« Si l’agriculture reste une agriculture de subsistance, on ne pourra pas attirer les jeunes générations »
A l’issue de la 4ème édition le ministre de l’agriculture et du développement rural explique dans cette interview les enjeux d’un secteur agricole fortement impacté par le changement climatique.
Quels sont vos sentiments après cette 4ème édition du Sara ?
Vous me donnez l’occasion de remercier tous ceux qui se sont intéressés à ce salon. Que ce soient les exposants, les professionnels, le grand public des visiteurs y compris ceux qui de chez eux ont suivi ce rendez-vous important du monde agricole. Je n’oublie pas l’ensemble de la presse, que ce soit la presse audiovisuelle, écrite ou en ligne. Grâce à l’intérêt que les uns et les autres ont accordé à cet évènement, nous avons plus d’un million de personnes qui ont suivi ce salon sur internet. Nous avons battu le record de 2015. Nous sommes à plus de 300.000 visiteurs. On le voit bien, le Sara a suscité beaucoup d’intérêt et l’édition de 2017 encore plus. Pour nous, il n’y a pas 36 manières de l’expliquer. La première chose, c’est que c’était une attente d’abord des Ivoiriens, ensuite des professionnels. En 2017, l’ampleur du salon montre que la dynamique insufflée au monde agricole depuis la prise en mains des affaires par le président de la République Alassane Ouattara porte ses fruits. Nous espérons garder le cap et continuer d’enregistrer une croissance agricole de sorte qu’en 2019, on ait un salon beaucoup plus animé que celui de cette année.
Comment comptez-vous mobiliser les 11.905 milliards de F Cfa pour financer le Pnia 2 qui devrait insuffler une dynamique nouvelle au secteur agricole ?
D’abord, tout est relatif. 11.000 milliards F Cfa, ça paraît énorme. Je rappelle que c’est dans un délai de près de 10 ans. Si vous étalez ça sur ces 10 ans, c’est déjà raisonnable. Ensuite, n’oubliez pas que l’économie de notre pays repose sur ce secteur et qu’en réalité, en fonction des objectifs qu’on s’est assigné à travers ce programme, l’évaluation ne pouvait pas être en deçà. Il ne faut pas tricher. Nous avons des objectifs que nous visons à travers ce programme d’investissement agricole. Des objectifs qui sont alignés sur ceux du Pnd. N’oubliez pas que le Pnd a pour orientation de transformer la structure de notre économie. Or, le cœur de l’économie ivoirienne, c’est le secteur agricole. Donc, on ne peut pas avoir de transformation de la structure de notre économie si le moteur de cette économie qu’est le secteur agricole lui-même ne subit pas cette transformation structurelle. Vous voyez bien qu’il est tout à fait normal d’avoir des montants de ce niveau. Ensuite, nous avons pour ambition d’investir dans les infrastructures agricoles. C’est lourd et c’est indispensable. Nous voulons investir dans la maîtrise de l’eau avec les effets du changement climatique. Ça veut dire qu’il faut faire des retenues d’eau, des barrages, des forages, mais il faut aussi irriguer des superficies. Ce sont des investissements qu’on fait une fois pour toutes. La décomposition des 11.000 milliards se présente comme suit : 4.380 milliards à peu près pour l’Etat et les partenaires techniques et financiers. L’essentiel de ces 4000 milliards va aller vers les infrastructures, la recherche, la formation, et la gouvernance du secteur. Tout ceci pour créer le cadre pour que d’abord l’investissement privé soit attiré. Ensuite, qu’il soit profitable pour les investisseurs eux-mêmes. Sur cette base, ils se sont engagés pour 7.800 milliards de F Cfa. Je pense que si les privé sont prêts à investir ces 7.800 milliards, l’Etat et ses partenaires devraient tout faire pour que ces investissements qui relèvent justement du régalien puissent se réaliser. Nous avons confiance parce que déjà, le Pnia 1, c’était 2040 milliards de F Cfa d’intention d’investissement que nous avons enregistré sur 5 ans. Mais, quand on fait le bilan, on se rend compte que l’objectif de mobilisation de ressources a bien été atteint. Au départ, on nous disait que ce n’est pas réaliste. Et si nous prenons le Pnia 2, nous l’avons découpé en 2 phases. Sur les 3 prochaines années jusqu’en 2020, nous avons besoin de 2400 milliards de F Cfa. Sur ces 2400 milliards de F Cfa, il y a déjà 1000 milliards du privé, 1000 milliards des PTF (partenaires techniques et financiers) et pour les 400 milliards, il y a déjà 265 milliards que l’Etat a déjà engagés. Il ne reste que 235 milliards de F Cfa. Vous convenez avec moi que ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué à faire d’ici 2020. En 2020, nous ferons le point sur la base du rythme de mobilisation des ressources, nous verrons si nous devons revoir nos ambitions à la baisse en termes d’objectifs, parce que ce sont les objectifs qui induisent les besoins de financement. N’oubliez pas que nous devons réduire la pauvreté de moitié par rapport à son niveau de 1990. Donc, nous devons créer de nombreux emplois etc. Ce sont des objectifs essentiels qui nécessitent des investissements.
