Derrière son étal du marché de Tilène, à Dakar, Pape Demba est entouré de poulets. Sur sa droite, de grandes cages remplies de dizaines de volatiles vivants, et à sa gauche, des poulets plumés, prêts à être cuisinés, attendent le chaland.
En moins de quinze ans, la production locale de poulets au Sénégal a été multipliée par sept – passant de 7 à 50 millions de têtes par an entre 2004 et aujourd’hui – favorisée par l’interdiction depuis 2005 des importations de volailles, décrétée à la suite d’une épizootie de grippe aviaire venue d’Asie.
“Chaque jour, je vends au moins 100 poulets. Ca rapporte bien pour le moment!”, lance le commerçant de la Médina, l’un des quartiers les plus populaires de la capitale sénégalaise.
Un poulet plumé coûte de 2.500 à 3.000 FCFA (de 3,75 à 4,5 euros), alors que le salaire mensuel net d’une serveuse de restaurant atteint difficilement les 80.000 FCFA (120 euros) et qu’un professeur de lycée doté d’un diplôme universitaire commence sa carrière à environ 300.000 FCFA (450 euros).
Mais le monde en vase clos du poulet sénégalais risque d’être bientôt chamboulé: par l’arrivée de KFC, géant américain du poulet frit, et par la levée envisagée de l’interdiction des importations.
KFC devrait inaugurer cette année un établissement de restauration rapide dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le premier d’une douzaine prévus au Sénégal en quelques années, a expliqué à l’AFP Andrew Havinga, le directeur pour les nouveaux marchés africains de la célèbre enseigne rouge et blanche, déjà présente dans 16 pays d’Afrique. Il voit dans le Sénégal “un marché en expansion”.
Autre bouleversement prévisible, qui inquiète bien plus la filière avicole locale: les jours de l’interdiction des importations sont comptés, a prévenu la ministre de l’Elevage et de la production animale, Aminata Mbengue Ndiaye, soulignant que les frontières ne pourront “pas être fermées éternellement aux vendeurs de poulets étrangers”.
“Le gouvernement va rouvrir les frontières le moment venu”, a-t-elle prévenu en mars, sans donner de calendrier.
– Produit de consommation courante –
Le poulet est aujourd’hui un produit courant au Sénégal, représentant même 39% de la viande consommée dans le pays. Mais il a longtemps été considéré comme un “mets de fête”, rappelle le président de l’Association des consommateurs du Sénégal, Momar Ndao.
C’est notamment l’un des plats typiques de la fête de fin du ramadan, la Korité, pour laquelle quelque 11 millions de poulets étaient prévus cette année.
C’est l’arrivée, dans les années 1990, de cuisses et ailes surgelées produites en Belgique, aux Pays-Bas ou encore au Brésil, qui a modifié les habitudes alimentaires et a rendu le poulet fréquent dans les assiettes sénégalaises, cuisiné selon diverses recettes dont celle du poulet “Yassa”, célèbre dans toute l’Afrique de l’ouest.
Pour les éleveurs locaux, l’embargo a été une aubaine.
En 2004, la production locale au Sénégal était près de deux fois inférieure aux importations de volailles (qui atteignaient alors 13.000 tonnes annuelles), selon une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) réalisée en 2013.
Or depuis 2004, elle a bondi de 7 à 50 millions de têtes par an, explique le président de la Fédération des acteurs de la filière avicole (FAFA), Serge Sadio. Elle était ainsi évaluée à 96.000 tonnes par l’interprofession avicole en 2017.
– “Tous au chômage” ? –
Khadim Ndiaye, un jeune éleveur de Bambilor, dans la banlieue de Dakar, craint de ne pouvoir résister à une ouverture du marché.
“J’ai commencé avec 400 poules en 2007 et aujourd’hui j’en ai près de 1.500. Si on ouvre les frontières, je vais devoir baisser les prix mais ça ne sera plus rentable”, explique-t-il en nourrissant ses poussins.
Le vendeur de la Médina, Pape Demba, redoute lui aussi l’arrivée de produits bon marché: “Si le poulet importé revient chez nous, nous serons tous au chômage”, dit-il.
La filière avicole génère 50.000 emplois au Sénégal, directs ou indirects, et l’aviculture représente 17% du PIB de l’élevage, selon l’interprofession.
L’association des consommateurs sénégalais plaide pour un maintien de l’embargo, pour protéger la production locale.
– Mieux que le prix: la qualité –
Chez KFC, l’obligation de se fournir en produits sénégalais n’est pas vécue comme une contrainte et, assure son directeur pour les nouveaux marchés africains, elle ne devrait pas être remise en question par une réouverture des frontières.
“Nous avons identifié des fournisseurs locaux, nous sommes certains de ne servir que du poulet 100% local dans nos restaurants au Sénégal quand ils seront ouverts”, affirme Andrew Havinga.
Il estime qu’en cas de concurrence accrue, “c’est le consommateur qui sera gagnant en fin de compte, avec un produit de meilleure qualité à un prix abordable”.
Pour Babacar, qui fait ses courses sur un marché de Dakar, la situation est simple: “Moi, je fais attention à la qualité, pas au prix. Je ne veux pas manger de produits chimiques”, explique-t-il.
Avant de lancer en riant: “Si tu n’as pas de quoi t’acheter du poulet, alors achète du couscous!”
Avec AFP