaîne de froid depuis la mise en conteneur, jusqu’à l’embarquement sur les navires à destination de l’Europe. Il faut donc mettre les moyens pour pouvoir concurrencer et emmener le consommateur européen à se tourner vers nos produits. Si vous n’avez pas les moyens de réaliser des campagnes publicitaires, de mener des actions de promotions puissantes, vous disparaissez, ou vous venez en 2ème ou 3ème position après ceux qui se sont construits une notoriété sur le marché européen. Un autre et grand problème touche la culture de la mangue en Côte d’Ivoire et dans la sous-région, c’est la piqure de la mouche des fruits (bactrocera), qui affecte les productions de mangue. Elle peut affecter 40% des lots. Un programme de lutte contre cette maladie est mené actuellement dans certains pays (Burkina Faso, Mali, Sénégal). Si rien n’est fait d’ici quelques années on trouvera très peu de mangues exportables en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. Il faut une véritable volonté politique pour mener la lutte contre ce ravageur. La papaye, est un produit très fragile dont les viroses affectent la qualité de production et les rendements. Son exportation se faisait par voie aérienne et cela était très coûteux. La Filière Papaye a du potentiel car les marchés sont en forte croissance au sein de la CEDEAO et sur le marché Européen.
- Parlez-nous de l’économie des filières fruitières (emplois créés et à venir, chiffres d’affaires par secteurs, etc.)
Ce secteur compte pour 3% dans le PIB ivoirien, il fait 150 milliards de revenus en termes de devises étrangères. A l’époque, 5 000 opérateurs faisaient vivre 30 000 personnes soustraitantes dans les régions d’Azaguié, de Bonoua, de Tiassalé et de Dabou. C’est un secteur pourvoyeur d’emplois à cause des différentes spécialités que cela demande. D’ici l’année 2018, l’OCAB prévoit la création de 4 000 emplois directs dans les plantations sans compter les emplois indirects qui seront créés dans le transport, la mécanique et les différents métiers connexes qui gravitent autour des filière. Malgré les difficultés, la Filière Fruitière reste un maillon important dans l’économie nationale. A titre d’exemple, la ville de Bonoua a connu son essor d’antan avec la production de l’ananas. C’est un secteur qui peut contribuer à régler les problèmes d’exode rural, de vagabondage, de drogue à travers la création d’emploi pour les jeunes.
- Comment se fait le financement au sein des filières ?
Les banques n’interviennent pas ou difficilement dans le financement des activités agricoles particulièrement dans les Filières Fruitières. C’est le planteur lui-même qui avec ses économies développe son exploitation. Il faut donc qu’un système de financement soit mis en place pour aider les planteurs et permettre de redynamiser les Filières Fruitières.
- Comment se fait la commercialisation des fruits tropicaux de Côte d’Ivoire (marchés locaux, régionaux et internationaux) ?
Les filières ne peuvent pas satisfaire à elles seules tous les marchés même si elle retrouve ses productions d’antan. Cependant, elles suffiront largement pour couvrir le marché national, mais il faut que le consommateur ivoirien accepte d’acheter des produits de qualité car cela a un coût. Les conditions logistiques pour atteindre les marchés internationaux (chambre froide, emballages en carton…) tout en maintenant la qualité du produit reviennent chers aux producteurs.
- Quel est le processus de fixation des prix dans les filières ?
Il existe une opacité au niveau de la fixation des prix des fruits sur le marché international. Les ventes fermes n’existent pas au niveau des fruits et légumes. Cela se fait au gré et au bon vouloir des chaînes de distribution commerciales (supermarché…). Les prix suivent la tendance de l’approvisionnement des marchés (abondance ou rareté du produit). Les acheteurs locaux de fruits sont les mêmes que ceux d’outre-mer. Ils achètent aux plus bas auprès des paysans pour les revendre plus cher sur le marché et c’est le producteur qui en pâtit. Il faut la normalisation des filières, arrêter de vendre en vrac mais plutôt passer par les chaînes de conditionnements en carton et au kilo, et transformer les excédents (jus de fruits, confiture… etc), car ce sont les excédents qui troublent le marché. La transformation des fruits peut se faire sous plusieurs formes, jus de fruit, déshydratation des fruits, confiture, purée, etc. avec une traçabilité du fruit pour obtenir des produits dérivés de qualité.
- Quels sont les Perspectives des Filières Fruitières ?
Bien que la filière connait quelques difficultés, nous faisons des propositions et cherchons des financements. La Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI) suit le cas de nos filières, car nous sommes membres adhérents. Elle met en place des voies et moyens pour aider les filières. Nous faisons donc un recadrage et un toilettage des statuts, il nous faut aussi plus de cohé- sion, d’unité au sein de l’OCAB, afin de permettre à de nouveaux venus d’adhérer et d’être plus fort, sur les marchés.
- Mot de fin
Nous gardons espoir et courage en espérant que le gouvernement malgré toutes ses charges se penchera sur le cas des exploitants du secteur et mettra en place un programme de relance de la Filière Fruitière. La transformation des fruits localement doit faire l’aspect de réflexion au niveau des décideurs. Car elle permettra la création d’emploi et pourrait apporter une valeur ajoutée aux fruits.