Cette atteinte à la protection des données a suscité des milliers de réflexions.
Une mer d’encre a coulé, et des milliards d’octets ont afflué en réponse au récent scandale Facebook/Cambridge Analytica. Les pratiques de ces deux sociétés révèlent un problème omniprésent sur la façon dont nos données sont collectées, partagées et utilisées afin de nous manipuler.
Mais les questions soulevées dépassent la façon dont nous sommes commercialisés par les entreprises et profilés par les partis politiques. Les données que nous divulguons avec nos clics, liens, messages et courriels servent également à façonner des décisions importantes en matière de ressources humaines – qui embaucher, congédier, promouvoir, quelle motivation salariale choisir, etc. Et il est légitime de se poser la question : le big data supprime-t-il l’humain des ressources humaines ?
Voici par exemple Vera, un logiciel d’Intelligence artificielle conçu par la start-up russe Strafory pour réduire les coûts de recrutement, interroger les candidats et ne conserver que les 10 % meilleurs.
Ou ce centre d’appels aux États-Unis où des employés d’un géant bancaire international ont rapporté que des logiciels d’analyse surveillaient chacune de leurs paroles et les notaient sur la convivialité de leur ton. La banque s’est servie de cette information pour évaluer le rendement des employés, une mauvaise note pouvant causer une sanction financière, des mesures disciplinaires, ou le licenciement. Les employés concernés expliquent qu’il n’y a pas, ou peu, de recours pour corriger les erreurs de notation ; il a pourtant été prouvé que le logiciel ne reconnaissait pas certains schémas ou défauts de locution ni certains accents.
Lorsque nous travaillons, nous fournissons des données, et ces données ont de la valeur. Ce sont notre CV, nos empreintes digitales ou celle de notre iris, notre emplacement géographique, nos réseaux amical, familial et professionnel ainsi que toutes les données récoltées à notre sujet par notre employeur pendant qu’il surveille notre rythme de travail, nos pauses, les itinéraires que nous empruntons et même notre frappe au clavier. Tout ceci peut être vendu et analysé à des fins de marketing, de publicité et de ressources humaines.
Pourtant, les travailleurs du monde entier – sauf ceux de l’UE, qui bénéficieront bientôt des dispositions du Règlement général sur la protection des données – n’ont aucun contrôle sur les montagnes de données que leurs employeurs collectent à leur sujet. Ils ne savent pas non plus quelles données les employeurs utilisent réellement pour les embaucher, les congédier ou les sanctionner. Est-ce que votre dossier de santé, vos relations sur les réseaux sociaux, votre appartenance syndicale, vos antécédents financiers ou vos convictions politiques sont des facteurs déterminants dans vos perspectives d’emploi ?
Combler le vide réglementaire
Pour faire face à ces problèmes, combattre l’insécurité et proposer des solutions durables, le syndicat UNI Global Union a publié Top 10 principles for workers’ data privacy and protection (Les 10 principes pour la confidentialité et la protection des données des travailleurs). Un principe de base, c’est que les travailleurs doivent avoir le droit d’accéder aux données recueillies à leur sujet, de les faire corriger, les bloquer ou les effacer. Ces données devraient également être transférables – une demande particulièrement importante pour les travailleurs de plate-forme, qui ont des centaines d’heures d’équité dans leurs évaluations.
Un autre principe crucial est le « droit à l’explication » : les travailleurs doivent être en mesure de savoir comment les données collectées par les employeurs sont utilisées pour éclairer les décisions de la direction. Si ce droit n’était pas reconnu aux travailleurs, il n’y aurait aucun frein ou contrepoids aux décisions de management ni aucune possibilité de contrôler l’utilisation éthique et non discriminatoire des données.
UNI Global Union propose aussi des lignes directrices en matière de données biométriques, de transparence, d’utilisation de la localisation par le biais de ce que l’on appelle les technologies portables, ou wearables, et de mise en place de comités de gouvernance des données à l’échelle de l’entreprise.
Philip Jennings, Secrétaire général d’UNI Global Union, commente : « La collecte de données et l’intelligence artificielle sont la prochaine frontière pour le mouvement ouvrier. La nouvelle génération de membres et de dirigeants syndicaux avides de technologie n’est pas prête à laisser des algorithmes inhumains établir les nouvelles règles. Tout comme les syndicats ont établi des normes de salaire, d’heures et de sécurité pendant la révolution industrielle, il est urgent d’établir de nouveaux repères pour la révolution numérique. »
Avec weforum