Pendant qu’Israël, le chien qui aboie, souffle sur les braises contre l’Iran, ce sont les Saoudiens qui sont en réalité les plus menacés par le retour de l’Iran dans l’économie mondiale. Bien que les Saoudiens ne soient pas les plus grands agitateurs qui poussent à déchirer l’accord nucléaire iranien, ils le sont autant qu’Israël l’a été.
Publié en début de semaine par le Fonds monétaire international, un rapport révèle que pour que l’Arabie Saoudite équilibre son budget et lance les réformes structurelles dont le pays a besoin, le pétrole doit coûter 88 dollars le baril.
Le plan Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane, lequel, en perspective de ses conséquences, fait saliver les suspects habituels à Washington, nécessitera le remaniement complet de la société saoudienne. Il va probablement coûter des billions. Or les Saoudiens ont toujours un gros déficit budgétaire, qui devrait commencer à se réduire à 7% du PIB cette année, malgré l’aggravation de plus de 5% des dépenses publiques.
La seule chose capable de réduire ce déficit budgétaire étant bien évidemment la remontée des prix pétroliers. Le seuil de rentabilité de l’an dernier était de seulement 70 dollars le baril, mais d’après le FMI, il se monte cette année à 88 dollars, car ben Salmane a commencé à financer le plan Vision 2030.
Actuellement, depuis la mise en œuvre de l’accord nucléaire iranien (JCPOA), la production pétrolière iranienne a retrouvé son cours d’avant les sanctions, environ 3,8 millions de barils par jour.
Dans les prochaines années, avec les nouveaux accords d’exploration et de production signés par les majors pétrolières européennes, chinoises et russes, la production iranienne pourrait être poussée aisément au-delà des 4 millions de barils par jour, pas loin des 5 millions.
Dans le même temps, pour gonfler le prix du baril au tarif qu’elle espère, l’Arabie Saoudite veut réduire la production et ses exportations. Il n’y a donc pas besoin de sortir de la cuisse de Jupiter pour comprendre ce qui l’a poussé à essayer de corrompre le président Trump, avec des centaines de milliards de dollars de d’achat d’armes et les promesses de lutte contre l’Iran en Syrie, pour l’amener à dé-certifier le JCPOA et faire sombrer l’accord.
Règle de la mafia étasunienne
Les Saoudiens sont ébranlés, dans une certaine mesure, par le style mafieux de Trump à l’égard du bouclier nucléaire. En échange de son aide à étouffer l’Iran et gonfler les prix pétroliers, les Saoudiens devront dépenser une bonne partie de leurs économies pour réamorcer l’économie étasunienne, avec de nouvelles raffineries au Texas et d’autres avions pour lâcher des bombes sur les réunions de mariages.
Vous savez bien, c’est histoire de gagnant-gagnant.
Si les Saoudiens ont besoin du baril de pétrole à 88 dollars, l’Iran doit réduire sa production pour contrebalancer la hausse du prix du baril.
Avec des rapports selon lesquels des Bérets verts étasuniens sont présents sur le champ de bataille du Yémen, il faut se dire que l’administration Trump ne s’intéresse à aucune issue autre que celle menant à la capitulation de l’Iran au Moyen-Orient – cela pour favoriser Israël et l’Arabie saoudite (et donc les États-Unis) – et à l’humiliation de la Chine et de la Russie à cause de leur soutien à l’Iran.
L’équipe de la Maison Blanche est entièrement formée de gens disposées à commettre ou tolérer les pires violations des droits de l’homme au Yémen et en Syrie, afin d’arrêter l’Iran.
La question est : « Arrêtez l’Iran pourquoi ? » La réponse ordinaire des « experts » en politique étrangère de Trump et de K-Street est : « De fabriquer une arme nucléaire. » La vraie réponse est pourtant bien plus terre à terre que ça.
L’Iran ne sera pas autorisé à rejoindre l’économie mondiale en tant qu’acteur indépendant. Cette disposition sera maintenue même si la théocratie est renversée. Car la prétendue lutte existentielle à mort entre l’Arabie saoudite et l’Iran, a peu à voir avec la religion et les anciennes inimitiés.
Elle a à voir avec le pétrole. L’Arabie Saoudite veut que la production de l’Iran revienne sous les 3 millions de barils par jour pour aider à maintenir le prix plus élevé. Israël et les États-Unis veulent priver d’argent le gouvernement iranien. Le retrait de l’accord permettra donc aux États-Unis de réimposer des sanctions à l’Iran, en le privant à nouveau du réseau bancaire mondial.
