Le 24 avril 2009, Richard Hitt a envoyé un email au cabinet panaméen Mossack Fonseca. M. Hitt s’y décrit comme étant un résident permanent au Burkina Faso, qui possède des appartements à Londres et en France et désire créerune compagnie, Dondore Incorporated, dans les îles vierges britanniques, un paradis fiscal des Caraïbes. Et précise que la finalité de cette société est de lui permettre d’obtenir un appartement privé à Londres.
À l’appui de sa demande et pour démontrer sa carrure d’homme influent, M. Hitt n’hésite pas à afficher sa profession : « pilote du président » Blaise Compaoré. Il se fait délivrer une attestation signée du cabinet d’un avocat burkinabé de renom qui assure que son client est propriétaire de la société Matanya Trading Consulting, établie au Burkina.
À cet email, Richard Hitt joint une copie de son passeport où est mentionnée sa nationalité burkinabé (il dispose d’un passeport diplomatique), ses informations bancaires, et un de ses relevés de comptes.
Un continent de secrets : une nouvelle série sur les « Panama papers » en Afrique
Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde est partenaire, publie dès lundi 25 juillet une nouvelle série d’articles à partir des documents « Panama papers » sur l’évaporation des ressources en Afrique.
La présentation (en anglais) de cette série est à trouver ici.
Les 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca mettent en lumière le rôle des sociétés offshore dans le pillage du continent, qu’il s’agisse de l’industrie du diamant en Sierra Leone, des structures de dissimulations du milliardaire nigérian Kolawole Aluko, propriétaire d’un yacht sur lequel Beyonce a passé des vacances et lié à l’ancienne ministre du pétrole nigériane Diezani Alison-Madueke, ou le recours systématique aux paradis fiscaux par l’industrie extractive.
Selon l’ICIJ, des sociétés issues de 52 des 54 pays africains ont recouru à des structures offshore, participant à l’évaporation de 50 milliards de dollars d’Afrique chaque année. ICIJ, pour cette nouvelle série, s’est appuyé sur ses partenaires habituels ainsi que sur des journalistes en Algérie, au Ghana, en Tanzanie, au Niger, au Mozambique, à Maurice, au Burkina Faso et au Togo, coordonnés par le réseau indépendant ANCIR.
Jusque-là, tout parait légal. Sauf quand on connaît la réputation du cabinet panaméen Mossack Fonseca à qui le mail est adressé. Cabinet d’avocat dont les pratiques fiscales opaques ont été mises à jour récemment. De cette demande de création de société, se met en place une véritable toile d’araignée autour des affaires de M. Hitt.
Création de Dondore Incorporate
Afin de créer sa société basée dans les îles vierges Britanniques, Richard Hitt devait apporter plusieurs informations. La première concerne son adresse de résidence à Ouagadougou. Là, le pilote donnera l’adresse d’une société existante au Burkina. Il s’agit de Z Multi Services, spécialisée en prestations de services dans le domaine Informatique et employant quinze personnes, dirigée par un certain Karim Zoungrana.
La société a été enregistrée au registre du commerce en janvier 2006 et a déclaré faillite en 2010, soit moins d’un an après avoir obtenu un marché de fourniture et l’installation d’équipements pour la culture en milieu liquide pour le Laboratoire national de recherche. Constatant que malgré les lettres de mise en demeure, que la société était incapable d’exécuter le marché, le comité de règlement des différends des marchés publics résilie le marché le 2 février 2011, quelques mois à peine après la déclaration de faillite de la société.
Après l’adresse de cette première société, M. Hitt joint aux papiers à fournir une lettre de son avocat attestant qu’il est gérant de la société MatanyaTrading SARL. Signée de la main de MeProsper Farama, cette lettre est censée prouver les compétences de gestionnaire de M. Hitt afin d’écarter les soupçons du cabinet Mossack Fonseca quant à sa relation avec Blaise Compaoré. En effet, dans les documents que L’Economiste du Faso a pu se procurer, la proximité de Richard Hitt d’avec l’ancien président Blaise Compaoré a fait hésiter le cabinet.
Quatre jours après l’envoi du mail, Mossack Fonseca annonce qu’il accepte la demande et va procéder à la création de Dondore Incorporated. Non sans avoir hésité. Car des informations réunies par le cabinet panaméen sur Blaise Compaoré et son entourage font de lui une bien mauvaise référence. « S’il vous plaît, noter que les partenaires ont indiqué ne pas voir de bon œil la relation étroite du client d’avec le président du Burkina Faso », peut-on lire dans les mails internes de Mossack Fonseca.
