A la surprise générale, Kim Jong-un, le dirigeant du pays le plus fermé du monde ouvre les bras au frère du Sud.
La voix en tremble encore de fierté. « Je suis profondément heureuse de ce que notre dirigeant a accompli. » Comme des millions de Nord-Coréens, Nam a suivi la retransmission télévisée de la rencontre historique entre les deux leaders coréens, le 27 avril, à Panmunjom. Elle a entendu, incrédule, la présentatrice vedette de la télévision d’Etat, Ri Chun-hee, prononcer cette phrase impensable quelques semaines plus tôt : « La Corée du Nord et la Corée du Sud ont annoncé leur but commun d’œuvrer à une totale dénucléarisation de la péninsule coréenne. » Les mots, précis, ont leur importance : il n’y aura plus d’armes nucléaires sur la péninsule, c’est-à-dire au Nord comme au Sud, protégé par le parapluie nucléaire américain.
Bien-sûr, la route est encore longue. Mais pour Nam, qui se bat pour faire fonctionner sa petite entreprise d’import-export malgré les sanctions internationales en multipliant les allers-retours en Chine, la nouvelle est une bouffée d’espoir. La jeune femme fait partie de cette nouvelle génération de Nord-Coréens qui veulent construire une Corée du Nord moderne.
« A l’image de notre dirigeant, qui est jeune et dynamique », tient-elle à préciser. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a appris à vivre avec l’intime conviction que, à tout moment, son pays pouvait être anéanti par les Etats-Unis. Alors, de la déclaration de Panmunjom, Nam a surtout retenu ces mots : le Nord et le Sud se sont engagés à l’édification d’une « paix permanente ». Elle se prend à rêver : « Avec un traité de paix, nous allons pouvoir améliorer notre économie et réaliser le grand projet de la révolution socialiste. » La confiance de la jeune femme en Kim Jong-un est absolue. « Notre leader nous guide avec sagesse. Les Etats-Unis ont apporté la désolation dans notre pays, mais nous ne voulons pas la guerre. Nous, les Coréens, au Nord comme au Sud, nous devons reprendre notre destin en main. »
Hier encore, la rhétorique du régime comparait Donald Trump à un « vieillard sénile » que des panneaux de propagande menaçaient d’écraser sous une presse hydraulique. Le voilà devenu fréquentable. Début avril, la visite à Pyongyang de Mike Pompeo, nouveau secrétaire d’Etat américain, a amorcé un virage dans les relations américano-nord-coréennes. Kim Jong-un semble avoir apprécié cet ancien directeur de la CIA qui, selon lui, a « du feu dans le ventre ». Un homme. Un vrai. Compliment de Pyongyang. Un diplomate nord-coréen basé dans une ambassade européenne explique : « La Corée du Nord a atteint l’équilibre avec les Etats-Unis sur le plan nucléaire. Nous cherchons à développer notre pays pacifiquement, mais pour cela nous ne pouvons plus nous sentir menacés. Ce traité de paix, nous le demandons depuis des années ! Si notre sécurité est garantie, nous dénucléariserons. »
Pour moi, le Nord reste l’ennemi. Je ne leur fais pas confiance mais je dois reconnaître que le jeune Kim est différent
Certes, la Corée du Nord ne réclame plus comme préalable aux discussions le départ des troupes américaines établies au sud du 38e parallèle, plus de 30 000 hommes tout de même, ni l’arrêt des manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes pluriannuelles, mais elle attend que Washington donne des preuves tangibles de son engagement. Pour l’instant, l’heure est à l’espoir. Au bord de la guerre il y a quelques mois encore, la péninsule a en effet connu un spectaculaire réchauffement, initié par l’invitation au dialogue lancée par Kim Jong-un dans son discours du nouvel an. Face à lui, un autre Coréen, Moon Jae-in, un homme profondément convaincu que seul l’échange permettra un apaisement des tensions, et qui, en juillet 2017, avait déjà appelé à l’entente. Le président sud-coréen, dont les parents sont originaires de Corée du Nord, est un fervent catholique guidé tout autant par les idées de son mentor, l’ancien président Roh Moo-hyun, partisan d’une main tendue envers Pyongyang, que par la « diplomatie de la rencontre » prônée par le pape François. Aujourd’hui, l’enjeu est énorme pour ces deux hommes unis par une même volonté de reprendre le destin de la péninsule en main, après l’avoir trop longtemps abandonné aux grandes puissances.
