Après une décennie de mesures de relance économique, les banques centrales se sont engagées à mettre fin à leur politique monétaire laxiste. Leurs tentatives sont infructueuses.
La Réserve fédérale a augmenté les taux d’intérêt, poussant le rendement du Trésor sur deux ans à environ 2,5 %. Toutefois, les obligations d’État du Royaume-Uni, du Japon et de l’Allemagne tournent toujours autour de planchers records, tandis que les rendements des bons du Trésor à long terme sont stables par rapport aux taux à court terme. Bien que la Banque centrale européenne (BCE) prévoie en fin d’année une inflation des prix à la consommation de 1,5 % en glissement annuel, l’inflation reste stable, les derniers chiffres ne la fixant qu’à 1,2 %.
En avril de cette année, le président de la BCE, Mario Draghi, a réaffirmé sa « confiance inchangée » que la banque atteindrait son objectif – mais dans une sorte de revirement logique, il a également soutenu que l’assouplissement quantitatif (QE) peut avoir stimulé la croissance de la production potentielle, laissant à son tour « plus de marge de manœuvre pour maintenir l’accommodement monétaire suffisant en place ». Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a également atténué les attentes en matière de hausse des taux d’intérêt, que les investisseurs avaient prévue pour mai. La Banque du Japon a supprimé son objectif 2019 d’une inflation à 2 %.
La Fed était censée diriger la normalisation de la politique économique mondiale. Mais on dirait bien qu’elle bouge toute seule. D’autres banques centrales ont-elles raté le coche ?
L’explication officielle est qu’un ralentissement était attendu, du fait de la performance économique de l’année dernière. Mais d’autres facteurs structurels entravent la normalisation à l’extérieur des États-Unis.
En premier lieu, le surendettement reste important malgré l’amélioration globale de la croissance et de l’emploi. Les États-Unis ont réussi à restructurer le déséquilibre de leur dette privée pendant la crise grâce aux marchés obligataires. En Europe, au Japon et en Chine, au contraire, l’encours de la dette publique et privée a augmenté. Les banques de la zone euro et les banques chinoises détiennent environ 10 % du PIB en prêts non performants. Le ratio dette/PIB de l’Italie reste supérieur à 135 %. Les ménages britanniques ont emprunté jusqu’à 200 milliards de livres sterling en dettes de consommation non garanties. Six pour cent des entreprises cotées de l’Eurostoxx 600 sont des « zombies » qui ne peuvent pas couvrir entièrement le coût de leurs intérêts, selon une analyse de la Bank of America. Mais les faibles taux d’intérêt ont gonflé les bulles de l’immobilier et de la consommation, même dans des pays auparavant considérés comme des havres sûrs – l’Australie, la Suède, le Canada – comme l’a récemment expliqué Stephen Poloz, le gouverneur de la Banque du Canada. En cas de ralentissement de la croissance ou de hausse trop rapide des taux d’intérêt, ces excès menacent de nuire aux consommateurs et aux entreprises, et d’entraver la voie de la normalisation.
En deuxième lieu, les marchés financiers sont devenus de plus en plus vulnérables à la normalisation elle-même. La liquidation de février sur le marché des actions a montré que même une légère variation des anticipations de taux d’intérêt peut renverser la pyramide des carry trades (les opérations spéculatives d’écarts de rendement qui exploitent les différences de taux d’intérêt) puisqu’elles reposent à la fois sur l’assouplissement quantitatif et sur les prévisions à terme, comme nous l’avions anticipé l’année dernière. Nous estimons qu’au moins 500 milliards de dollars de stratégies d’investissement misent sur une faible volatilité et des corrélations stables, et s’ajoutent aux 2,3 billions de dollars d’obligations à haut rendement et aux 12 billions de dollars de dette publique dont le rendement est inférieur à 1 %. L’accumulation de paris sur la volatilité à court terme peut générer une boucle de rétroaction, où les investisseurs qui dénouent leurs positions peuvent alimenter une volatilité plus élevée, ce qui finit par nuire à la confiance.
En troisième lieu, les mesures de relance budgétaire de l’administration Trump, les plus importantes jamais mises en œuvre en temps de paix, ont encore accru l’écart de croissance entre les États-Unis et les autres économies développées. Nous sommes passés d’une expansion mondiale synchronisée à une ère de divergence de croissance entre les États-Unis et le reste du monde. Cela signifie que la Fed continuera d’augmenter les taux et de reconstruire sa politique tampon, mais aussi de resserrer les conditions financières pour le reste du monde, laissant peu de temps aux autres économies développées pour sortir de leurs déséquilibres et normaliser leur politique.
Cela crée un dilemme pour les autres banques centrales. Suivre la Fed à la hausse, c’est risquer de mettre fin trop tôt à la reprise, mais laisser les taux d’intérêt au plus bas, c’est risquer d’être en difficulté au moment de faire face au prochain ralentissement, qui, selon la plupart des économistes, devrait se produire d’ici quelques années.
Au cours de la dernière conférence de presse qu’il a donnée avant de quitter ses fonctions, le vice-président de la BCE, Vitor Constâncio, nous a laissé un indice inquiétant sur l’avenir : « Je doute que l’on puisse revenir à la vie simple de la politique monétaire telle qu’elle était, avec de très petits bilans de banque centrale et une politique ciblant uniquement le taux du marché monétaire au jour le jour. »
Les mesures de stimulation monétaire ne peuvent que retarder le problème, pas le résoudre. Notre système financier a été conçu dans le contexte de la croissance démographique de l’après-guerre et d’une industrie avide de matières premières. Aujourd’hui, la technologie optimise le partage des ressources et la substitution des biens, tandis que la démographie stagne, de sorte que la cible consensuelle d’une inflation à 2 % n’est plus réaliste.
Les États-Unis ont montré que la sortie d’une récession du bilan nécessite une réduction rapide du surendettement. La rationalisation des produits de gestion de fortune en Chine ainsi que les pressions exercées par la BCE pour consolider les bilans des banques sont des pas dans la bonne direction. Une autre mesure positive est la création d’une dette flexible pour absorber les chocs futurs, comme les CoCo (obligations contingentes convertibles) pour les banques et la dette liée à la croissance pour les États souverains, comme le Mécanisme européen de stabilité issu d’une proposition française pour la Grèce. Mais la fenêtre temporelle se referme et la plupart des surendettements sont encore incontestés. L’inaction fait peser le risque de créer un environnement à la japonaise d’assouplissement quantitatif infini, qui faussera encore davantage l’allocation des ressources et les prix des actifs tout en augmentant la richesse des propriétaires d’actifs contre les jeunes générations.
Avec weforum