« LE GROUPE BANQUE CENTRALE POPULAIRE VEUT CONSTRUIRE LE PREMIER GROUPE BANCAIRE PANAFRICAIN QUI SOIT SOLIDAIRE ET ANCRÉ LOCALEMENT »
Le groupe marocain Banque Centrale Populaire (BCP) a ouvert une nouvelle étape de son aventure en Afrique subsaharienne avec le rebranding de ses filiales dans 9 pays de la région qui adoptent désormais ses couleurs et son emblème du cheval. Une démarche qui vient appuyer sa vision globale de construire « le premier groupe bancaire panafricain ».
Dans cette interview accordée à Financial Afrik, Kamal Mokdad, le directeur à l’international du groupe, aborde les enjeux de la BCP qui s’intéresse toujours au marché rwandais, s’ouvre une fenêtre sur l’Afrique anglophone et l’Asie, et prépare son incursion dans le mobile banking.
Comment comprendre ce changement d’identité visuelle pour les filiales africaines de BCP ?
Nous nous sommes effectivement réunis à Abidjan le 24 Avril dernier pour annoncer le déploiement d’une nouvelle identité visuelle dans l’ensemble de nos filiales en Afrique subsaharienne. Une identité visuelle en phase avec celle que nous avons au Maroc et dont l’emblème unique est le cheval. Nous avons adoptons, donc, cet emblème [le cheval] qui fait partie du capital immatériel du groupe Banque Centrale Populaire, et qui sera déployé dans l’ensemble de nos seize filiales dans les neuf pays où nous sommes aujourd’hui présents en Afrique de l’Ouest. Ce choix a été accompagné de notre décision de maintenir la marque Banque Atlantique qui est une marque historique, disposant d’un ancrage local fort.
Nous avons reçu à cette occasion une importante délégation gouvernementale, l’ambassadeur du Maroc en Côte d’Ivoire et plus de 1 600 invités qui ont été également conviés à prendre part à un grand concert donné par Youssou N’Dour. Cet artiste représente pour nous un porte-emblème fort de cette ambition que nous portons pour notre continent africain. C’était également l’occasion de célébrer le 40ème anniversaire de Banque Atlantique Côte d’Ivoire (BACI), notre plus importante filiale en Afrique de l’Ouest.
Parmi les personnes invitées, étaient présents nos clients et partenaires. Il y avait aussi nos collaborateurs et directeurs généraux de nos filiales à qui nous avons souhaité rendre un hommage solennel et appuyé en raison du travail considérable qui a été effectué pour porter le groupe dans la position où il est aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Comme vous le savez, le groupe BCP est présent dans 14 pays en Afrique et nous occupons, en tant qu’acteur bancaire, la troisième position dans la zone UEMOA, la deuxième en Côte d’Ivoire et la première au Niger.
Pourquoi ce timing maintenant ?
Nous avons décidé d’adopter cette nouvelle identité visuelle avec l’emblème fort du cheval parce que cela représente un moment historique dans la vie de notre groupe. Un moment où nous avons cristallisé nos ambitions pour le continent africain à travers la mise en place d’un nouveau plan stratégique qui a été lancé il y a moins d’un an et qui commence déjà à porter ses fruits.
Nous avons aussi souhaité exprimer les spécificités de notre groupe et notre volonté de partager davantage notre expérience avec nos différentes filiales subsahariennes. Au Maroc, le groupe BCP est en effet dans une position de leadership sur plusieurs métiers notamment en termes de collecte des dépôts, de couverture agences et de contribution à l’inclusion sociale et financière des populations. Il est également un partenaire majeur des pouvoirs public pour la réalisation des chantiers structurants du pays.
Ce changement d’identité visuelle représente donc pour nous une nouvelle vision de notre stratégie en Afrique. Il s’agit, en effet, de construire le premier groupe bancaire panafricain qui soit solidaire et ancré localement. Nous voulons être encore plus proches des populations et des États pour les accompagner dans le financement des grands projets structurants qu’ils sont en train de mener : c’est le début d’une nouvelle vision stratégique du groupe avec des ambitions fortes pour accompagner les challenges que doivent relever les différents acteurs dans nos pays de présence.
Vous avez fait le lien entre nouvelle identité et vision stratégique. Quels sont les grands changements attendus dans vos filiales ?
Pour nous, le déploiement de cette nouvelle identité visuelle marque le début d’un certain nombre de décisions stratégiques importantes qui vont concerner le quotidien de nos clients, et qui vont se matérialiser par des exemples très concrets. Le premier a été le déploiement de « Ary », le premier chatbot dans l’espace UEMOA qui permet d’apporter plus de proximité à nos clients grâce à des informations sur notre offre de service et notre réseau de distribution. Le chatbot « Ary »offre également des services à grande valeur ajoutée tels que les cours de change ou encore les simulations de crédit. Il s’agit donc de la poursuite de notre stratégie novatrice entamée ces dernières années. Nous avons également lancé des solutions autour du Wallet, et avons été les premiers à proposer des solutions de transferts et de retraits à partir de nos GAB et de nos agences bancaires pour les clients porteurs de wallets, à travers des solutions Wallet to Bank et Bank to Wallet.
