Au Niger, une terrible maladie méconnue, le noma, défigure chaque année près de 6.000 enfants de moins de 6 ans. L’ONG Sentinelles lutte pour tenter d’endiguer ce mal épouvantable.
NOMA. Son nez a disparu, tout comme sa lèvre et une partie de sa gencive supérieure, pour laisser place à une atroce béance : Mourdja, 13 ans, est défigurée par le noma (du grec numein : dévorer), “maladie de la misère” causée par la malnutrition, très présente au Niger. “Avant, c’était mieux.”Difficile d’arracher quelques mots à l’adolescente chétive, dont l’attention est fixée sur ses bracelets qu’elle triture, tant elle semble mal à l’aise. Avant le noma, Mourdja, au regard aussi doux que fuyant, n’avait pas ce terrible rictus imprimé sur le visage. Mais la maladie a tout changé. Un saignement des gencives (gingivite) qui s’est infecté a viré à la plaie gangréneuse. Trois jours plus tard, Mourdja perdait sa beauté. Son enfance.
Une odeur de mort
“Le problème est que c’est une maladie très rapide. La nécrose se crée en 72 heures. Si le patient arrive chez nous avec une plaque noirâtre (sur le visage), c’est déjà trop tard”, observe Fati Badamasi, une infirmière del’ONG suisse Sentinelles, qui lutte contre la maladie. Ali Adah, responsable de Sentinelles au Niger, raconte plutôt “l’odeur” du noma, qui sent “la pourriture, comme un cadavre. Quand je viens au bureau et qu’on a un nouveau cas, je le sens tout de suite”, explique-t-il. Mourdja, une fois infectée, avait cette odeur de mort. Issue d’une famille “très pauvre” de la province de Tahoua (centre), elle vivait dans une cabane en paille, “sans eau ni électricité”, avec ses parents et “une dizaine de frères et soeurs”, se souvient Aboubakar Moussa Mato, un assistant social de l’ONG. “Le noma est dû à la malnutrition et au manque d’hygiène, remarque l’infirmière Badamasi. C’est une maladie de la misère. Or au Niger, il y a plein de misère.”
Le Niger, terrain idéal pour le noma
Dernier État au monde en terme de développement humain selon l’ONU, ce pays sahélien pauvre, au taux de fécondité record (7,6 enfants par femme), est abonné aux crises alimentaires. La malnutrition, qui tue entre 4.000 et 6.000 enfants nigériens chaque année, touchait en juin 2014 près de 15% des moins de 5 ans. Un terrain idéal pour le noma, qui prolifère lorsque les défenses immunitaires sont au plus bas. Le Niger fait tristement partie des champions de la maladie qui frappe chaque année entre 140.000 et 180.000 personnes dans le monde, principalement des enfants, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont la dernière estimation date néanmoins de 1998. La plupart des pays africains ont connu le noma, tout comme le Laos et certains pays d’Amérique latine, de même source.
En Europe, les derniers cas “ont été recensés pendant la seconde guerre mondiale, dans les camps de concentration, observe Benoît Varenne, un expert de l’OMS. Cela donne une idée du genre d’infection auquel on a affaire.” Aucune statistique n’est disponible au Niger. Mais “90% des enfants meurent avant de recevoir les premiers soins, souligne le docteur Ibrahim Hamadou, coordinateur d’un Programme national contre la maladie. Ça veut dire qu’on ne connaît que les 10% restants.”
Ce qu’on fait, c’est un demi-miracle, mais c’est très loin d’être parfait” – Pr Brigitte Pittet, des hôpitaux universitaires de Genève
Grâce à l’ONG Sentinelles, Mourdja partira bientôt pour Genève, où des chirurgiens s’attèleront à lui reconstruire nez et bouche. Elle y passera entre six mois et un an, d’opérations en périodes de rééducation, avant de rentrer chez elle. Seymi, dont le noma avait dévoré la moitié gauche du visage, l’a précédée en Suisse. Un fragment de peau et de muscle prélevé au bord de son thorax recouvre l’ancienne blessure. Le garçonnet, dont un oeil a été détruit, reste toutefois largement défiguré.
“Ce qu’on fait, c’est un demi-miracle, mais c’est très loin d’être parfait”, constate le professeur Brigitte Pittet, des hôpitaux universitaires de Genève. “Il est très complexe de reconstruire en trois dimensions un nez avec des muqueuses, des parois buccales, des lèvres”, note-t-elle, malgré de nettes améliorations au fil des ans. Certaines réparations d’enfants moins fortement touchés sont à peine visibles, se félicite le chirurgien. Mais pour éviter de telles opérations, extrêmement onéreuses, les autorités nigériennes misent sur la prévention : “Nous montrons aux mères des images monstrueuses, pour qu’elle soient choquées”, et pensent à emmener très tôt leurs enfants se faire soigner, explique le Dr Hamadou. “Car quand le noma est détecté précocement, les résultats sont spectaculaires.” La méthode fonctionne. Grâce à elle, la trentaine d’enfants traitée fin mai 2015 dans le centre de Sentinelles à Zinder (sud) ne souffrait que de simples gingivites. Mais de nouveaux pics de noma sont attendus avec la saison des pluies à venir.
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