Dans un entretien aux Echos, la présidente non-exécutive d’Air France-KLM justifie la position de fermeté face aux menaces de grève. Anne-Marie Couderc souligne que sa priorité est de recruter au plus vite un nouveau PDG, dont la nomination pourrait intervenir, si possible, dès début juillet.
Quel bilan faites-vous de vos rencontres avec les syndicats d’Air France ?
Au cours des 15 derniers jours, j’ai reçu une à une les sept organisations syndicales représentatives. J’ai pris le temps de les écouter. Je leur ai expliqué que la mission qui m’a été confiée, en tant que présidente non-exécutive, consiste en priorité à mettre en place une nouvelle gouvernance et un nouveau dirigeant le plus rapidement possible. Mais je souhaite également mettre à profit cette période de transition pour essayer de mieux comprendre les causes profondes du malaise que traverse Air France et définir ainsi les moyens d’y remédier. Ces entretiens m’ont donné le sentiment que ce malaise actuel tient tant à des problèmes de fond qu’à une multitude de problèmes du quotidien. Toutes les organisations syndicales ont évoqué ces sujets dont l’accumulation a contribué à la situation de mal-être que nous connaissons actuellement. Les syndicats ont bien entendu évoqué aussi les questions salariales. Je leur ai expliqué, qu’étant dans une période de transition, nous n’étions pas en mesure de rouvrir des négociations salariales. Ni Franck Terner [le directeur général d’Air France NDLR] ni moi-même n’ayant reçu de mandat du conseil d’administration pour le faire. J’ai évidemment incité tous mes interlocuteurs à faire preuve de responsabilité et de patience, pour permettre à la compagnie de traverser cette période dans les meilleures conditions.
Avez-vous été surprise par l’annonce d’un nouveau préavis de grève ?
J’ai été plus que surprise de constater qu’à peine achevée la dernière rencontre avec une organisation syndicale, un préavis de grève de quatre jours était déposé, qui plus est durant l’un des premiers week-ends de grands départs. J’avais pourtant pris soin de leur annoncer par écrit que je serai présente au CCE d’Air France du 14 juin, pour présenter des mesures concrètes, même si cela n’est pas le rôle d’un président d’Air France-KLM en temps normal. Je constate que pour certains d’entre eux, il n’y a qu’une seule stratégie : celle de l’épreuve de force permanente. Ce n’est pas ma conception du dialogue social. Cette attitude, de la part des personnes qui défendent les intérêts des salariés me semble irresponsable vis-à-vis de la compagnie. C’est mettre en danger l’entreprise et ses salariés, et c’est manifester bien peu de respect pour les clients.
Qu’avez-vous proposé au CCE du 14 juin pour tenter de mettre fin au conflit ?
Tout d’abord, nous allons lancer une démarche étendue d’expression des salariés, qui débouchera sur des actions et des décisions concrètes à court et moyen terme. J’ai demandé à Franck Terner de définir, avec ses équipes, une méthode de travail pour permettre aux salariés d’Air France de s’exprimer par tous les moyens possibles, y compris par des rencontres physiques informelles avec des salariés, et qui permette de dresser un premier diagnostic et d’établir des préconisations. Cette démarche fera l’objet d’un suivi hebdomadaire. Et je suis prête à m’engager personnellement à ce que les préconisations qui en résulteront soient suivies d’effets concrets. J’ai également demandé à la direction d’Air France de regarder ce qui pourrait être fait pour améliorer la vie des salariés au quotidien, en s’attaquant à tous les problèmes du quotidien qui me sont déjà remontés (disponibilité des chambres de repos dans les locaux d’Air France ou encore rénovation des locaux de piste à Orly)…. En apparence, ce sont des sujets mineurs, mais qui sont des irritants au quotidien qui doivent être réglés rapidement. Nous y allouerons le budget nécessaire.
Et concernant les revendications salariales ?
Le conseil d’administration a réaffirmé qu’il ne confierait pas de mandat pour une nouvelle négociation salariale dans les circonstances présentes et dans l’attente de la mise en place d’une gouvernance pérenne.
Vous refusez donc de céder à la revendication principale d’une hausse générale de 5,1 % en 2018 ?
Nous sommes dans une période de transition et il y a des sujets qu’on ne peut tout simplement pas aborder. Par ailleurs, notre projet d’accord salarial était cohérent avec la situation de l’entreprise. Or la situation économique est en train de se dégrader très sérieusement, du fait des grèves mais aussi de la hausse du prix du pétrole. Le conseil d’administration a confirmé qu’il n’y aura pas de mesure salariale afin de ne pas obérer la marge d’action de la future gouvernance. Cette question pourra éventuellement être abordée plus tard, mais le futur dirigeant doit avoir sa propre appréciation des sujets.
En début de semaine, on évoquait pourtant une hausse générale de 3,65 %…
Des discussions informelles ont été engagées par la direction d’Air France afin d’identifier la position de l’intersyndicale. La direction a fait le constat que celle-ci persiste à demander une augmentation générale des salaires qui est incompatible avec la stratégie de croissance du Groupe.
Les négociations catégorielles vont-elles néanmoins se poursuivre ?
Ce qui a été suspendu, ce sont les négociations avec l’intersyndicale concernant une hausse générale des salaires. Mais pour le reste la vie continue, l’entreprise continue d’être dirigée et tout le monde peut parler avec tout le monde. Les discussions au sein de l’entreprise, avec les différentes catégories de personnels peuvent donc se poursuivre.
