«… Mais il est toujours inévitable de revenir à cette caractéristique infantile du jeu mental : peut-on croire sérieusement que les États-Unis risquent de déclencher une guerre nucléaire qui tuerait au moins 200 millions d’Américains pour le bien de… la Pologne ? Ou de… l’Estonie ? » Pepe Escobar
Inutile de tourner autour du pot, pour autant que le Pentagone peut avoir finalement conclu que la Russie détenait une supériorité conventionnelle incontestée sur le théâtre européen, la seule justification possible pour l’existence de l’OTAN est inchangée. Les États-Unis doivent maintenir l’occupation militaire de l’Europe occidentale et centrale jusqu’à la fin des temps. Et la justification du projet doit être l’hystérie anti-russe.
D’où la sempiternelle menace bidon. Le mythe de l’imminente agression russe contre les pauvres pays baltes ; les récurrentes agapes de l’OTAN copiées sur le style soviétique – ou maoïste – des conférences du parti ; l’impression illusoire, vendue par le canard boiteux de l’administration Obama, qu’ils sont bénévolement concernés par la sécurité européenne. Et, bien sûr, le contrepoint russe : le soupçon que l’OTAN est fermement engagée dans la fabrication de déclarations de guerre en série.
Tout ce spectacle pourrait être tourné en dérision comme un jeu mental infantile. Pourtant, il est pris au sérieux. « L’OTAN a commencé les préparatifs pour l’escalade d’une guerre froide en guerre chaude » a condamné Mikhaïl Gorbatchev. Il existe en effet des éléments signalant la gravité de la conjoncture géopolitique actuelle. L’administration Obama ne fera rien, alors même que Ben Rhodes, le conseiller adjoint – désespérément nul – à la Sécurité nationale, déclare que « l’agression permanente par la Russie provoquerait une réponse de l’OTAN et une présence plus grande de l’Alliance en Europe orientale ». Les grands médias occidentaux, quant à eux, surfent évidemment sur les vagues monstrueusement hystériques de la diabolisation de la Russie.
En fait, la véritable action est celle des acteurs du complexe militaro-industriel de surveillance et de sécurité militaire à Washington, qui jouent frénétiquement des coudes pour se placer auprès du prochain locataire du 1600 Pennsylvania Avenue, ce qui pourrait aussi bien se traduire par un clintonesque Crépuscule des Dieux. Comme je l’ai souligné auparavant, un général américain à Londres a carrément admis que le Grand Schéma [Big Picture] peut nous entraîner dans une Guerre chaude contre laquelle, par ailleurs, aussi bien Poutine que le professeur Stephen Cohen et même Gorbatchev ont déjà mis en garde.
Ainsi, la perspective stratégique du Pentagone est claire : nous sommes déjà entrés dans le territoire de Dr Folamour 2.0. Oubliée la force inébranlable des talibans ; oubliées les opérations sophistiquées de contre-insurrection ; oubliés les djihadistes cinglés du genre Daesh. Le vrai jeu devant nous se focalise entièrement sur la possibilité d’une guerre contre des « ennemis haut de gamme » – la Russie et / ou la Chine.
Gardez à l’esprit l’enclave de Suwalki
Dans ce cadre, les mouvements récents de l’OTAN − contrairement à son énorme enfumage nombriliste − sont clairement offensifs, croyant mordicus que le Kremlin baissera les yeux et n’osera jamais utiliser, par exemple, les armes nucléaires tactiques – rien que ça ! – en rétorsion à une frappe des États-Unis, probablement suite à une provocation sous faux drapeau qui serait vendue par Washington au monde entier comme strictement défensive. Après tout, au XXIe siècle, celui qui gagne la guerre du baratin gagne la guerre tout court.
Ainsi, chaque pays membre de l’OTAN sera toujours forcé par Washington de dépenser 2% de son PIB dans cette guerre future putative. Étant donné que ces armes doivent être OTAN-compatibles, il s’ensuit qu’elles doivent être achetées à Washington. Pourtant, alors que ce délicieux racket mafieux continue au profit du complexe militaro-industriel de surveillance de la contre-insurrection militaire – la Russie a totalement remanié et mis à jour son propre complexe militaire, laissant l’OTAN à la traîne, et la Chine pas loin derrière, ce qui se produira avant 2020. La Russie a seulement dévoilé une partie de l’ensemble du lot – en Syrie occidentale, en mer Noire et à Kaliningrad. Pas étonnant que les commandants de l’OTAN du style Breedhate aient commencé à flipper.
