On a récemment commémoré les 30 ans de la signature du premier traité de désarmement nucléaire soviéto-américain, qui a repoussé la menace d’holocauste nucléaire qui planait sur la planète pendant des décennies. Le traité FNI révolutionnaire de décembre 1987 ordonnait la destruction de tous les missiles intermédiaires et à courte portée soviétiques et américains (dont la portée varie de 500 à 5 500 kilomètres).
Tout en constituant une réalisation universelle d’une échelle sans précédent, l’accord avait cependant un goût quelque peu aigre-doux pour l’URSS. Ce n’est pas seulement parce que Moscou a dû détruire 2,5 fois plus de missiles et trois fois plus d’ogives que Washington, comme l’a affirmé un érudit de la Fondation Carnegie (l’article est en russe). Les Soviétiques ont également dû renoncer à un missile de haut niveau malgré le fait qu’il ne correspondît pas aux dispositions du traité en termes de portée, puisqu’il ne pouvait pas atteindre plus de 400 kilomètres. C’était l’Oka (SS-23 «Spider» selon la classification de l’Otan), un missile balistique de théâtre mobile soviétique dernier cri qui condensait les meilleurs savoir-faire des ingénieurs et des concepteurs de missiles russes.
Un Oka
Leonidl
«Coup de tonnerre dans un ciel serein»
À ce moment-là, c’était un développement de pointe qui, au début des années 1980, remplaçait les missiles soviétiques obsolètes de type Scud. L’Oka et sa version avancée Oka-U, qui a subi le même sort, avaient une précision accrue et ont été en mesure de frapper des cibles mobiles. Oka avait un temps de réaction rapide – il ne fallait que cinq minutes pour le lancer. Il était très difficile, voire impossible, d’intercepter le missile alors qu’il pouvait potentiellement pénétrer n’importe quel système anti-missiles. Le projectile n’avait pas d’analogues.
« L’Oka constituait l’apogée du progrès et de la créativité soviétique en matière balistique, un triomphe de l’école de construction de missiles qui est apparu grâce une coopération extrêmement étroite avec l’élite scientifique du pays, a écrit dans ses mémoires le directeur de la conception du missile Sergueï Nepobedimi. Selon lui, les informations selon lesquelles l’Oka avait été inclus dans les dispositions du traité FNI ont été +comme un coup de tonnerre dans un ciel serein+ ».« Mon impression quand j’ai appris cela est restée gravée dans ma mémoire. Tout d’abord, j’ai pensé que ce n’était pas possible parce que cela ne pouvait pas simplement se produire : peut-être qu’il y avait eu une erreur d’impression ou une confusion inexplicable », a pensé Nepobedimi.
«Fureur dans l’armée soviétique»
Mikhail Gorbatchev et Ronald Reagan
AP
Dans le même temps, Moscou a renoncé à l’Oka non pas en décembre, mais dès avril 1987. Comme Achilleas Megas le fait remarquer dans son livre La politique étrangère soviétique envers l’Allemagne de l’Est, cela s’est produit lors de la visite du Secrétaire d’État américain George Schultz à Moscou. Ensuite, le ministre des Affaires étrangères de l’URSS Edouard Chevardnadze a accepté de liquider tous les SS-23 soviétiques.
Selon les mots d’un autre expert, Steven J. Zaloga, la décision de l’administration de Gorbatchev « de céder à la demande américaine » n’a pas été reçue dans l’indifférence par les militaires du pays : « Elle a déclenché la fureur dans l’armée soviétique et parmi les chefs de l’industrie militaire russe ». Le chef de l’état-major soviétique a menacé de démissionner en raison de la situation. Nepobedimi a qualifié la démarche de de Gorbatchev de « crime, d’acte de trahison d’État ».
Toutefois, en 1989, tous ces missiles de combat (plus de 200) ont été détruits avec 106 lanceurs. Les missiles Oka que l’URSS avait donnés à ses alliés du Pacte de Varsovie « ont été progressivement éliminés à la suite des pressions américaines, la Bulgarie ayant finalement accepté de démilitarisation de ses lanceurs en décembre 2001 », a écrit Zaloga dans Les missiles balistiques Scud et ses systèmes de lancement 1955-2005.
Pas de parade contre l’Araignée
Mais pourquoi les États-Unis avaient-ils eu si peur du missile et ont-ils déployé une telle pression en faveur de sa destruction? Comme les experts militaires américains de la Rand Corporation l’ont conclu en 1987, l’URSS aurait pu avec les missiles de type Oka mettre en œuvre une frappe non nucléaire efficace sur les bases de l’Otan, entamant une guerre conventionnelle « à des conditions favorables ». Les experts ont également décrit le principal problème – « l’absence de défense contre une telle menace ».
Cependant, comment les dirigeants soviétiques ont-ils pu décider d’envoyer à la casse cette arme parfaite ? Selon Vladimir Dvorkine, un expert en missiles de Carnegie, Washington a conditionné la signature du traité FNI à la destruction d’Oka, et l’équipe de Gorbatchev n’avait alors pas beaucoup d’options. Le Kremlin aspirait au retrait d’Europe des missiles Pershing-II, que les États-Unis avaient déployés en 1983. Ils pouvaient atteindre la partie européenne de la Russie en quelques minutes, ne laissant pas aux dirigeants soviétiques le temps de riposter.
Iskander prend la relève
Dans le même temps, Gorbatchev lui-même a expliqué plus tard l’histoire de l’Oka différemment, selon Nepobedimi. Si le Kremlin avait insisté pour conserver l’Oka, alors les États-Unis auraient commencé à moderniser certains missiles similaires de leur côté. Le directeur de conception a raillé cet argument, soulignant qu’on ne peut pas échanger « un énorme arsenal de missiles de combat prêts à l’emploi »contre la décision potentielle de qui que ce soit. Aucun missile américain n’a été mentionné dans le traité.
Ainsi, à la fin des années 1980, les vieux missiles de l’URSS étaient déjà périmés et les nouveaux furent détruits. Toutefois, Nepobedimi n’a pas renoncé et a lancé un nouveau projet, en entamant le développement d’un missile qui est maintenant connu sous le nom d’Iskander et Iskander-M. En raison des ravages économiques et politiques en Russie dans les années 1990, le développement et les tests des nouveaux lanceurs de missiles ont duré jusqu’en 2006, les premiers missiles ont été reçus par l’armée en 2011 seulement. De l’avis des experts, l’aspect positif de ce long processus réside dans le fait que les missiles Iskander, à bien des égards, se sont avérés beaucoup plus avancés que leur prédécesseur SS-23.
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