La situation financière et commerciale d’Air France s’est-elle beaucoup dégradée ?
Les grèves nous ont déjà coûté cher : de l’ordre de 300 à 350 millions d’euros selon nos estimations. Mais jusqu’à présent, les engagements pour la saison d’été restent plutôt bons. Nos clients ont continué de nous faire confiance, mais le nouveau préavis lancé vendredi dernier n’a pas encore eu d’impact sur les réservations. J’espère que cela durera et surtout que ce préavis sera levé. Dans le contexte actuel de concurrence renforcée, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de décevoir nos clients.
Où en êtes-vous de la recherche du futur PDG ?
Comme je l’ai déjà dit, je me suis engagée à faire le plus vite possible. Et ce qui est rassurant, c’est de voir qu’Air France-KLM attire de très nombreux candidats et de grande qualité. Nous en avons sélectionné un certain nombre et nous avons déjà commencé à les rencontrer. L’objectif du comité de nomination que je préside est de pouvoir proposer des options au conseil d’administration dès début juillet. Dans l’idéal, je souhaiterais que le choix du candidat soit fait avant le 15 juillet. Mais nous prendrons le temps nécessaire pour choisir le meilleur dirigeant pour Air France-KLM.
Quel profil cherchez-vous ?
Nous cherchons un grand manager expérimenté, reconnu, et ayant la capacité à porter un projet de transformation profond de l’entreprise. Il ou elle ne doit pas nécessairement être spécialiste du transport aérien. Nous avons en interne toutes les expertises nécessaires. En revanche, une forte dimension internationale est indispensable. Le marché du transport aérien d’aujourd’hui l’exige. Air France-KLM est une entreprise binationale, qui a, en outre, à son capital des actionnaires américains et chinois. Et il faut aussi que le ou la candidat(e) ait une parfaite connaissance et compréhension de la culture française.
Faut-il plutôt quelqu’un de plutôt consensuel ou plutôt rentre-dedans ?
Pour faire un bon manager, il faut savoir faire preuve de fermeté, avoir des convictions fortes, mais il faut aussi avoir de l’empathie. Il faut savoir convaincre et il faut aimer les gens et les respecter, car on ne transforme pas une entreprise sans l’engagement de ses équipes.
L’annonce de discussions avec Accor concernant la part de l’Etat dans Air France-KLM a-t-elle changé la donne ?
Le gouvernement, à travers les déclarations de Bruno Le Maire et d’Elisabeth Borne, a clairement indiqué que sa priorité était la mise en place d’une nouvelle gouvernance. La question de la participation de l’Etat au capital d’Air France-KLM n’est donc pas la priorité et elle n’a aucunement contrarié la recherche d’un nouveau dirigeant. Quant à notre relation avec le groupe Accor, c’est un partenaire industriel historique, avec lequel nous avons déjà essayé de développer des synergies commerciales autour de la relation-clients et des programmes de fidélisation. Nous avons plusieurs projets en discussion avec eux, lancés il y a plus d’un an et sur lesquels les équipes travaillent activement. Mais l’aspect capitalistique est un autre sujet, qui concerne l’Etat-actionnaire.
Les candidats ne s’inquiètent-ils pas de l’arrivée éventuelle d’un nouvel actionnaire qui pourrait revendiquer la présidence du conseil ?
Certains candidats ont pu être surpris par ce qu’ils ont pu lire dans la presse ces jours-ci, mais tous sont des managers expérimentés, parfaitement au fait des enjeux y compris médiatiques, et que les défis n’effraient pas. Ceux ou celles qui redouteraient les challenges ne pourraient pas être candidats chez Air France-KLM. Pour le reste, la définition du poste proposée n’a pas changé : nous recrutons toujours pour un poste de PDG d’Air France-KLM dans toutes ses composantes.
Le choix final du candidat reviendra-t-il à l’Etat-actionnaire ?
Nous ne sommes pas du tout dans un processus étatique, mais dans le processus normal d’une grande entreprise binationale. La sélection des candidats se déroule donc de manière totalement indépendante. Je l’assure moi-même avec les deux autres membres du comité de nomination. Nous travaillons en toute confidentialité et sans aucune pression.
Vous continuez néanmoins à discuter avec le gouvernement de l’avenir d’Air France ?
J’ai repris le dossier des discussions avec l’Etat sur les moyens d’améliorer la compétitivité d’Air France, pour réduire l’écart de charges avec ses concurrents. Ce qui m’a déjà amené à rencontrer la ministre des transports, Madame Elisabeth Borne. Je verrai également prochainement le ministre de l’économie. Nous rencontrerons avec Franck Terner les parlementaires et les responsables politiques concernés. Je souhaite poursuivre l’effort entrepris par la compagnie sur cette question des charges. C’est un sujet particulièrement important pour le modèle économique de l’entreprise. Il faut qu’à l’automne 2018, la compagnie dotée d’une gouvernance pérenne, puisse récolter les fruits de ces discussions, à l’issue des Assises du transport aérien. C’est une raison de plus pour que chacun fasse preuve de responsabilité. Il y a un temps pour la discussion, pour le débat, et il y a le temps de la cohésion et de la solidarité. C’est le sens de ce que je demande à l’ensemble des équipes de l’entreprise : faire preuve de responsabilité et de solidarité dans cette période difficile pour leur compagnie.