Les images étaient belles : sourires radieux, accolades chaleureuses, bises au coin de la joue… La venue d’Emmanuel Macron à Washington, du 23 au 26 avril, a souvent davantage ressemblé à un week-end entre vieux amis complices qu’à un sommet d’Etat. Mais depuis que le président français s’est envolé pour Paris, le retour sur Terre a été brutal. Le vendredi 4 mai, Donald Trump, qualifiant une énième fois “Emmanuel” de “great guy“, n’en profitait pas moins lors d’un discours devant le lobby pro-armes de la NRA pour mimer de façon obscène les attentats du 13-Novembre. Surtout, ce mardi 8 mai, il a notifié au téléphone le président français de sa décision choc : les Etats-Unis se retirent de l’accord sur le nucléaire en Iran, ruinant les trésors de courtoisie mis en oeuvre par Emmanuel Macron.
Le président américain en a désormais pris l’habitude : dès qu’il rencontre son homologue français, les deux chefs d’Etat vivent une lune de miel amicale, à coup de grandes tapes dans le dos et de déclarations laudatrices. Mais sitôt Emmanuel Macron parti, Donald Trump avance ses pions sur le terrain géopolitique, systématiquement dans un sens contraire aux intérêts français. Début juin 2017, il annonçait dans un coup de tonnerre le retrait américain de l’accord de Paris sur le climat, quelques jours après une poignée de main épique avec le chef de l’Etat français. Passant du bras de fer aux caresses, Macron avait alors invité Trump à assister au défilé du 14-Juillet, espérant infléchir la position américaine sur l’environnement : on n’a pas vu le moindre signe d’évolution depuis. Trump a même multiplié les prises de position stratégiques hostiles à la France : annonce de la mise en place de tarifs douaniers, reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, et, donc, sortie de l’accord iranien. L’entente manifeste entre les deux dirigeants ne masque plus les divergences politiques profondes.
Faire copain-copain, une attitude inutile ?
De quoi se poser la question : quel est l’intérêt d’afficher des relations radieuses avec le président américain, alors que toutes les embrassades du monde semblent inaptes à modifier l’attitude de Donald Trump ? A ce petit jeu, il y a ceux, comme l’ancien ministre de Mitterrand Hubert Védrine, qui pensent que “Macron n’a pas eu tort d’essayer” , et que la décision américaine sur l’Iran n’est “pas un désaveu“. Et ceux, comme François Hollande, qui estiment que “la stratégie de séduction ne pouvait marcher sur Donald Trump, puisque le cynisme, la vulgarité et l’égocentrisme sont les ressorts de sa personnalité“, comme le fait l’ancien président dans Le Télégramme.
Finalement, est-il vraiment possible d’amadouer le locataire de la Maison Blanche ? “Il s’agit plutôt de respecter, entre la France et les Etats-Unis, des formes que Trump lui-même respecte rarement avec ses interlocuteurs, corrige Frédéric Charillon, spécialiste de l’Amérique qui enseigne à Sciences Po. Le multilatéralisme en lequel Macron croit implique le respect de certaines formes de dialogue.” Sans toutefois se faire de grandes illusions sur le personnage Trump, lesquelles auront de toute façon été balayées par la dernière décision du milliardaire.
Plus largement, l’idée que l’entente entre deux dirigeants puisse influer sur les décisions géopolitiques relève largement du storytelling médiatique. “Lorsqu’il s’agit d’intérêts nationaux, la relation interpersonnelle pèse peu in fine,décrypte Frédéric Charillon. Elle compte pour adoucir les positions, préserver un canal d’information, mais sur le fond, ce sont les rapports de force domestiques qui ont le plus d’importance. Aucun leader digne de ce nom ne fera de compromis sur ce qui est perçu chez lui comme l’intérêt national pour ménager un autre chef d’Etat étranger, sous prétexte d’une bonne entente.” C’est ici qu’est l’os pour Emmanuel Macron : Donald Trump a beau lui donner du “great guy“, sur le fond, tout oppose les deux dirigeants.