Mais le retour de la production de l’Iran aux niveaux d’avant 2012, et l’élimination du dollar de son commerce pétrolier, signifient officiellement que la Chine a trouvé le partenaire idéal pour acheter son pétrole. L’Iran favorise le système naissant du pétroyuan, qui se développe sur les marchés financiers de Shanghai.
Le syndrome chinois
Ce mois-ci, invoquant les prix saoudiens élevés inexplicables, à un moment où une partie importante des raffineries de la compagnie chinoise Sinopec sont au ralenti à cause de la maintenance annuelle, et parce que d’autres producteurs sont heureux de proposer plus de pétrole pour moins cher, afin de conquérir des parts de marché, Sinopec devrait réduire de 40% ses importations en provenance de Saudi Oil.
Le mois dernier, un responsable de la compagnie chinoise Unipec a dit à Reuters : « Nos raffineurs pensent que ces prix sont déraisonnables, car ils ne suivent pas la méthodologie de tarification. » En plus de Sinopec, deux raffineries du nord de l’Asie ont annoncé qu’elles allaient réduire de dix pour cent leurs importations de pétrole d’Arabie saoudite, parce que les acheteurs ont du mal à comprendre comment le Royaume calcule le prix de sa qualité de brut la plus demandée.
La hausse des prix a surpris le plus grand marché de brut mondial.
La compagnie saoudienne Aramco fait la cour à la Chine au moment où il est évidemment que les Chinois ont d’autres options sur le marché pétrolier et ne veulent plus payer en dollars le pétrole. Les importations chinoises de brut brésilien ont fortement augmenté. Les importations indiennes de brut iranien devraient doubler cette année, pour atteindre près de 400 000 barils par jour.
Pour atténuer le déficit commercial étasunien avec la Chine, Trump veut peut-être – toujours le style mafieux – que les Saoudiens augmentent leurs prix pour que la Chine importe du pétrole étasunien, car l’écart entre le Brent de mer du Nord et le WTI étasunien, actuellement de plus de 6 dollars, s’agrandit toujours. Ce n’est pas que ce soit un brin raisonnable, mais là encore, Trump est un mercantiliste qui n’est pas non plus raisonnable.
Donc, comme ça, c’est cohérent.
La production étasunienne augmente toujours et le fera vraisemblablement pendant le reste de l’année 2018 et au-delà, car de nouvelles techniques de fracturation allongent le temps de production des nouveaux puits, bien que leur production quotidienne soit plus faible.
Donc, même si le nombre de forages chute, ce qu’aucun signe ne montre, la production de pétrole de schiste étasunienne continuera d’augmenter. La production de Brent est en baisse, la production étasunienne est en hausse. Ainsi, l’écart entre le prix du Brent et du WTI continuera de diverger si de nouveaux « marchés » ne s’ouvrent pas pour les producteurs de pétrole de schiste étasuniens.
Encore une fois, cela nous ramène à l’accord nucléaire iranien, qui concerne le pétrole et pas les bombes. La fin de l’accord permettra aux Iraniens de redémarrer leur programme, avec lequel, selon la croyance populaire, ils concocteront une arme efficace en 18 mois, et même plus vite si leurs partenaires de Corée du Nord ont réussi à produire une ogive viable.
Mais, après avoir privé l’Iran du réseau de paiements international SWIFT et vu l’Iran y survivre, les menaces de sanctions et d’expulsion de SWIFT paraissent futiles. La Chine et la Russie ont des alternatives viables à SWIFT, et après presque dix ans d’hostilités, l’Iran a très peu de relations avec les établissements bancaires étasuniens et européens.
Par ailleurs, la Turquie, qui a aidé l’Iran à survivre sans SWIFT par le passé, est plus qu’heureuse de planter des banderilles dans les États-Unis, après leur soutien aux Kurdes de Syrie. Bref, l’Iran a beaucoup plus d’amis aujourd’hui qu’en 2012.
La Chine et la Russie sont immensément plus fortes. Israël et l’Arabie saoudite sont extrêmement plus faibles. Cela signifie que, quel que soit ce que fera Trump le 12 mai, le monde est déjà préparé à ce qui se passera ensuite.
r.i.