Alors que faire ? Eh bien, premièrement : installer des bases permanentes près des frontières de la Russie – avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada, chacun faisant stationner à son tour un bataillon en Pologne, en Estonie, en Lituanie et en Lettonie. Pour mémoire, c’est la première fois dans son histoire que l’OTAN déploiera des troupes si près de la Russie.
Et deuxièmement : installer une plateforme de défense anti-missiles en Roumanie et plus tard en Pologne, en plus de celles déjà existantes en Espagne et en Turquie, au motif incroyablement foireux qu’elles sont destinées à contrer les missiles iraniens. Et tout ça sous le commandement de l’OTAN – ce qui dans la pratique ne veut rien dire, parce que l’OTAN obéit toujours à un général américain, de nos jours Curtis Scaparrotti, le successeur de Breedhate.
Il est juste de faire remarquer que Moscou considère le premier point [le stationnement des troupes en Pologne et dans les pays baltes]comme une blague. Mais le second point [les antimissiles] peut se transformer en une affaire assez grave.
Le Secrétaire général de l’OTAN, le zombie Jens Stoltenberg, insiste sur le fait que « L’OTAN ne menace aucun pays. Nous ne voulons pas une nouvelle guerre froide. Nous ne voulons pas une nouvelle course aux armements. Et nous ne cherchons pas la confrontation ». Eh bien, voilà une sonore rafale de mensonges. Les intrigues de l’OTAN pour provoquer la Russie, et la forcer dans une confrontation, sont au cœur même de la stratégie de guerre froide 2.0.
Pas étonnant que le conseil OTAN-Russie, réuni à Bruxelles après un long hiver, n’ait pas été exactement une promenade de santé. Andreï Klimov, chef adjoint de la commission des Affaires étrangères à la Chambre haute du Parlement russe, a délicieusement brodé, au sujet des bataillons de l’OTAN : « Imaginez que quelqu’un ait mis des bidons d’huile ou d’essence devant votre porte. Que faire ? Pleurer et demander gentiment aux gens de les retirer ? ».
L’OTAN est particulièrement paniquée à propos de Kaliningrad – le QG de la puissante flotte russe dans la mer Baltique. En fait, tout cela concerne le passage de Suwalki ; un tronçon d’environ 100 km le long de la frontière lituano-polonaise entre le Belarus et Kaliningrad. Cette zone est actuellement protégée par un escadron d’artillerie anti-char polonais équipé avec des armes soviétiques archaïques. Ce serait certainement un jeu d’enfant pour Moscou de couper l’accès de l’Europe occidentale aux pays baltes si les faits sur le terrain – et dans les airs – tournaient au vinaigre. Mais pour quoi faire ? Pour gagner quoi ? C’est comme si les commandants de l’OTAN étaient obnubilés précisément par ce scénario.
Des fous
Les provocations insensées du Pentagone et de l’OTAN ont déjà abouti à ce que la Russie renforce ses capacités considérables d’auto-défense. On pouvait s’y attendre, Pékin apporte son soutien. L’ensemble de l’équilibre géopolitique du pouvoir s’est déplacé, lentement mais sûrement, au détriment de Washington, sans aucune raison valable. Pendant des années, le Kremlin a recherché un partenariat profitable deLisbonne à Vladivostok. Quant à l’UE, comme pour la tour de Babel, les fissures s’élargissent imperturbablement.
Donc, la seule vraie solution militaire – en Europe – serait le remplacement de missiles offensifs par des missiles défensifs, moins dangereux, en Pologne et en Roumanie, car si les choses devaient mal tourner, ces deux pays prennent le risque sérieux de s’autodétruire. Comme je l’ai déjà expliqué avant, la Russie est prête pour la guerre et ses missiles défensifs sont en avance sur ceux des Américains. Fondamentalement, les États-Unis ne peuvent pas pénétrer dans l’espace aérien de la Russie, mais les missiles nucléaires russes peuvent pénétrer l’espace aérien américain. La destruction mutuelle assurée [MAD] ne tient plus.
La Russie, cependant, ne conduira jamais une attaque armée contre l’OTAN – et cela a été énoncé clairement, maintes et maintes fois, par le Kremlin et le ministère des Relations extérieures. Mais là encore, les provocations du Pentagone et de l’OTAN, au bord du territoire russe – en particulier Kaliningrad – pourraient bien se transformer en incident du Golfe du Tonkin, et dans ce cas tous les paris sont ouverts.
Pourquoi cette folie ? C’est simple. Tout remonte au document du Pentagone Joint Vision 2020, alias Full Spectrum Dominance, avec sondroit implicite d’intervenir « dans tous les domaines, l’espace, la mer, la terre, le ciel et l’information ». Il renvoie au mythe de l’hégémonie bienveillante des États-Unis, gendarme à tout prix de ce qui est défini comme un ordre international fondé sur des règles – politiques et géo-financières – de toute évidence supervisé par l’hégémon.
