Alors que le marché mondial de l’atome continue à souffrir des conséquences de la catastrophe de Fukushima, les perspectives s’annoncent des plus prometteuses pour le continent qui s’ouvre de plus en plus à l’industrie nucléaire. Une aubaine pour la Chine qui se positionne déjà comme le prochain acteur majeur de la filière pour non seulement sécuriser son approvisionnement à travers l’exploitation des mines mais aussi la construction des réacteurs civils.
C’est une décision qui illustre toute l’ambition de la Chine sur le marché du nucléaire africain. Confronté à un ralentissement de son économie avec un effondrement de ses réserves de change, le gouvernement chinois a annoncé, en janvier dernier, son intention de réduire la voilure en matière d’investissement à l’étranger. Il s’agissait en clair, de placer « sous étroite surveillance voire une interdiction des acquisitions ou investissements irrationnels » pour les 102 entreprises étatiques sous contrôle de la puissante Commission d’administration et de supervision d’actifs publics (SASAC).
Plusieurs secteurs sont concernés par cette mesure qui a fait trembler les marchés financiers internationaux pour lesquels la Chine est un poid lourds parmi lesquels ceux soumis à une forte fluctuation des cours comme les matières premières énergétiques ou les industries lourdes. De quoi attiser des inquiétudes en Afrique où la demande chinoise est assez prépondérante sauf que Pékin a parallèlement décidé d’encourager les investissements dans les secteurs qu’elle considère comme stratégiques. Il s’agit notamment du nucléaire, un marché où l’empire du milieu affiche de grandes ambitions pour les prochaines années et sur lequel, l’Afrique a sa carte à jouer.
L’Afrique, le marché du futur pour le nucléaire
Aussi morose que soit actuellement le marché mondial du nucléaire, les perspectives pour les prochaines années s’annoncent des plus reluisantes pour l’industrie de la filière. La baisse actuelle des cours qui s’explique en garde partie par les conséquences de la catastrophe de Fukushima et le contexte économique toujours assez terne, va se terminer avec les projections, d’ici quelques années, d’une nouvelle ère de croissance pour la filière nucléaire. En 2014, par exemple, 441 réacteurs nucléaires étaient en exploitation dans 30 pays pour une puissance de 382 GW qui couvrent un peu plus de 10% de la demande mondiale d’énergie. Malgré le ralentissement que connait à cette époque le secteur avec une baisse drastique des cours du minerai jaune à laquelle se conjugue le contexte économique, le secteur a continué a enregistrer une modeste croissance.
Dans un des rapports qu’elle a publié cette même année et qui contient des estimations du marché mondial de l’atome jusqu’à l’horizon 2050, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a ainsi tablé sur une croissance de la production d’énergie nucléaire au cours des prochaines années. Les perspectives selon les différents scenarii tablent sur une croissance pouvant osciller à l’horizon 2030 entre 2,4 % (projection basse) à 88 % atteignant 631,8 GW (projection haute). Une année plus tard, c’est l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) qui a confirmé cette embellie qui se profile pour le marché de l’électricité nucléaire, lequel devrait représenter 25 % du mix énergétique final d’ici 2050. Ce qui, d’après le rapport «Énergie, Électricité et Nucléaire : estimations jusqu’en 2050» devrait permettre de doubler les capacités actuelles.
Dans l’ensemble et à en croire l’AIEA, la capacité mondiale d’électricité d’origine nucléaire devrait même augmenter de 60% d’ici 2040. Un bon cru pour l’Afrique qui en plus de disposer de près de 20% des ressources mondiales en uranium, s’ouvre de plus en plus vers le nucléaire pour combler son déficit en électricité. Une trentaine de pays du continent dispose de réserves en Uranium et certains comme le Niger avec actuellement un peu moins de 10% de la production mondiale ou dans une moindre mesure l’Afrique du Sud et la Namibie, figurent sur la liste des plus importants gisements mondiaux. Des réserves ont encore été récemment mises à jour dans d’autres pays d’Afrique australe et de l’Est et preuve des perspectives du nucléaire en Afrique, une dizaine de pays ont dernièrement fait part de leurs intentions de développer cette matière première pour satisfaire leurs besoins grandissants en électricité à travers notamment l’industrie du nucléaire civile, de plus en plus moins couteuse et surtout moins polluante.
