Le rythme d’inflation atteint des niveaux proches de zéro dans la plupart des pays développés, et en particulier dans la zone euro. Le point en quatre questions.
1. Quelle est la situation aujourd’hui ?
En 2015, l’inflation mondiale moyenne se situait juste en dessous de 2 % (ce qui correspond au niveau défini par la plupart des banquiers centraux comme la stabilité des prix), niveau légèrement inférieur à celui de 2014 pour les 190 pays pour lesquels des données sont disponibles. Mais le taux d’inflation dans la plupart des pays avancés atteint un niveau proche de 0 %.
Afin de relancer une économie guettée par la récession, les banques centrales ont eu recours à des politiques accommodantes non conventionnelles de grande ampleur au fil des dernières années. Plus particulièrement, le quantitative easing a été utilisé dans une situation de trappe à liquidité, c’est-à-dire lorsque les politiques monétaires des banques centrales deviennent inefficaces (par exemple lorsque les taux directeurs sont déjà très bas).
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Suite à la crise financière de 2008, la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque Centrale Européenne, la Banque d’Angleterre et de nouveau la Banque du Japon ont eu recours à des politiques accommodantes. Auparavant, entre 2001 et 2006, la Banque du Japon a adopté des mesures non conventionnelles suite à la “décennie perdue”des années 1990. Ceci a d’ailleurs constitué le premier exemple de mise en place d’une politique d’assouplissement quantitatif à grande échelle.
Malgré les politiques accommodantes menées par les principales banques centrales mondiales, l’inflation demeure proche de zéro pour de nombreux pays développés. Il est aujourd’hui difficile de déterminer quel a été l’impact de l’assouplissement quantitatif aux États-Unis, en Europe et au Japon. Cependant, on peut facilement imaginer que ces économies auraient pu faire face à une situation économique post-crise déflationniste similaire à celle de 1930 sans assouplissement quantitatif.
2. Comment expliquer la baisse de l’inflation ?
L’inflation, définie comme « situation ou phénomène caractérisé par une hausse généralisée et continue du niveau des prix » a aujourd’hui atteint des niveaux proches de zéro, voire négatifs, pour la plupart des pays développés. Cela peut être attribuée à trois facteurs soit : au renforcement de l’indépendance des banques centrales ; à une plus grande prévalence des banquiers centraux adoptant une politique stricte pour contenir l’inflation ; et à une meilleure stratégie de communication des banques centrales.
Tout d’abord, une banque centrale bénéficiant d’une indépendance de facto se consacre à l’application rigoureuse de sa mission de base, souvent définie par une cible d’inflation. De nombreux travaux économétriques ont révélé une forte corrélation entre l’inflation et le degré d’indépendance des banques centrales (Bade & Paker [1985] ; Alesina & Summers [1993] ; Fischer [1994]) : plus les banques centrales sont indépendantes et plus la stabilité des prix est assurée.
Deuxièmement, les banquiers centraux adoptent une politique stricte pour contenir l’inflation. Les banques centrales non indépendantes sont soumises à l’aléa moral résultant du cycle électoral, conformément au modèle d’incohérence temporelle. L’indépendance serait une condition de la crédibilité, donc de l’efficacité. Le modèle de Rogoff (1985) montre que l’optimum réside d’un banquier central “invariant” est en moyenne plus prudent que les préférences collectives en matière d’arbitrage entre le niveau d’inflation et le taux de chômage.
Troisièmement, la baisse de l’inflation est due à une meilleure stratégie de communication des banques centrales. Il est établi que le succès global du régime de ciblage direct de l’inflation dépend de l’efficacité de la stratégie de communication de la banque centrale. Actuellement, les comités de politique monétaire disposent de plusieurs outils pour leurs communications tels que des rapports trimestriels sur l’inflation et des conférences de presse.
3. Pourquoi une déflation serait une mauvaise nouvelle pour l’économie ?
La déflation (baisse du niveau général des prix) peut entraîner trois conséquences majeures allant au détriment de l’activité économique : une baisse de la consommation, une hausse des faillites liées à l’endettement et une augmentation du chômage.
Premièrement, lorsque les gens s’attendent à une baisse des prix, ils deviennent moins disposés à dépenser, et particulièrement à emprunter. En effet, lorsque les prix baissent, épargner devient un investissement avec un rendement réel positif (par exemple, les dépôts bancaires japonais sont une très bonne affaire compte tenu de la déflation japonaise). Et quand cela arrive, les gens retardent leurs achats et leurs investissements pour acheter demain ce qui perpétue ce phénomène.
Deuxièmement, la déflation entraîne une augmentation du poids des dettes existantes. La dette est exprimée sous forme de ratio, le dénominateur étant le PIB. Ainsi, en période de déflation, le PIB aura tendance à diminuer et le ratio dette sur PIB augmentera.
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La probabilité de défauts et de faillites augmente et le ralentissement économique est plus probable, provoquant de nouvelles pressions sur la baisse sur les prix. Compte tenu des niveaux historiques atteints d’endettement public et privé dans de nombreux pays, une spirale dette-déflation telle que décrite par Irving Fisher (1993) résonne fortement avec la conjoncture actuelle.
Troisièmement, dans une économie déflationniste, les salaires ainsi que les prix devraient diminuer. Or, l’expérience montre qu’il existe une certaine rigidité à la baisse des salaires nominaux. Cela crée une pression sur les entreprises dont les revenus diminuent (à cause de la baisse des prix), mais dont les coûts restent stables (à cause du maintien des salaires). Cette situation, si elle se prolonge, peut devenir critique avec un chômage de masse, de sorte que les travailleurs, désespérés, acceptent les baisses de salaire.
4. Quelle a été l’évolution de l’inflation au cours des dernières décennies ?
Le taux d’inflation dans les pays avancés et émergents a diminué d’un niveau de 14 % et 26 % respectivement en 1980 à un niveau proche de 0 % et 5 % en 2015. Au cours des années 1980, l’inflation aux États-Unis atteignait encore un niveau record et certains pays ressentaient les répercussions inflationnistes des deux chocs pétroliers. Puis, les années 1990 ont été marquées par une amélioration de la position fiscale des pays avancés, tandis que l’inflation connaissait une hausse dans les économies émergentes en 1994.
De nombreux pays ont connu une inflation à trois (Congo, Brésil, Biélorussie, Arménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan), voire quatre chiffres (Angola, Kirghizistan, Macédoine, Moldavie, Roumanie, Russie, Soudan, Surinam, Tadjikistan, Ukraine et Ouzbékistan) et une inflation élevée à deux chiffres en Europe de l’Est et en Afrique Sub-Saharienne.
Depuis 2000, l’inflation mondiale a reculé de 13 % à 4 % en 2015. Il y a eu néanmoins un pic record durant l’été 2008 en raison d’une crise alimentaire mondiale et une hausse des matières premières, le baril de pétrole quant à lui atteignait 147 $. En moyenne, la hausse des prix à la consommation dans les économies avancées a approché 5 %, dans les pays émergents 12,5 %.
La période actuelle marque un tournant quant au seuil d’inflation et sa distribution. Alors qu’en 1992, 45 pays avaient un taux d’inflation supérieur à 40 %, en 2015 seuls l’Ukraine et le Venezuela atteignaient ce taux. Aujourd’hui, les pays qui enregistrent une véritable déflation des prix à la consommation sont plus nombreux que ceux qui connaissent une inflation à deux chiffres. La plupart des pays aujourd’hui sont en déflation ou ont un taux d’inflation entre 0 et 5 %. À l’heure actuelle, la déflation menace plus de pays que ne le fait une très forte inflation.
avec lesechos