La gauche le dit de droite ; la droite l’affectionne de plus en plus. Pourtant, Emmanuel Macron s’inscrit dans une tradition politique clairement marquée à gauche, tant sur le plan symbolique que sociétal… et même en matière économique.
Début avril, 50 % des Français considéraient que La République en marche (LREM) était un parti de droite selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos : un chiffre en constante progression depuis l’élection d’Emmanuel Macron il y a un an. Le président de la République lui-même, épaulé par un Premier ministre issu des rangs de la droite et se revendiquant comme tel, rencontre désormais une plus forte adhésion auprès des électeurs LR qu’auprès de ceux du Parti socialiste (PS) : ils sont 57% à lui apporter leur soutien, contre seulement 36% deux mois plus tôt, selon un autre sondage Ipsos.
La perception positive de la politique d’Emmanuel Macron par les Français de droite semble démontrer que celui-ci a su convaincre sur plusieurs sujets chers à cet électorat. En effet, le président a repris à son compte plusieurs mesures figurant de longue date dans le corpus de la droite classique, en proposant par exemple de restaurer un service national universel, ou en mettant en place, à l’aide d’un ministre de l’Economie lui aussi recruté au sein de LR, des mesures comme la suppression de l’ISF, la refonte du Code du travail ou encore la réforme ferroviaire. Chacun de ces mouvements politiques déclenche en outre un concert d’indignation à gauche, qui semble conforter les électeurs de droite dans la conviction qu’Emmanuel Macron est de droite.
Le président a su s’attirer la sympathie plus ou moins appuyée de plusieurs ténors de LR, d’Alain Juppé à Nicolas Sarkozy, qui affirmait l’an passé : «Macron, c’est moi en mieux !» Mais le chef de l’Etat ne s’attire pas uniquement la bienveillance de la droite classique. Des figures de différentes sensibilités n’hésitent plus à adresser leurs compliments au chef de l’Etat. Tandis que Charles Beigbeder loue «son style» et «son charisme», Eric Zemmour estime qu’Emmanuel Macron a «rehaussé sa fonction». Philippe de Villiers va jusqu’à louer sa politique étrangère, assurant qu’Emmanuel Macron est «comme le général de Gaulle [car] il renoue avec l’idée capétienne selon laquelle la France, dans sa grande tradition diplomatique, n’a reconnu que les États, jamais les régimes».
L’héritage du Parti socialiste et de François Hollande
S’il est incontestable qu’Emmanuel Macron occupe une grande partie du terrain traditionnel de la droite, sa filiation politique est paradoxalement clairement ancrée à gauche. Du point de vue électoral tout d’abord, 45% des Français qui avaient voté pour François Hollande 2012 ont choisi Emmanuel Macron dès le premier tour il y a un an. A titre de comparaison, ceux ayant voté pour Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle précédente n’étaient que 18% à s’être laissés convaincre par celui qui affirmait en décembre 2014 : «Je suis socialiste !» De fait, même s’il a pu contredire cette déclaration par la suite, Emmanuel Macron a bien été membre du PS de 2006 à 2009.
Au-delà de l’électorat socialiste, de très nombreux ralliements de personnalités politiques issues du PS, avant comme après sa victoire, témoignent de l’ampleur de la razzia opérée par Emmanuel Macron dans les rangs du parti de François Hollande. Si le cas de Manuel Valls a fait couler beaucoup d’encre, l’ancien Premier ministre n’a pas été le premier socialiste à préférer LREM à sa propre formation politique. Dès la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche, plusieurs députés annonçaient déjà leur ralliement à Emmanuel Macron. Par la suite, de nombreux piliers du PS en ont fait de même, à l’instar de Richard Ferrand, Bertrand Delanoë ou Gérard Collomb. Une hémorragie qui a même fini par inquiéter Emmanuel Macron lui-même, soucieux de ne pas reprendre à son compte le bilan de son devancier.
Si de nombreux électeurs et cadres socialistes se sont tournés vers Emmanuel Macron lors de la campagne, celui-ci leur a également donné des gages une fois la victoire acquise. Lors de la constitution de son premier gouvernement en juin dernier, Emmanuel Macron a ainsi pris soin de nommer pas moins de sept ministres de gauche, parmi lesquels des figures importantes du PS tels Jean-Yves Le Drian ou Florence Parly. De quoi accréditer l’hypothèse, par ailleurs soutenue par de nombreux concurrents d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, selon laquelle ce dernier serait le digne successeur de François Hollande.
