L’effondrement des rendements sur les produits d’épargne fait fondre les sources de revenus de Boursorama, ING Direct et consorts, qui doivent se diversifier et fidéliser pour survivre.
Mises en difficulté par la baisse des taux de rendement et bientôt concurrencées par des “néo-banques” 100% mobiles, les banques en ligne françaises se trouvent à un moment charnière de leur histoire. Elles doivent rapidement diversifier leurs sources de revenus en élargissant leurs gammes de produits tout en améliorant encore l’expérience client en ligne pour lutter contre l’arrivée des nouveaux acteurs sur le marché.
Les banques en ligne françaises se sont lancées dans les années 2000 en misant d’une part sur des coûts bien moindres que celles des banques traditionnelles grâce à l’absence de réseaux d’agences physiques et d’autre part sur une gamme de produits très peu étendus, principalement d’épargne, pour collecter les fonds destinés à assurer leur financement. “Collecter de l’épargne était encore rentable avec des taux à 7 ou 8%”, explique Laurent Bertin, expert services financiers chez Accenture. Mais aujourd’hui, avec la chute des taux, la marge d’intérêt de gestion des encours de comptes courant ou d’épargne est quasiment nulle. La marge d’intérêt est la différence entre les intérêts servis par la banque à son client et les intérêts totaux qu’elle a réellement perçus.
Deux sources de revenus taries
“Les marges dégagées sur l’activité d’épargne n’ont jamais été aussi basses”, reconnait Julien Schahl, responsable stratégie produits d’investissement d’ING. Chez Boursorama, l’augmentation du nombre de clients (de 750 000 fin 2015 à 850 000 aujourd’hui) et donc des encours sur les produits d’épargne a permis à la banque de ne pas enregistrer de baisse sur ses revenus issus de sa marge d’intérêt. “Mais chaque eurodéposé par un client nous rapportait plus il y a trois ans qu’aujourd’hui”, admet le directeur général adjoint Benoît Grisoni.
Le potentiel de collecte des contrats d’assurance-vie remis en cause
Outre une marge d’intérêt en berne pour les banques, la baisse des taux a aussi pour conséquence de rendre de moins en moins attractifs les produits d’épargne aux yeux des clients et donc potentiellement de ralentir la progression des encours sous mandat. Or les frais de gestion prélevés sur les sommes placées en assurance-vie constituent l’une des principales sources de revenus d’ING Direct et de Fortuneo notamment. Le rendement des contrats étant de moins en moins intéressant, “cela va forcément impacter le potentiel de collecte”, reconnaît Julien Schahl, d’ING. Les encours d’assurance-vie représentent 3,9 milliards d’euros chez ING Direct, en hausse de 20% en 2015.
Les deux sources principales de revenus des banques en ligne sont donc mises à mal… Alors même que leurs modèles sont encore assez peu rentables. “Il faut compter 100 à 200 euros de coût d’acquisition par client pour une banque en ligne et chaque client génère 100 à 200 euros par an de produit net bancaire, contre 300 euros de coût d’acquisition et 400 à 500 euros de PNB pour une banque traditionnelle”, explique Laurent Bertin, d’Accenture. La banque en ligne rentabilise donc bien moins rapidement l’acquisition de ses clients que ses concurrentes traditionnelles.
Un désavantage d’autant plus pénalisant que le taux d’attrition est plus élevé chez les banques en ligne. Logique avec un client qui souscrit chez elles un ou deux produits en moyenne contre 6 ou 7 dans les banques traditionnelles : le lien de fidélité en ressort amoindri.
Diversification : crédit immobilier et bourse
Pour pallier la baisse des taux, les banques en ligne réinventent leur business model en diversifiant leur offre. ING Direct, par exemple, s’est lancé dans le crédit immobilier en 2015. “Nous devons pouvoir nous adapter aux périodes moins propices aux revenus d’épargne, explique Julien Schahl. A terme, nous souhaitons que les revenus issus duprêt soient aussi importants que les produits de placement.” D’ici 2017, la banque en ligne vise un encours d’un milliard d’euros de crédit immobilier. “Nous testerons très prochainement un partenariat avec des brokers pour répondre à tous les besoins immobiliers et nous allons également bientôt prendre en compte les placements locatifs, qu’on ne finance pas encore aujourd’hui.”
Fortuneo proposera cette année des crédits immobiliers
Fortuneo a également prévu de se lancer dans le crédit immobilier cette année et Boursorama, qui le propose depuis 2010, travaille pour le promouvoir auprès de ses clients. “Nous voulons être identifiés sur le créneau et montrer que nous ne faisons pas que du compte courant, confirme Benoît Grisoni. Nos revenus issus du crédit immobilier ont doublé en 2015.”
Les banques en ligne accélèrent aussi sur les activités boursières – l’activité de base de Boursorama, mais moins évidente pour ses consœurs. “La diversification sur le crédit à la consommation est difficile car les acteurs sont déjà nombreux, et le crédit immobilier n’est pas très rentable. Le graal, ce sont les produits d’investissement, qui sont les plus rentables”, analyse Laurent Bertin, d’Accenture. ING Direct revendique 80 000 comptes et 1,1 milliard d’encours sur son activité bourse, en hausse de 4% en 2015.
Travailler l’expérience client
Au-delà de la diversification des revenus, l’enjeu pour les banques en ligne est aussi de pouvoir proposer une expérience bancaire complète pour fidéliser leurs clients. “Nous voulons répondre à trois enjeux : gérer le quotidien avec le compte courant, placer son argent et financer ses besoins”, explique Julien Schahl, d’ING. Et la stratégie des banques en ligne semble payer : en 2015, en France, une ouverture de compte bancaire sur quatre concernait une banque en ligne. ING Direct a dépassé le million de clients, dont 350 000 comptes courants. Boursorama revendique 850 000 clients et compte franchir la barre des 975 000 fin 2016. Fortuneo, de son côté, revendiquait 365 000 clients fin 2015 en France et en Belgique pour 11 milliards d’euros d’encours.
Mieux, les Français semblent de plus en plus nombreux à faire des banques en ligne leur banque principale. “Plus de 40% des clients font de Fortuneo leur banque principale”, assure Grégory Guermonprez, directeur de Fortuneo France. Une tendance confirmée par ses concurrents.
Les banques en ligne doivent multiplier les interactions avec leurs clients
Las, un nouveau défi se profile à l’horizon : l’arrivée sur le marché de néo-banques, à l’image de l’allemand Number26, du britannique Mondo ou du français Morning, qui veulent “disrupter les disrupteurs” en proposant des banques 100% mobiles qui misent sur l’expérience client et agrègent divers services de conseil en investissement, transfert d’argent à l’étranger etc.
“Au-delà de la diversification de l’offre, les banques en ligne doivent travailler sur leur expérience client pour multiplier les interactions, mieux connaitre le profil des clients et mieux cibler les produits proposés”, confirme Laurent Bertin, d’Accenture. C’est ce que cherche par exemple à faire ING avec son service Coach Epargne, qui propose aux clients des conseils automatisés pour gérer leur épargne après analyse de leurs comptes.
Preuve que la transition est possible, le cas de la banque en ligne polonaise Mbank : elle a repensé son expérience client depuis 2012 et mis en place un système sophistiqué de real-time marketing qui détecte, par exemple, une simulation de crédit d’un client sur Internet ou un problème de retrait en distributeur et l’appelle dans la minute grâce à des conseillers dédiés pour lui proposer un crédit. Mbank, qui compte 5 millions de clients, est désormais la troisième banque polonaise.
Avec Journal du Net