NTERNATIONAL – Yuya Shibakai est une espèce rare au Japon. Ce jeune agriculteur cultive salades, tomates, carottes et autres légumes dotés du label biodans un pays peu sensible à cette tendance en vogue dans le monde. Sur ses 400 hectares de terres situées dans la préfecture de Chiba, en banlieue de Tokyo, il est aux petits soins pour ses plants de laitues et chou kale, produits avec un minimum de pesticides.
Ils sont 12.000 comme lui à s’adonner à ce type d’agriculture dans l’archipel, pour à peine 0,5% de la superficie agricole totale, selon des statistiques communiquées par le ministère dans un secteur si balbutiant qu’il est difficile d’obtenir des données précises et récentes. L’impulsion des autorités reste limitée, et le modèle agricole japonais, organisé autour de coopératives contrôlant tout, ne favorise pas les producteurs bio qui privilégient les circuits courts.
Framboises du Mexique
C’est en voyant ses parents s’émanciper du modèle habituel pour nouer un contact direct avec les consommateurs que Yuya Shibakai, aujourd’hui âgé de 32 ans, a eu envie d’aller plus loin. Après des études universitaires sur l’agriculture biologique, il a repris l’exploitation familiale en 2009.”Il est temps que s’établisse au Japon un système de distribution différent, un système pérenne pour les agriculteurs qui changerait aussi positivement la vision de notre métier”, préconise-t-il.
S’il ne regrette pas son choix, il avoue devoir lutter “au quotidien pour trouver des moyens d’augmenter le rendement dans un système qu’on pourrait qualifier d’improductif, où il faut retirer les mauvaises herbes à la main, tout en maintenant des fonds suffisants pour faire tourner l’entreprise”. Le ministère de l’Agriculture confirme “la lente expansion” d’une forme de culture “qui nécessite davantage de main-d’oeuvre” que les autres exploitations, et peine à produire des récoltes stables faute de techniques adéquates.
Dans ces conditions, pas étonnant que rares soient ceux qui tentent l’aventure.Trouver des fournisseurs capables de répondre à un certain niveau de demande s’est de fait avéré une gageure pour l’enseigne française Bio c’ Bon, qui a débarqué dans l’archipel fin 2016, en partenariat avec le groupe de distribution japonais Aeon. Bio c’ Bon vient d’ouvrir son troisième magasin à Tokyo.
Le paysage est si morcelé que la marque est obligée de travailler avec une multitude d’exploitations (quelque 200) réparties sur l’ensemble du territoire, et même d’importer certains fruits et légumes, telles les framboises du Mexique, outre les vins et fromages venus de France.
Pré-emballés, pré-pesés
Autre défi, adapter l’offre à une clientèle japonaise qui a coutume de se voir proposer des fruits et légumes soigneusement astiqués, calibrés et présentés sous leurs plus beaux atours. “Au Japon, les clients ont tendance à aller très vite et à prendre des produits pré-emballés et pré-pesés, donc nous avons travaillé pour trouver un juste équilibre entre notre modèle de marque et les habitudes de consommation japonaises”, explique Pascal Gerbert-Gaillard, directeur Asie de Bio c’ Bon.
La marque propose donc par exemple les tomates en sachet ou en vrac, et veille à enlever les produits dès qu’ils sont un tantinet abîmés. Les premiers résultats sont plutôt encourageants: peu de “salarymen” certes, mais une clientèle au rendez-vous – “des Japonais entre 30 et 40 ans, surtout des femmes, et des expatriés”. Et les projets foisonnent, “avec au minimum une trentaine de magasins sur Tokyo et sa grande banlieue d’ici aux jeux Olympiques de 2020” pour venir combler “une offre famélique”, pour l’heure essentiellement concentrée sur internet.
Reste à convaincre davantage de Japonais de franchir le pas malgré des écarts de prix parfois dissuasifs avec les fruits et légumes conventionnels déjà très chers. Les ventes d’aliments biologiques ne dépassent guère le milliard d’euros, à comparer à un marché mondial d’environ 80 milliards d’euros, dominé par les Etats-Unis (38,9 milliards) puis, loin derrière, l’Allemagne, la France et la Chine. Le marché nippon stagne quand il croît à deux chiffres dans l’Hexagone, où il s’est élevé à plus de 8 milliards d’euros l’an dernier pour deux fois moins d’habitants.
“J’ai remarqué au fil des ans plus d’intérêt des consommateurs et des entreprises, mais ce n’est pas encore entré dans les moeurs”, observe Rika Oishi. Cette mère de famille a fondé la compagnie SuperOrganic il y a sept ans, juste après l’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011 qui a accru la demande en produits “sains”, notamment de la part des étrangers vivant à Tokyo.
Pour “capter l’attention des jeunes générations”, Yuya Shibakai a donc imaginé des produits innovants, comme ces assortiments de salades prêts à l’emploi qui rencontrent un franc succès: il en vend 500 à 600 par semaine.
Avec weforum