Ce dispositif, pas très subtil, implique que la Russie et la Chine, en tant que défi à l’ordre, provoquent le chaos–- et non l’Empire du Chaos lui-même. Appelons cela une version légèrement plus nuancée du Projet pour le nouveau siècle américain PNAC.
Pendant ce temps, dans la vie réelle, le Pentagone a remarqué qu’il est en retard là où ça compte vraiment – et où la Russie est déjà en avance de plusieurs générations : les missiles offensifs et défensifs, et les sous-marins. Les avions et missiles américains sont des cibles relativement faciles contre les missiles de défense russes comme le S-500 qui verrouillent son espace aérien.
Les S-500 ont commencé leur déploiement en 2015. Il faut compter environ cinq ans par génération pour le déploiement en production. Cela signifie que la prochaine génération – nous allons l’appeler, pour les besoins du raisonnement, les S-600 – seront déployés en 2020. Les États-Unis déploient une nouvelle génération tous les dix ans – ce qui voudrait dire que les États-Unis pourraient accuser un retard exorbitant de quatre décennies sur la Russie, qui est deux fois plus rapide dans le développement de missiles que les États-Unis. Le président Poutine a déjà laissé entendre officiellement que sa principale préoccupation au sujet du système de défense antimissile américain était sa substituabilité [basculement de défensif en offensif]. Il craint que les missiles offensifs puissent être utilisés dans les mêmes lanceurs que ceux du nouveau système de défense balistique Aegis – que les Israéliens estiment vraiment inférieurs aux S-300 russes.
Donc, pour couper court, oui : les relations Pentagone / OTAN-Russie ont atteint le point de fusion le plus dangereux de l’histoire moderne. Tous les paris sont ouverts si nous avons une Full Spectrum Dominatrix [Clinton] à Washington en 2017. Il sera pratiquement impossible de maîtriser sa mentalité « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort » pour un atterrissage en douceur, ce qui signifie que l’engagement de l’Empire du Chaos dans une Troisième Guerre mondiale nucléaire – ou Quatrième si l’on prend en compte la Guerre froide – reste une possibilité désastreuse.
Le président chinois Xi Jinping a reçu Poutine à Beijing au lendemain du Brexit. La Russie et la Chine sont de plus en plus attirées l’une vers l’autre, dans la mesure où toutes deux craignent sérieusement le vide géopolitique installé en Occident. Le seul interlocuteur sérieux, pour les deux, est l’Allemagne – qui se trouve être la terre promise, et l’une des principales destinations finales des Nouvelles routes de la soie, alias Une Ceinture, une Route (OBOR). Imaginez un alignement parfait, dans un avenir pas trop lointain, de Pékin, Moscou et Berlin. Il se trouve que c’est aussi, historiquement, l’ultime cauchemar anglo-américain.
Le complexe militaro-industriel de surveillance anti-insurrectionnel est absolument terrifié par les scénarios de jeux de guerre russes – et chinois : des sous-marins capables de bloquer le trafic trans-océanique de l’Asie vers les États-Unis. Des composants majeurs nécessaires aux armes US sont fabriqués en Asie. Dans le cas où ces sous-marins peuvent bloquer les mers, le puissant complexe militaro-industriel de surveillance anti-insurrectionnel s’effondrerait, tout simplement.
Le Pentagone est, comme prévu, hystérique. Cela signifie que ces industries doivent être rapatriées aux États-Unis. Pour cela, le dollar américain doit descendre à un niveau cohérent avec la logique économique pour rapatrier ces industries. Et cela pousse certains acteurs puissants à New York vers l’idée que Donald Trump est soutenu par certaines forces profondes occultes à cet effet – et dans ce seul but. Les discours de Trump, malgré leurs divagations, gardent une logique : ils soulignent toujours qu’il va reconstruire l’armée américaine, et il ramènera les industries américaines à la maison.
Pendant ce temps, le Pentagone, l’OTAN et l’UE attisent sans vergogne la confrontation avec la Russie, qui est maintenant devenue une composante officielle de leur politique étrangère, au moins pour un avenir prévisible sans Trump.
Mais, il est toujours inévitable de revenir à cette caractéristique infantile du jeu mental : peut-on croire sérieusement que les États-Unis risquent de déclencher une guerre nucléaire, qui tuerait au moins 200 millions d’Américains, pour le bien de… la Pologne ? Ou de… l’Estonie ?
avec reseauinternational