Parlant de ces investissements, quelle part devrait revenir à la formation des jeunes dans le domaine agricole ?
Vous avez raison. C’est un programme d’investissement qui a 3 objectifs principaux et une stratégie de mise en œuvre. Après viendra le plan d’investissement détaillé dans lequel, on aura une précision sur ce qui est mis dans chacun des 6 programmes. La recherche et la formation sont des composantes essentielles de ce programme.
Il y a eu le recensement des exploitants et de leurs exploitations, quel est le but de cette opération ?
Pour prendre des décisions, il faut des informations. Les statistiques ont toujours constitué un outil appréciable pour la gouvernance dans tous les secteurs. D’ailleurs, c’est un recensement demandé tous les 10 ans par les Nations Unies dans tous les pays. Le dernier qui a été fait en Côte d’Ivoire remonte à 2001. Et depuis lors, il n’y a pas eu de recensement. Nous avons relancé ce processus d’abord pour répondre à cette exigence au niveau international, mais aussi pour les besoins intérieures. Et je peux vous dire que le modèle qui été adopté et mis en œuvre va nous permettre de ne pas attendre tous les 10 ans pour avoir des données statistiques actualisées. On pourra les avoir chaque année. Les résultats qui ont été présentés pendant le Sara constituent la première étape. Avec les résultats actuels, on a une idée et une base claire pour pouvoir faire de l’échantillonnage qui soit représentatif. On aura une deuxième phase et après, on va passer à la phase modulaire.
On a senti au cours de ce Sara, un fort engouement des jeunes, des enfants. Cela relève d’une politique visant à mobiliser les jeunes autour des questions agricoles. C’est assez ambitieux…
Je crois que c’est opportun. Je l’ai dit à l’ouverture, l’objectif de ce salon est multiple. Bien sûr, les professionnels y trouvent leur compte, c’est fait pour eux, le grand public aussi, surtout les jeunes. Pour nous, il faut susciter des vocations. Et d’ailleurs, je peux vous dire que ceux qui y sont venus ont dit à leurs parents que ça les intéresse de faire de l’élevage, de l’Agriculture. On est en Afrique. Nous avons eu l’opportunité d’accompagner nos parents au champ. Je pense que cela nous a transmis un certain nombre de valeurs. L’agriculture n’est pas seulement un secteur économique, c’est aussi un secteur social. Tout le monde le sait, mais très peu font attention au caractère culturel. Avec l’agriculture, quand on est enfant, on a d’abord la valeur travail qui nous est transmise, ensuite, les travaux champêtres, au moment des récoltes, les hommes s’occupent des travaux assez dures et pénibles et les femmes s’occupent de ceux qui le sont moins. Et ce sont les enfants qui sont chargés de garder les plantations contre les oiseaux, mange-mil comme on les appelle. Et ce sont des moments où on profite pour vous enseigner la tradition, vous transmettre à travers des contes, les valeurs de la vie en société et pour nous qui sommes du peuple sénoufo, c’est d’ailleurs à cette occasion que les jeunes qui doivent rentrer à l’initiation du Poro apprennent déjà. C’est le préscolaire pour le Poro. Arrêtons-nous seulement sur la valeur travail. J’ai des collègues qui m’ont dit que leur pays a basé leur développement sur le pétrole et ils veulent aujourd’hui baser leur développement sur l’agriculture, et ils ont besoin de s’appuyer sur l’expérience de notre pays. A l’analyse, je leur ai dit, votre plus gros obstacle, c’est de réapprendre à votre peuple et vos populations à travailler. Parce que ce n’est pas facile quand on a perdu cette habitude. Le fait qu’il y ait beaucoup d’enfants au Sara nous rassure sur le fait que la relève est assurée, mais c’est clair que les générations actuelles ne travailleront pas dans les conditions de nos grands-parents.