Des pratiques opaques
Dans les démarches de création de la société, un certificat d’incorporation a été ajouté. Les experts du cabinet Mossack Fonseca ont antidaté le document attestant que Dondore Incorporated aurait été constituée en tant que société internationale le « 18 février 2008 »,
Il s’agit d’une société en commandite par actions dont le souscripteur est Mossfon subscribers Ltd, ayant son siège dans les îles Samoa. C’est en fait une des filiales du cabinet Mossack Fonseca. Un coup d’œil dans les documents du cabinet montre que tout n’est pas aussi limpide en matière de fiscalité.
Le lexique de l’offshore #PanamaPapers
ACTIONNAIRE
Propriétaire déclaré d’une société offshore. Certains actionnaires possèdent réellement le capital de ces sociétés, d’autres ne sont que des prête-noms.
ACTION AU PORTEUR
A la différence de l’action nominative, l’action au porteur est anonyme et permet aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Ce type de titre, qui organise une opacité totale sur l’actionnariat, est en train de disparaître. Le Panama est l’un des derniers pays à en proposer.
ACTION NOMINATIVE
L’action nominative est l’inverse de l’action au porteur : l’identité des personnes physiques ou morales qui détiennent ce genre d’action est révélée. Les entreprises des pays transparents émettent ce type de titres.
ADMINISTRATEUR
Personne qui dirige une société, qui peut être indifféremment directeur ou membre du conseil d’administration. Dans les sociétés offshore, cela n’implique pas de gérer une activité, mais d’assumer la responsabilité légale et de signer les documents de la société.
AGENT DE DOMICILIATION DE SOCIÉTÉS OFFSHORE
C’est l’une des activités principales du cabinet d’avocats Mossack Fonseca : l’enregistrement de sociétés dans des paradis fiscaux pour le compte de ses clients, un métier qui implique une solide connaissance du droit. En appui, la firme propose d’autres services : la location de prête-noms, des services bancaires…
AYANT-DROIT OU BÉNÉFICIAIRE ÉCONOMIQUE
Personne qui tire les véritables bénéfices d’une société, même si elle n’apparaît pas officiellement comme actionnaire ou administrateur.
BLANCHIMENT D’ARGENT
Le blanchiment d’argent consiste à dissimuler des fonds de provenance illicite (trafic de drogue, vente d’armes, fraude fiscale…) pour les réinvestir dans des activités légales et donc les recycler. Les sociétés offshore sont parfois utilisées pour blanchir de l’argent.
CERTIFICAT D’ACTIONS
Document certifiant qu’une personne est actionnaire d’une société ou qu’elle détient un nombre d’actions donné. Si le certificat est émis au porteur, et non pas à une personne ou à une entité nommément désignée, il s’agit d’un certificat d’action au porteur.
« COMPLIANCE »
Ensemble des procédures de vérification de conformité qu’un cabinet comme Mossack Fonseca a l’obligation de mener auprès de ses clients. Il vérifie notamment que ceux-ci n’ont pas d’antécédents judiciaires, qu’ils ne figurent pas sur une liste de sanctions internationales ou ne sont pas des personnalités politiquement exposées (présentant un risque).
ECHANGE AUTOMATIQUE DE DONNÉES
Cette procédure sera mise en place à compter de 2017 ou 2018. Elle consiste, pour les Etats, à s’échanger, de façon systématique, les informations bancaires sur les contribuables (comptes bancaires ouverts à l’étranger, parts de société etc.).
Les pays du G20 ont appelé à la généralisation de l’échange automatique, perçu comme le meilleur outil pour lutter contre la fraude fiscale. Les paradis fiscaux sont invités à mettre en place ce standard pour sortir des listes noires des pays non coopératifs.
ÉVASION/OPTIMISATION FISCALE
Utilisation de moyens légaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Elle suppose une bonne connaissance des lois et de ses failles.
EXILÉ FISCAL
Se dit d’une personne qui, pour échapper à un impôt qu’elle considère trop important, déménage dans un pays à la fiscalité plus légère.
FONDATION
Entité légale qui agit comme une société offshore, mais garantit plus d’opacité. Les fondations ne sont soumises à aucune forme d’imposition au Panama. Les noms des bénéficiaires ne sont pas divulgués. Les fondations n’ont pas à produire de rapports financiers.
FRAUDE FISCALE
Utilisation de moyens illégaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper. Le fait de déplacer des capitaux dans des juridictions étrangères sans en avertir le fisc constitue une forme de fraude fiscale.
HOLDING
Généralement, société dont la seule activité est de prendre des participations dans d’autres sociétés. Nombreux sont ceux qui créent des holdings au Luxembourg pour gérer leurs affaires, car l’imposition y est très faible.
INTERMÉDIAIRE FINANCIER
Personne ou institution qui fait le lien entre le bénéficiaire réel d’une société offshore ou un compte et l’agent de domiciliation, comme Mossack Fonseca, qui l’ouvre effectivement. Cet intermédiaire peut être un avocat fiscaliste, un gestionnaire de fonds ou une banque.