Si aujourd’hui l’Afrique du Sud est le seul pays à exploiter le nucléaire sur le continent, avec les deux réacteurs de Koeberg, près du Cap qui fournissent une capacité d’1,8 GW, la donne pourrait changer dans les dix prochaines années. Les projets se multiplient sur le continent. L’Afrique du Sud envisage, par exemple, d’ajouter huit réacteurs pour une capacité supplémentaire de 9,6 GW d’ici 2030, un marché de 40 milliards d’euros qui attise la convoitise des grandes firmes internationales du secteur notamment françaises, russes et chinoises.
L’ouverture au marché du nucléaire civil prend de plus en plus de l’ampleur sur le continent. Des pays du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie), mais aussi le Ghana ou l’Ouganda et tout dernièrement le Niger, disposent de véritables feuilles de route pour l’exploitation de cette ressource dans le cadre de leur politique énergétique. A la suite de l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigéria et le Kenya sont bien partis pour la mise en service des prochains réacteurs nucléaires sur le continent. La Russie est par exemple à pied d’œuvre en Egypte et au Nigéria pour des projets qui devront voir le jour à partir de 2025. C’est aussi à cette date qu’est attendue la mise en service de la première centrale chinoise sur le continent qui sera installée au Kenya (1 000 MW d’électricité d’ici 2025 et environ 4 000 MW à l’horizon 2030). Dans ce pays, la Chine a commencé, depuis quelques mois, l’exploitation du gisement d’uranium d’Husab à travers la China General Nuclear Corporation. Les chinois sont également à la manœuvre au Niger avec la mine d’Azelik dans le nord du pays, après avoir échoué à ravir au géant français AREVA, les droits d’exploitation de la géante mine d’Imouraren avec ses estimations 5.000 tonnes de production annuelle pour un investissement de près de 2 millibars de dollars. Le pays compte plus d’une vingtaine de réacteurs nucléaires déjà opérationnels et en 2015 déjà, 28 étaient en construction. D’ici 2030, la Chine veut ainsi passer à une production de 15 à 60 gigawatts.
Double enjeu stratégique
Alors que l’Europe a décidé, depuis la catastrophe de Fukushima de 2011, d’accélérer sa sortie du nucléaire, la Chine se positionne stratégiquement sur ce créneau afin de devenir l’un des acteurs majeurs du marché dans le sillage des perspectives assez intéressantes que recèle le marché de l’atome dans les prochaines années. Cette dynamique sur laquelle surfe déjà la filière ouvre de nouvelles opportunités pour les pays africains tant pour le potentiel dont le continent recèle mais aussi pour combler son déficit en matière de production énergétique. C’est le même double enjeu pour la Chine qui entend d’abord sécuriser son approvisionnement pour fournir son parc nucléaire en constante progression mais aussi en se positionnant sur le marché de la fourniture d’expertise et de services, une filière qui a le vent en poupe dans les ambitions industrielles du pays avec la hausse de la demande en Afrique mais aussi dans les pays émergents comme l’Inde ou le Brésil en plus de la Russie, un acteur majeur du secteur. A l’évidence, le nucléaire constitue donc assurément une nouvelle niche pour le développement des relations économiques sino-africaines avec tout ce que le marché induit en termes de marchés connexes. Car en plus de l’exploitation des mines ou de la construction des centrales, le développement de la filière africaine du nucléaire va se traduire par celui des sous-secteurs comme la maintenance ou le traitement des déchets nucléaires. Autant d’opportunités pour l’empire du milieu qui se positionne déjà comme un des prochains acteurs majeurs. En attendant que le continent dispose de sa propre expertise en la matière.
Avec latribuneafrique