Est-ce que vous avez des partenaires qui ont accepté de vous accompagner dans la formation de ces jeunes ?
Déjà le système de formation agricole dans notre pays est bien fourni. Depuis la formation diplômante jusqu’à la formation qualifiante. Au niveau de l’Inphb de Yamoussokro, l’Esa qui est l’école des ingénieurs agronomes. Il y a aussi l’infpa qui forme des Bt et des Bts etc. Ce que nous voulons à travers le Pnia 2, c’est de réformer notre système de formation professionnelle agricole de manière à ce que nous ayons un système totalement intégrée qui permet aux apprenants d’être dans les conditions réelles de production.
Il y a aussi le fait que la nouvelle façon d’enseigner l’agriculture devrait intégrer l’évolution technologique…
Absolument. Les centres de formation qui sont en cours de mise en place permettent à l’apprenant qui est l’agriculteur en devenir ou même l’agriculteur en activité qui doit actualiser ses connaissances d’adresser les contraintes depuis l’amont jusqu’à l’aval. En amont, il s’agira de voir ce que la recherche a mis au point en termes d’innovation et comment l’exploiter et en aval, il s’agit de voir les techniques d’accès au marché. Très souvent, on se limite aux travaux champêtres.
Revenons au thème, de ce Sara, transformation structurelle de l’économie agricole face aux changements climatiques, comment on y va ?
Après la cérémonie d’ouverture, nous avons eu une conférence de très haut niveau avec plusieurs ministres de l’agriculture de la sous-région et au-delà. Une grande conférence qui a vu aussi la participation de grandes institutions qui nous accompagnent dans le développement comme la Bad dont le président lui-même était l’orateur principal. On n’a pas le choix que transformer la structure actuelle de notre économie agricole. D’abord, le climat est devenu capricieux. On ne peut pas continuer de faire comme si on n’est pas impacté par le changement climatique, donc, il faut adapter nos moyens de production. Faire en sorte que nous ayons une meilleure maîtrise d’eau ; faire en sorte que nous soyons mieux informer sur les caprices du temps. Et c’est possible d’anticiper avec les technologies. La transformation structurelle de notre économie agricole viendra aussi du fait ce qu’on arrivera à valoriser nos productions sur place pour créer la valeur ajoutée. Et ce qu’on tire de cette valeur ajoutée, doit bénéficier au producteur. Si l’agriculture reste une agriculture de subsistance, on ne pourra pas attirer les jeunes générations. Il faut que l’agriculture soit rentable et pour qu’elle le soit, l’agriculteur ne peut pas vendre que des produits bruts qui n’ont pas de valeur ajoutée et souvent, il suffit de peu pour que la valeur soit multipliée par 2. Nous voulons faire de nos agriculteurs, des gens au point au niveau de la formation avec les produits de la recherche et aussi au niveau de la transformation et de l’accès au marché.