Le régime éthiopien dirigé par le nouveau Premier ministre Abiy Ahmed a pris un important virage et visage réformateur, dans ce deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. Principale annonce de la coalition au pouvoir (EPRDF) : la fin de son différend frontalier avec l’Erythrée. L’Ethiopie ouvre en outre plusieurs grandes entreprises publiques au capital privé.
C’est par communiqué, publié sur son compte Facebook, que la coalition au pouvoir, l’EPRDF, a renversé la table.
Des annonces surprises en cascade qui représentent un véritable virage pour le deuxième pays le plus peuplé du continent. Le point sur ces mesures.
■ Levée de l’état d’urgence
Un Premier ministre Oromo, la libération de blogueurs et d’opposants politiques,
le rétablissement de l’Internet, et maintenant la levée de l’état d’urgence… deux mois avant la date prévue. Le gouvernement n’en finit pas de multiplier les gestes d’apaisement.
Le gouvernement a levé ce 5 juin l’état d’urgence décrété mi-février après la démission du Premier ministre et d’importantes manifestations contre le régime.
Le Parlement s’est réuni ce matin et a voté en faveur de cette levée en raison « de la stabilité relative et du calme » dans le pays.
Depuis deux ans, le pays est agité par un important mouvement de protestation qui a débuté en région Oromo. Mais la contestation s’est rapidement étendue à d’autres régions et s’est installée dans la durée. Face à cette crise, le pouvoir a investi pour la première fois un Premier ministre issu de l’ethnie oromo, la plus importante du pays.
La levée de l’état d’urgence est largement interprétée comme un nouveau signe d’ouverture.
Il faut dire que le pays est confronté à la plus importante crise politique de son histoire. Les manifestations accusent le régime, dominé par l’ethnie minoritaire tigréenne, de monopoliser le pouvoir et l’économie depuis plusieurs décennies. Le régime dos au mur n’avait d’autres choix que de s’ouvrir.
Depuis deux mois, le Premier ministre Ahmed Abiy multiplie donc les rencontres, appelle les jeunes à lui donner du temps pour mener à bien ses réformes, affirmant que le pays est désormais sur la voie du changement.
Cette levée de l’état d’urgence contribue à asseoir son autorité. Mais jusqu’où pourra-t-il aller dans ses réformes ? Et seront-elles suffisantes pour juguler cette contestation sans précédent ?
■ Soudaine ouverture économique au secteur privé
Le gouvernement a également annoncé aujourd’hui l’ouverture du capital de plusieurs grandes entreprises publiques au secteur privé. Une rupture totale avec la politique économique des précédents.
Parmi les compagnies concernées, les plus emblématiques sont l’aérienne Ethiopian Airlines ou la société de télécoms Ethio Telecom. L’Etat garde toutefois la majorité de contrôle. La majorité des parts sera « détenue par le gouvernement tandis que le reste sera mis sur le marché pour des investisseurs domestiques ou étrangers », a annoncé la coalition au pouvoir.
Celle-ci a ajouté mardi que les chemins de fers, des parcs industriels et des usines pourraient être complètement privatisés.
Cette ouverture au secteur privé « doit permettre aux citoyens éthiopiens vivant à l’étranger, qui souhaitent depuis longtemps participer au développement de leur pays, ainsi qu’aux étrangers avec leur savoir faire et leurs devises, de jouer un rôle positif dans notre croissance », est-il précisé.
Le Fonds monétaire international prévoit une croissance de 8,5% pour 2018 en Ethiopie (le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 100 millions d’habitants), en baisse par rapport aux 10,9% de croissance enregistrés en 2017.
■ La fin du conflit avec l’Erythrée
« Le gouvernement éthiopien a décidé de mettre en oeuvre pleinement l’accord d’Alger (signé en 2000 pour mettre fin au conflit entre les deux pays) et (les conclusions) de la commission sur la démarcation de la frontière », écrit la coalition au pouvoir dans son communiqué.
Dans son discours d’investiture début avril, le Premier ministre Abiy Ahmed avait promis de travailler à restaurer la paix avec l’Erythrée. Reste à présent à savoir si l’Erythrée acceptera cette main tendue. « Le gouvernement érythréen devrait adopter la même position sans condition préalable et accepter notre appel à restaurer la paix trop longtemps perdue entre les deux pays frères, comme c’était le cas auparavant », a ajouté l’EPRDF.
L’Erythrée a accédé à l’indépendance en 1993, faisant perdre à l’Ethiopie son unique façade maritime sur la mer Rouge. Entre 1998 et 2000, les deux voisins se sont livré une guerre fratricide qui a fait au moins 80 000 morts, notamment en raison de divergences sur la démarcation de leur frontière.
Un accord de paix avait été signé fin 2000 à Alger puis une commission d’arbitrage soutenue par l’ONU avait tranché sur le tracé de la frontière, attribuant notamment la localité de Badmé, point de contentieux, à l’Erythrée. Mais l’Ethiopie a continué jusqu’à présent à occuper Badmé.
■ Comment interpréter ce changement de cap?
Ces trois annonces n’ont rien à voir les unes avec les autres, si ce n’est qu’elles représentent un changement majeur de politique.
Abiy Ahmed, nommé au poste de Premier ministre pour juguler la crise politique, avait promis d’importantes réformes lors de son discours d’investiture en avril dernier.
Selon un observateur de la vie politique, le Premier ministre profite de sa popularité pour faire rapidement passer des réformes ambitieuses que la vieille garde n’aurait autrement pas acceptées.
Pour Eloi Ficquet, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ces mesures sont de nature à rassurer les Ethiopiens, de l’intérieur comme ceux de la diaspora, mais aussi les investisseurs étrangers. « La situation économique du pays reste fragile, fortement dépendante des acteurs, des investisseurs extérieurs. Aller vers l’apaisement peut redonner confiance et jouer un effet positif sur l’économie, analyse le spécialiste. Jusqu’à quel point ? Il y a là en tout cas des mesures très volontaires qui sont prises pour répondre à des attentes exprimées par plusieurs partenaires. »
Avec rfi