Nous allons par ailleurs revoir les aménagements intérieurs de nos agences en Côte d’Ivoire mais aussi dans nos pays de présence en Afrique de l’Ouest pour moderniser et améliorer la qualité du service qu’on propose à nos clients. Nous travaillons aussi sur une nouvelle solution de mobile banking qui sera prochainement déployée dans l’ensemble de nos pays de présence, mais également sur des services innovants pour nos clients dans le domaine agricole, en collaboration avec un établissement financier de renommée internationale.
Justement, le mobile banking est de plus en plus exploré dans la région. Quelles sont vos ambitions dans ce domaine ?
Nous avons des ambitions fortes dans le mobile banking qui est aujourd’hui une réalité incontournable dans notre région. A la BCP, on le voit plutôt comme une opportunité parce que nous pensons que nous pouvons travailler d’une manière intelligente avec les opérateurs télécoms, avec qui nous sommes dans une logique de « collaboration-compétition ». En fait, nous pensons qu’en tant qu’acteur bancaire, nous avons une importante carte à jouer car nous maîtrisons le métier bancaire. Nous avons également l’agrément réglementaire pour exercer un certain nombre d’activités qui ne peuvent pas être opérés aujourd’hui par les acteurs télécoms. Nous souhaitons aussi déployer un réseau de distribution qui soit davantage proche de nos clients selon un modèle différencié par rapport au modèle traditionnel qu’on connaît. Cela, tout en utilisant le réseau de téléphonie pour promouvoir un certain nombre de services comme la microfinance, le microcrédit et la micro-épargne.
Comme je le disais, on devrait dans les prochains mois annoncer la mise en place d’une nouvelle solution de mobile banking dans l’ensemble de notre réseau. Je rappelle aussi qu’on a eu récemment le prix de la fondation MastreCard pour une solution totalement digitale, destinée au monde rural dans l’ensemble de la région UEMOA. Nous travaillons aussi sur la digitalisation de notre offre pour les chaînes de valeur de nos clients corporate.
Donc, pour nous, la banque mobile est un axe de développement structurant. D’ailleurs, nous sommes l’un des principaux partenaires des opérateurs télécoms dans la zone UEMOA et aujourd’hui, quand vous avez par exemple un wallet Orange, vous pouvez aller dans n’importe quel GAB ou agence Banque Atlantique et retirer votre argent sans avoir besoin de carte de crédit.
Après avoir couvert toute la zone UEMAO, vous avez fait le grand écart en vous implantant à l’autre bout du continent, à Maurice et Madagascar. Quelle est la stratégie sous-jacente à ces nouvelles implantations ?
Nous sommes présents dans 14 pays en Afrique et 14 autres pays dans le reste du monde, notamment en Europe, en Scandinavie, en Amérique du nord et au Moyen Orient où nous disposons de bureaux en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis ou encore plus récemment au Qatar. Cette logique de présence à l’international a des fondements stratégiques. Nous y sommes, en effet, plus proches de la diaspora marocaine établie à l’étranger, avec un plus d’un millions de clients, et œuvrons pour faciliter les relations d’affaires entre les entreprises dans nos différents pays de présence. Et nous avons souhaité également à travers ce changement d’identité visuelle en Afrique marquer notre prédisposition et notre capacité à répondre aux besoins de la diaspora africaine à travers le monde.
L’autre pilier stratégique de notre vision réside dans l’ouverture sur l’Asie. Dans cette optique, on pense que l’Île Maurice constitue un corridor extrêmement important pour pouvoir capter un certain nombre de flux de commerce et d’investissement qui viennent en Afrique, notamment l’Afrique anglophone, à travers l’Île Maurice. Nous avons en effet des corridors très forts tels que Inde-Maurice et Chine-Maurice qui devraient nous permettre de mieux nous positionner en Afrique.
A travers notre implantation en Île Maurice, on vise principalement l’activité de « Global Banking », c’est-à-dire cette capacité à financer des projets stratégiques soit en Asie, soit en Afrique anglophone depuis l’île Maurice. Nous sommes d’ailleurs le premier et seul groupe bancaire d’Afrique de l’Ouest et du Nord à être présent à Maurice. Et nous voulons profiter de cet avantage-là pour constituer un premier pont entre l’Afrique et l’Asie à travers l’Île Maurice, et un second pont pour accompagner le développement du commerce et des investissements entre les parties anglophone et francophone de l’Afrique.