« Il faut saisir cette chance de faire la paix avec le Nord », commente Park, 75 ans. Pour ce pêcheur sud-coréen à la retraite, les mots sont difficiles à prononcer. Park, mieux que quiconque, se défie de Pyongyang car, en 2010, sa maison a été détruite lors du bombardement de l’île de Yeonpyeong par l’artillerie nord-coréenne. Le bilan de l’attaque avait été lourd : une dizaine de victimes, parmi lesquelles des soldats sud-coréens mais aussi deux civils. « Pour moi, le Nord reste l’ennemi. Je ne leur fais pas confiance mais je dois reconnaître que le jeune Kim est différent. Il n’est pas comme son père ou son grand-père. Il connaît le monde, il a étudié en Suisse. Une telle occasion ne se reproduira peut-être pas. » Park a apprécié que Kim Jong-un ait évoqué auprès de Moon Jae-in la peur « légitime » des habitants de Yeonpyeong, traumatisés par le bombardement, et insisté sur leur besoin compréhensible d’être rassurés. Son petit-fils, Namil, 23 ans, étudiant en informatique dans une université de la capitale, hausse les épaules. Lui, le sommet, il s’en fiche, comme beaucoup de sa génération. La Corée du Nord ne l’intéresse pas. Il n’a pas vraiment confiance en Kim Jong-un, mais « si cela peut aboutir à un apaisement des relations, pourquoi pas ? ». Ce qu’il redoute, c’est l’idée d’une éventuelle réunification. « Nous avons bien assez de nos problèmes de chômage pour devoir en plus gérer les Nord-Coréens. » Ces frères du Nord, il les connaît bien, ils sont plus de 31 000 réfugiés ; mais il avoue ne pas les apprécier. « Trop pauvres, trop différents, un peu rustres. »
Les larmes aux yeux, Byong-ok raconte qu’elle donnerait tout pour repartir en Corée du nord
Byong-ok est l’une d’eux. Originaire du grand port nord-coréen de Wonsan, sur la côte est, elle est arrivée à Séoul en 2013 après un dangereux périple en Asie. Vendredi, dans sa chambre louée par une association caritative, Byong-ok est restée rivée à son écran. Elle a passé et repassé en boucle les images de Kim Jong-un traversant la frontière, et scruté les visages autour de lui. « J’espérais repérer des gens que je connaissais. Je sais que c’est ridicule, mais je me suis dit que peut-être je pourrais revoir un de mes anciens camarades au Nord. »
Elle a surtout été étonnée d’entendre la voix « normale » de Kim Jong-un, un peu différente, dans ses intonations, de celle des discours officiels. Les larmes aux yeux, Byong-ok raconte qu’elle donnerait tout pour repartir chez elle, même si elle sait que c’est impossible puisqu’elle a aujourd’hui la nationalité sud-coréenne. « Là-bas, j’étais institutrice. Ici, je nettoie des bureaux le matin. Si ce sommet aboutit à un traité de paix et à de nouvelles relations entre les deux pays, les frontières s’ouvriront. Les voyages seront autorisés et je pourrai retourner là-bas. Ici, je me sens étrangère. » Byong-ok n’est pas la seule : loin d’être traités en héros comme naguère, près de 25 % des réfugiés nord-coréens au Sud, devant affronter discrimination et chômage, s’avouent nostalgiques d’une mère patrie idéalisée et souhaiteraient faire le chemin inverse.
En attendant des avancées inédites, au Nord comme au Sud, le temps semble suspendu. Mais il sera bientôt unifié : en passant devant une horloge à Panmunjom, Kim Jong-un a annoncé qu’il allait de nouveau s’aligner sur le fuseau horaire de Séoul, abandonné en 2015. Aujourd’hui plus que jamais, Kim Jong-un entend bien rester le maître des horloges.
Avec parismatch