Quel est le point commun entre Brad Pitt et Philippe Vandel ? Ils sont incapables de se souvenir de l’apparence d’une personne qu’ils ont déjà rencontrée.
n est patient avec les dyslexiques, on s’amuse des personnes qui n’ont pas le sens de l’orientation. Mais les gens qui ne savent pas reconnaître ceux qu’ils ont déjà rencontrés ne font l’objet d’aucune compassion. Au contraire, on les trouve hautains, voire un peu snobs… Puisqu’on les reconnaît, ils devraient pouvoir nous reconnaître aussi, non ? Les prosopagnosiques – puisque leur handicap porte un nom – s’en sont généralement rendu compte sur le tard.
A l’école, personne ne teste votre capacité à reconnaître les visages. Longtemps, ils racontent s’être sentis vaguement coupables. « Je m’en voulais, comme si je n’avais pas d’intérêt pour les gens, alors que je suis quelqu’un qui s’intéresse aux autres… », jure une journaliste qui préfère taire son nom. Mettez-vous à leur place. Comment auraient-ils pu imaginer que, pour la majorité des gens, le cerveau a cette exceptionnelle capacité à reconnaître un visage familier en moins d’une seconde… alors qu’il en a croisé des milliers tous dotés d’un nez, de deux yeux et d’une bouche à peu près placés aux mêmes endroits ?
C’est d’ailleurs pour essayer de comprendre ce superpouvoir – logé dans la région occipito-temporale droite du cerveau – que les chercheurs s’intéressent à ceux chez qui cela ne fonctionne pas. Ils distinguent la prosopagnosie acquise à la suite d’une lésion cérébrale, qui peut aller jusqu’à une incapacité totale (on ne reconnaît pas son conjoint ni ses propres enfants) de la forme congénitale (des difficultés plutôt qu’une impossibilité totale). A en croire une des rares études sur le sujet, conduite auprès d’étudiants allemands en 2006, 2,5 % de la population mondiale en souffrirait.
Des hommes interchangeables
Parmi les cas célèbres, celui de Jane Goodall, spécialiste des primates — avec les singes, elle ne s’en sort pas mieux, mais ils prennent moins la mouche. Quand elle s’est rendu compte de l’atypisme de ses difficultés, elle a contacté le neurologue britannique Oliver Sacks. Qui lui a non seulement expliqué que ce handicap portait un nom, mais qu’il en souffrait lui aussi. Dans L’Œil de l’esprit (Seuil, 2012), le neurologue raconte d’ailleurs sa propre prosopagnosie. Ou comment il s’est déjà excusé en se cognant contre son reflet dans une glace. Ou comment il n’a pas reconnu son enfant dans un groupe de chérubins.
Mettre un nom sur son problème n’a pas empêché Jane Goodall de se sentir coupable. « C’est humiliant, parce que la plupart des gens pensent que j’invente un truc élaboré pour m’excuser de ne pas les reconnaître parce que je ne m’intéresse pas à eux », raconte-t-elle dans son autobiographie. Elle s’en sort en feignant de reconnaître tout le monde et s’excuse si quelqu’un lui signale ne pas la connaître. « Cela provoque parfois des situations étranges, mais ce n’est pas pire que l’inverse. »
Chroniqueur radio et télé, Philippe Vandel a, lui, adopté la stratégie opposée. « Chaque jour à l’accueil de France Info, il y a entre quatre et six personnes, je ne sais pas qui sont ces gens… Alors je fonce, je marche tête baissée. Et si quelqu’un vient me parler, tant mieux. » Il a déjà imprimé plus d’une vingtaine de fois la page de Wikipedia consacrée à la prosopagnosie pour ceux qui ne le croyaient pas.
Des stratégies compensatoires
Dans les émissions auxquelles il participe, il note les positions de chacun autour de la table. « Dans le milieu de la télé, ce handicap est compliqué à gérer ! Je suis souvent entouré de gens imbus de leur personne qui ne comprennent pas qu’on ne les reconnaisse pas… Et je me retrouve dans des soirées avec tous ces mecs habillés en costume noir avec une chemise blanche sans cravate. »
Les effets de mode n’arrangent pas les prosopagnosiques. Notre journaliste anonyme trouve le monde rempli d’hommes bruns légèrement barbus, tous interchangeables. Au travail, elle a renoncé à scruter les gens (« ça ne sert à rien »), mais pallie sa prosopagnosie en gribouillant ses carnets de reporter (« Gros nez ». « Pull bleu ». « Sacoche »). Dans un article, elle avoue avoir déjà écrit « ont déclaré machin et truc » quand elle n’était plus sûre de l’identité de celui qui parlait. « Serveur de resto, videur de boîte de nuit, contrôleur de train… Tous ces métiers qui me sont interdits… », lâche-t-elle, rêveuse.
Les prosopagnosiques vous diront souvent que certaines personnes sont plus faciles à reconnaître que d’autres. Neuropsychologue au service de neurologie du CHU de Toulouse, Thomas Busigny, qui a étudié la prosopagnosie pendant dix ans, confirme. « C’est une question de prototypie : de l’écart moyen entre les yeux à la taille de l’œil, les visages s’éloignent plus ou moins d’une moyenne. »