Où en êtes-vous dans vos discussions avec Bank Of Kigali qui était dans votre viseur ?
Concernant Bank Of Kigali, nous avions effectivement exprimé un intérêt pour cette banque, mais les autorités rwandaises nous ont informés que l’établissement n’était pas, à ce stade, prêt pour accueillir « un partenaire industriel » dans son tour de table. Nous ne sommes pas un fonds d’investissement ; nous souhaitons bâtir des logiques de partenariats intégrés avec les banques sur lesquelles on se positionne. Nous avons donc respecté cette décision.
Nous restons ceci dit intéressés par le marché rwandais et nous ne manquerons pas d’examiner demain de nouvelles opportunités qui pourraient s’y présenter y compris avec Bank Of Kigali. Les autorités rwandaises nous ont informé que si demain les discussions sont ouvertes au sujet de Bank Of Kigali, elles auront d’abord lieu avec la Banque Centrale Populaire. Pour nous, c’est donc un sujet qui est juste différé dans le temps et nous maintenons un intérêt fort pour le marché rwandais. Nous venons d’ailleurs d’y introduire une demande d’agrément pour notre filiale AMIFA, la holding du groupe qui porte nos filiales de microfinance en Afrique.
Aujourd’hui que représente l’international dans les résultats du groupe BCP ?
Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne fait résolument partie de notre stratégie. Cela se traduit par des décisions fortes comme celle de créer une direction générale dédiée à l’international et qui est une première dans le secteur bancaire marocain. Nous avons mobilisé beaucoup de moyens financiers et humains pour mettre en place cette nouvelle vision stratégique qui a permis d’augmenter la contribution des banques à l’international dans les résultats du groupe. En 2017, l’encours de crédits à l’international a augmenté de 25%, l’encours de dépôts a progressé de 18% et la marge d’intérêt a augmenté de 23%. Pour sa part, le résultat net de l’international a bondi de 43%.
En termes de contribution des agrégats consolidés du groupe dans le PNB, l’international contribue à hauteur de 18% (fin 2017) contre 14% à fin 2016. En termes de résultat, la contribution est de 15%, et c’est quasiment la même contribution en terme de total bilan.
Il faut aussi relever que l’international a contribué en 2017 à hauteur de 50% pour l’additionnel des crédits qui ont été distribués par tout le groupe. C’est dire toute la dynamique et le poids que représente désormais l’international dans la stratégie de la BCP.
Les autres groupes marocains comme BMCE et Attijariwafa Bank ont fait le choix d’introduire leurs filiales ouest africaines à la BRVM, la bourse régionale de la zone UEMOA. Cette option est-elle envisagée à la BCP ?
C’est une option qu’on examine pour un déploiement à horizon 3 à 4 ans. L’introduction en Bourse fait partie des choix stratégiques qui se présenteraient à nous quand on aura parachevé le processus de transformation tel qu’on l’a pensé pour notre groupe Banque Atlantique. Et à ce moment-là probablement, la décision portera sur l’introduction en Bourse de ABI (Atlantic Business International, holding du réseau Banque Atlantique, ndlr) plutôt que des banques isolées, car notre modèle de présence en Afrique de l’Ouest est unique. Nous sommes, en effet, le seul groupe bancaire à avoir fait le choix de disposer d’une plateforme régionale en plus de nos banques. ABI, qui est basée en Côte d’Ivoire, ce sont plus de 130 collaborateurs et une organisation à l’image de la BCP, avec des structures régaliennes et autonomes (gouvernance, conformité, contrôle interne, juridique…) mais aussi des fonctions métiers comme le retail, le coverage, et le trade finance. Donc ABI est là pour soutenir le développement et faciliter la gestion de nos clients transversaux dans tous les pays de présence en Afrique subsaharienne. Cette unicité nous permet d’envisager une éventuelle introduction en Bourse de la holding qui est en réalité un organe central pour nos filiales financières dans l’UEMOA, comme l’est la Banque Centrale Populaire pour nos banques régionales au Maroc. Il faut dire que ABI, même s’il n’est pas un établissement de crédit, est désormais régulé par la Commission bancaire avec Bâle 2/3.
Quel est aujourd’hui l’apport du réseau Banque Atlantique pour les économies concernées ?
Aujourd’hui le groupe Banque Centrale populaire, c’est environ 3 000 milliards FCFA (4,57 milliards d’euros, ndlr) de financements qui sont injectés dans les économies des pays de la sous-région où nous sommes implantés. Sur ce montant, c’est environ 1 000 milliards FCFA (1,52 milliard d’euros, ndlr)) d’obligations aux États qui permettent de générer des marchés qui profitent aux PME. C’est donc 2 000 milliards FCFA (3,05 milliards d’euros, ndlr) de financement destinés aux institutionnels, aux PME et aux particuliers.
Avec financial