Lorsqu’il s’agit d’intérêts nationaux, la relation interpersonnelle pèse peu.
enseignant à Sciences Po
Quand Emmanuel Macron prononce une ode au multilatéralisme devant le congrès américain, s’inscrit résolument dans la mondialisation et pousse pour “make the planet great again“, le président américain affiche des convictions inverses. “[Les] décisions controversées [de Trump] ont été adoptées pour des raisons de politique intérieure, afin de prouver à son électorat la force de ses convictions idéologiques (anti-environnementales, protectionnistes, anti-Iran et pro-Israël), décrypte Florence Nardon de l’Institut français de relations internationales (Ifri). Le pari de l’Elysée (influencer les positions américaines, ndlr) semble donc devenu hasardeux (…)“. Pour François Hollande, la décision de Trump sur l’Iran marque “un avant et un après. Les yeux se sont ouverts sur l’unilatéralisme absolu de Donald Trump.”
La métamorphose des Etats-Unis
L’Amérique a changé de visage. Ses nouveaux alliés ne sont plus les démocraties occidentales, mais Israël, et les puissances sunnites du Moyen-Orient : Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis. La stratégie géopolitique n’est plus du tout la même que sous Obama : pour l’entourage de faucons de Trump, il est intolérable de se montrer indulgent avec l’Iran dans l’espoir de laisser la république islamique se reconnecter à la mondialisation. Hubert Védrine rappelle également l’importance de “l’état profond américain qui ne veut pas que l’Iran revienne dans le jeu international, se réforme, se modernise” – la notion discutée d'”état profond” désignant l’influence d’une partie de l’establishment (Pentagone, hauts gradés, complexe militaro-industriel) sur le pouvoir politique.
Trump appartient à cette partie de l’Amérique pour qui l’Europe symbolise la faiblesse, l’absence de virilité…
enseignant à Sciences Po
Bref, le traditionnel allié d’outre-Atlantique ne ressemble en rien à ce qu’il était il y a peu. “Trump n’a pas d’égards pour l’Europe d’une manière générale. Il appartient à cette partie de l’Amérique pour qui l’Europe symbolise la faiblesse, l’absence de virilité, l’Etat providence, l’assistanat, etc., développe Frédéric Charillon. Nous avons sans doute sous-estimé à quel point il y a au moins deux Amériques, et à quel point Barack Obama (…) n’était pas le représentant de l’Amérique toute entière. Trump est une sorte de retour de balancier.” Cette nouvelle donne s’est exprimée de manière particulièrement brutale ce mardi 8 mai, au grand désarroi des Européens. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont d’ailleurs signé un communiqué conjoint pour dénoncer la décision de Trump.
Prendre le leadership en Europe
Comment Emmanuel Macron peut-il s’adapter à ce paysage international bouleversé et recomposé ? Jusqu’ici, sa position avait consisté à profiter des difficultés des autres leaders européens pour approfondir la relation avec les Etats-Unis ; Theresa May doit affronter le Brexit, tandis qu’Angela Merkel est grandement fragilisée par ses difficultés à former un gouvernement. Mais cette stratégie de la main tendue à Trump vient de montrer ses limites. Difficile, cependant, d’imaginer faire survivre l’accord sur le nucléaire iranien maintenant que les Américains l’ont quitté.
Résultat, l’intransigeance du locataire de Washington pourrait bien amener les dirigeants européens à faire front ensemble, face aux Etats-Unis… Dans ce cadre, Emmanuel Macron pourrait justement profiter de la position de faiblesse de ses homologues de Berlin et Londres pour prendre la tête du camp européen. Le président joue gros : “S’il parvient à susciter une résistance européenne à cet épisode iranien, en accord avec quelques grands émergents comme la Chine ou l’Inde, il ne sera pas fragilisé, estime Frédéric Charillon. Dans le cas contraire, il lui sera reproché d’avoir été trop aimable avec un personnage dangereux, inculte et grossier, qui n’a montré aucun égard envers lui.” Un bras de fer gagné, seule manière pour Emmanuel Macron de faire oublier une séance de papouilles embarrassante avec Donald Trump.
Avec