La vague du digital va créer de nouvelles qualifications dans les usines et en faire disparaître d’autres. La formation continue sera un instrument indispensable pour mener à bien ces mutations.
Quel sera l’impact du numérique sur les métiers de l’industrie ? La question taraude industriels, syndicalistes et think tanks du secteur. Du Big Data à la « cobotique », en passant par les objets connectés, toutes ces technologies liées à Industrie 4.0 vont s’installer progressivement dans les usines. Pour les experts, cette nouvelle vague digitale va changer la donne parce qu’elle permettra d’automatiser des emplois qualifiés et plus seulement de substituer la machine aux muscles de l’homme.
« La frontière qui sépare les métiers automatisables des autres ne recoupe plus la distinction “manuel-intellectuel” », explique Max Blanchet, « senior partner » chez Roland Berger, dans son dernier livre « Industrie 4.0 : nouvelle donne industrielle, nouveau modèle économique ». Ce qui rend une tâche automatisable à l’heure du numérique, c’est avant tout son caractère répétitif, qu’elle soit manuelle ou intellectuelle. » Ce basculement, rendu possible par l’utilisation de l’informatique décisionnelle, va avoir un impact profond.
D’après une étude du Roland Berger Institute, sur les 185 métiers que l’on trouve aujourd’hui dans l’industrie, environ 50 % auront une probabilité très forte d’être automatisés dans les vingt ans à venir. On peut citer pêle-mêle régleur, cariste, vérificateur qualité usine, outilleur, opérateur de machines assistées par ordinateur… France Stratégie, qui utilise une méthodologie différente, évoque plutôt un chiffre de 25 %. Dans le même temps, d’autres qualifications vont se développer, comme statisticien de maintenance prédictive, formateur de « cobots », cyber-testeurs (tests de produit par simulation) ou paramétreurs de systèmes de contrôle…
Evoluer avec les innovations
« Il y aura certes ces nouveaux métiers, mais on se dirige davantage vers une hybridation des professions et un élargissement des tâches », estime Thibaut Bidet-Mayer, chef de projet pour le think tank La Fabrique de l’industrie. « L’automatisation des usines entraîne une requalification des postes », précise Patrick Benammar, directeur rémunération, avantages sociaux et formation chez Valeo. La conséquence immédiate est une diminution des postes les moins qualifiés et des tâches pénibles. Les travailleurs sont redirigés vers des missions faisant appel à davantage de compétences, notamment d’anticipation.
Pour accompagner ces changements, la formation continue apparaît comme un instrument fondamental. « Cette industrie du futur peut être l’occasion d’une montée en gamme des qualifications des salariés », explique Isabelle Martin, secrétaire confédérale CFDT et membre du Conseil national de l’industrie. Objectif : apporter une culture numérique et apprendre les nouveaux usages à chacun.
Pas question de changer radicalement de population de salariés. « Le changement culturel et les compétences numériques doivent s’ajouter à la connaissance du métier », pense Thibaut Bidet-Mayer. « C’est plus facile d’amener un ingénieur process au digital que l’inverse », confirme Philippe Darmayan, président de l’Alliance Industrie du futur, qui regroupe les organisations professionnelles de l’industrie et du numérique.
Même si les nouvelles technologies vont prendre une très grande place, le coeur des métiers devrait rester central et l’expertise technique également. « Nous n’avons pas de visibilité à plus de vingt ans, il faut donc un accès à la formation continue tout au long de la carrière pour évoluer avec les innovations », précise Philippe Darmayan.
La formation initiale sera également chamboulée. L’absence de visibilité sur les métiers de demain oblige les écoles à « apprendre à apprendre ». « Aujourd’hui, le marché de l’emploi évolue tellement rapidement que l’individu que nous formons est quelqu’un qui a l’appétence et la possibilité de se former et d’apprendre tout seul », indique Laurent Carraro, directeur général d’Arts et Métiers ParisTech.
L’entreprise comme lieu d’apprentissage
En plus d’un fort recours à la formation continue, Isabelle Martin plaide pour que « l’entreprise soit également un lieu d’apprentissage. Etant donné l’accélération de l’évolution des compétences jugées indispensables, l’organisation du travail doit permettre une formation sur le lieu du travail ». Pour cela, les nouvelles technologies fournissent des outils très riches. Un opérateur effectuant une tâche sur une machine avec des lunettes connectées, commentant et expliquant ses gestes peut donner lieu à un tutoriel diffusé à ses collègues.
Des plates-formes numériques sont en train de voir le jour pour permettre l’échange d’informations. Des Mooc, des réseaux sociaux d’entreprise sont aussi en place dans nombre de sociétés. Cette évolution s’accompagne d’un management plus collaboratif, où les compétences sociales seront davantage stimulées. « Dans cinq ou dix ans, dans l’industrie, tout le monde parlera robot et digital, pense Nicolas Orance, directeur de l’innovation chez Daher. Ce qui fera la différence, c’est l’homme et la femme dans l’usine, pas les technologies. »
Avec lesechos