PARADIS FISCAL
Pays ou territoire où certains impôts sont très bas, voire inexistants, et qui cultive une certaine opacité sur les titulaires des comptes et des sociétés. Leur définition varie selon l’époque et l’organisation qui établit la liste des paradis fiscaux.
PORT FRANC/ZONE FRANCHE
Zone où l’on peut entreposer des biens sans qu’ils soient soumis aux taxes douanières. De nombreuses œuvres d’art sont par exemple stockées dans le port franc de Genève.
PRÊTE-NOM(S)
Personne qui agit au nom d’une autre comme actionnaire ou administrateur d’une société. L’utilisation de prête-noms permet de dissimuler l’identité du bénéficiaire réel.
PROCURATION
Autorisation donnée à une personne, physique ou morale, de représenter une société offshore. La procuration confère des droits, dont la gestion sans restriction de la société, la signature de contrats, l’achat de produits financiers ou encore la possibilité d’emprunter ou de prêter de l’argent. Chaque autorisation spécifie quels pouvoirs sont donnés à la personne qui agit au nom de la société.
SOCIÉTÉ COQUILLE
Société déjà créée qui ne détient pas ou peu d’actifs (comme une coquille vide) et qui n’exerce pas d’activité économique réelle. Elle peut servir à détenir discrètement des comptes en banque, des participations ou des investissements.
SOCIÉTÉ ÉCRAN
Société fictive créée dans le but d’opacifier les transactions financières d’autres sociétés.
SOCIÉTÉ OFFSHORE
Littéralement, « offshore » signifie « extraterritorial ». Une société offshore est enregistrée dans un pays non pour y exercer une activité, mais pour disposer d’une boîte à lettres – souvent pour profiter des avantages fiscaux ou réglementaires du paradis fiscal choisi.
TRUST/FIDUCIE/FIDUCIAIRE
Une fiduciaire (du latin fiducia, « confiance ») est la personne physique ou la société qui détient temporairement de l’argent ou des biens pour le compte d’un tiers (le fiduciant). A charge pour la fiduciaire de gérer les fonds ou les mandats qui lui ont été transférés. Le trust, ou fiducie, est le contrat qui lie ces deux parties. Quant aux sociétés fiduciaires, ce sont des structures spécialisées dans ces opérations.
D’abord, la société de M. Hitt est gérée par un intermédiaire de Mossack Fonseca dénommé « Dietrich, Baumgartner & Partners » qui gère le portefeuille de quarante autres sociétés.
Le 30 décembre 2009, neuf mois après sa création, Dondore Incorporated déclare faillite et en informe le cabinet Mossack Fonseca. Raison évoquée, des arriérés de paiement que le client n’arrive plus à solder.
En effet, neuf mois après avoir déposé plus de 25 millions de francs CFA pour la création de la société, Dondore Incorporated ne pouvait plus honorer ses factures. A l’exemple de la facture N ° 2010458 du 18 mai 2009, de 1 250 dollars que le cabinet Mossack Fonseca lui adresse.
Face à ces difficultés de remboursement, Mossfon subscribers Ltd décide la radiation de la société de Richard Hitt. La compagnie envoie une demande d’un projet de résolution et de certification pour examen et approbation. La certification du notaire devait préciser que Mossfon subscribers Ltd a le droit de nommer les administrateurs qu’il veut pour la société. Dans la demande, il s’agissait de Elba Bethancourt et Imogène Wilson, toutes deux travaillant pour Mossack Fonseca, désignés pour être les premiers administrateurs de Dondore Inc.
La radiation se passera sans entraves puisque, selon les documents du cabinet panaméen, Dondore Inc. « n’a jamais négocié ou conclu de contrats ou obligations de quelques ordres que ce soit et, par conséquent, elle ne possède aucun actif ou passif ».
Que s’est-il passé entre-temps pour que Dondore Inc. se couvre ainsi de dettes ? Richard Hitt a-t-il pu obtenir la villa à Londres, bien pour lequel la société a été constituée ? Que gagne Mossfon subscribers Ltd dans cette opération, en mettant à la tête d’une société radiée deux administrateurs qui travaillent pour lui ? Des questions qui demeurent pour l’instant sans réponse. Une chose est claire par contre, c’est qu’après l’acquisition de la certification et l’acquisition de Dondore Inc. par Mossfon subscribers Ltd, aucune trace de la société de Richard Hitt n’existe encore.
Cette enquête a été réalisée par Nisreen Keita, journaliste à l’Economiste du Faso et l’African Network of Centers for Investigative Reporting (ANCIR).
avec lemonde.fr