Chronique PAROLES D’AVOCATS 5/10. Intégrer en amont et de manière systématique un réflexe en propriété intellectuelle afin d’élaborer, selon son cœur de métier, ses priorités et son budget, est une stratégie de protection et de défense appropriée.
En matière de propriété intellectuelle, nombreux sont les cas de figure où une entreprise omet de constituer un monopole qu’elle pourrait valablement obtenir, ou ne tire pas pleinement profit d’un avantage concurrentiel dont elle dispose, à défaut de se protéger de manière adéquate. Les exemples sont légion et aucun domaine de la propriété intellectuelle ni aucune industrie ne sont vraiment épargnés.
La perte d’un avantage concurrentiel
Plusieurs circonstances, très différentes les unes des autres en fonction des droits de propriété intellectuelle concernés, peuvent aboutir à l’absence de constitution de monopole par l’entreprise ou à la perte du monopole obtenu, voire à une situation où l’entreprise court un risque par rapport à des droits qu’elle aurait pu ou dû obtenir.
Dans le domaine des brevets, il s’agira par exemple de l’entreprise qui divulgue une invention au travers de la démonstration d’un prototype, afin de décrocher un contrat ou effectuer des tests, et qui ignore que cette divulgation, sans être protégée par des accords de confidentialité, est susceptible de l’empêcher ensuite d’obtenir un brevet valable sur l’invention, celle-ci ne pouvant désormais plus être considérée comme nouvelle. En ce qui concerne le savoir-faire, une entreprise peut perdre le monopole de fait dont elle disposait à défaut d’avoir protégé son savoir-faire par un accord de confidentialité.
L’entreprise peut également perdre son monopole en ne défendant pas de manière appropriée les droits de propriété intellectuelle qu’elle s’était pourtant valablement constitués. Ainsi en est-il de l’entreprise qui, sans réagir, laisse le public utiliser sa marque comme la désignation courante du produit qu’elle protégeait. Victime de son succès, la marque pourra être annulée du fait de sa dégénérescence.
Au-delà des pertes d’opportunités commerciales liées à ce défaut de constitution ou de maintien de ses droits exclusifs, l’entreprise va également se mettre elle-même en situation de risque en ne gérant pas bien ses droits de propriété intellectuelle. Ainsi en sera-t-il, en droit d’auteur, de l’entreprise qui ignore qu’en France, contrairement aux règles applicables dans d’autres pays du monde, en particulier ceux fondés sur un système de copyright, les créations réalisées par un salarié appartiennent au salarié et non à l’employeur, en l’absence de cession en bonne et due forme. L’entreprise risque alors de porter atteinte aux droits détenus par ses salariés. De même en sera-t-il pour l’entreprise qui ne protège pas ses marques ou créations par le biais de dépôt de marques ou de dessins et modèles. Ce dernier outil est, il est vrai, relativement peu utilisé en Europe mais largement exploité dans d’autres pays du monde, notamment en Chine. Dès lors, l’entreprise risquera dans certains pays de voir son accès aux marchés locaux bloqués lorsque ses marques ou créations y auront été déposées par un tiers ou de devoir rebrander ses produits pour accéder à ces marchés.
Ces situations sont nombreuses et il ne s’agit là que de quelques illustrations. Leur dénominateur commun est majoritairement une méconnaissance des règles applicables en la matière, rendues encore plus complexes dans un contexte international en raison des particularités propres à chaque pays.
Pourtant, dans tous ces cas, le constat est le même pour l’entreprise quelle que soit son activité : faute d’avoir identifié le monopole dont elle pourrait bénéficier et de l’avoir protégé ou défendu de manière adéquate, l’entreprise va perdre le bénéfice d’un avantage concurrentiel et appauvrir son capital immatériel, ce qui ne pourra qu’affecter sa valorisation.
Quel réflexe avoir face à ce constat ?
Intégrer en amont et de manière systématique un réflexe en propriété intellectuelle afin d’élaborer, selon son cœur de métier, ses priorités et son budget, est une stratégie de protection et de défense appropriée. Attention, qui dit stratégie ne signifie certainement pas dépôt systématique de droits de propriété intellectuelle au niveau mondial, stratégie qui se révélerait d’ailleurs illusoire dans de nombreux cas, onéreuse et pas forcément appropriée.
Qui dit stratégie dit en revanche identifier les centres de création de valeur, hiérarchiser les priorités et prendre en compte les spécificités en matière de protection en fonction des régions et pays du monde. Seule cette stratégie permettra à l’entreprise de réellement valoriser son capital immatériel.
Virginie Ulmann, Avocat Associé en charge du département Propriété Intellectuelle de Baker & McKenzie.
Avec lesechos