Une symbolique de gauche efficace
Emmanuel Macron n’a pas seulement été adoubé par une grande partie du PS : il a également décidé de s’installer durablement dans l’espace laissé vacant par la gauche gouvernementale après sa déroute. Pour ce faire, il n’hésite pas à cultiver volontairement plusieurs symboles qui l’ancrent dans une certaine tradition politique. Qu’il s’agisse de dénoncer le «crime contre l’humanité» de la colonisation en Algérieou de féliciter Angela Merkel et la société allemande qui ont selon lui «sauvé la dignité collective des Européens» en accueillant de nombreux réfugiés dans leur pays, Emmanuel Macron manie habilement les marqueurs culturels chers à la gauche, à peu de frais mais non sans efficacité.
Signe de l’efficacité de cette stratégie des symboles : Emmanuel Macron, technocrate méconnu et encore totalement étranger au milieu du spectacle il y a cinq ans seulement, est parvenu à séduire de nombreux intellectuels et artistes considérés comme les gardiens du temple de la gauche intellectuelle française. Plusieurs figures comptant parmi les proches soutiens de François Mitterrand trente-cinq ans plus tôt ont tenu à rendre public leur soutien à Emmanuel Macron, de Jacques Attali à Renaud en passant par Erik Orsenna.
A bien des égards, l’ancien protégé de François Hollande a parfaitement réussi à incarner la social-démocratie à laquelle le PS, encore handicapé par ses racines historiques, n’était jamais parvenu à se convertir parfaitement. S’il est encore impossible de juger objectivement des effets des premières mesures économiques prises par Emmanuel Macron, force est d’admettre qu’il parvient à endosser avec crédibilité le costume de leader social-libéral. Sur la scène européenne, ses pairs ne s’y sont pas trompés. De Matteo Renzi pour le Parti démocrate italien à Martin Schulz pour le Parti social-démocrate allemand, en passant par Alexis Tsipras de Syriza en Grèce, nombreux sont les représentants des principaux partis de gauche à afficher une proximité idéologique assumée avec président français. A l’inverse, les dirigeants des différents partis de droite européens ne semblent se trouver que peu de points communs avec Emmanuel Macron.
Economie et société : social-démocrate et progressiste
Si les dirigeants sociaux-démocrates européens identifient Emmanuel Macron comme l’un des leurs, c’est notamment parce que son programme économique s’inscrit dans le sillage des premiers artisans de la refonte libérale de la gauche, notamment Gerhard Schröder et Tony Blair. Même si la France insoumise ne cesse de répéter que le président français n’est précisément pas de gauche, force est d’admettre que son programme économique le classe d’emblée dans le groupe, très largement majoritaire en Europe, des partis de gauche assumant leur identité libérale. Preuve de ce que la politique économique d’Emmanuel Macron constitue en grande partie l’aboutissement d’une lente mutation de la gauche réformiste française : le rédacteur de son programme économique n’était autre que Jean Pisani-Ferry, qui avait précédemment contribué à l’élaboration de ceux de Lionel Jospin en 2002 et de François Hollande en 2012. Il convient néanmoins de souligner que cette transition libérale de la gauche tend à la rapprocher de la droite sur le plan économique et à rendre les programmes de l’une et de l’autre quasi indistinguables en la matière.
A l’inverse, les sujets sociétaux constituent, eux, des indicateurs politiques d’autant plus marqués que le consensus économique a brouillé les frontières entre les deux camps. Et en la matière, Emmanuel Macron se positionne clairement à gauche, même s’il faut là encore de noter qu’une large frange de la droite tend à adopter aussi ces positions qu’il conviendrait dès lors plutôt de qualifier de progressistes. «Ne suivez pas toujours les règles ! C’est du bullshit !», lançait-il encore récemment à des étudiants américains lors de son voyage aux Etats-Unis. Cette phrase à elle seule illustre parfaitement les positions du président français dans le domaine sociétal, où les règles sont perçues comme des contraintes et la tradition comme un fardeau. Qu’il s’agisse de prises de position concrètes, comme la volonté d’élargir le droit à la PMA, ou de simples symboles, comme la nomination de Marlène Schiappa au secrétariat d’Etat à l’égalité hommes-femmes, par ailleurs décrétée «grande cause du quinquennat», Emmanuel Macron se positionne donc résolument à gauche.
Evidemment, de nombreux éléments tendent à nuancer le constat selon lequel Emmanuel Macron serait à proprement parler de gauche. Mais il l’est du moins dans la mesure où les contours de la gauche se sont redessinés, en partie avant lui mais aussi sous son impulsion, au profit d’éléments symboliques dont il sait avantageusement tirer parti. Cette stratégie lui a permis de séduire à gauche et de se faire élire par un grand nombre d’électeurs traditionnellement acquis au PS… sans pour autant rebuter les électeurs de droite, qui avaient été pourtant nombreux à la rejeter lorsque François Hollande avait tenté, certes moins adroitement, de la mettre en oeuvre. Bien au contraire, la popularité du président à droite et la réussite de cet exercice d’équilibriste révèlent qu’une grande partie de l’électorat de LR est bel et bien demandeur d’un recentrage politique.
rt france