Si l’annonce du sommet intercoréen avait encore fait grimper la côte de popularité du Président Moon Jae-in (avec des opinions favorables de l’ordre de 70 %), les conservateurs du Parti de la Liberté de la Corée (PLC), menés par l’ancien candidat à l’élection présidentielle Hong Joon-pyo, dont la formation est toujours le principal parti d’opposition, restent arc-boutés sur des positions pour le moins réticentes vis-à-vis de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), tout en ayant empêché la tenue d’un référendum constitutionnel qui aurait eu lieu en même temps que les élections locales du 13 juin 2018. Ces positions, certes minoritaires dans l’opinion publique, rappellent toutefois qu’il existe, en République de Corée (Corée du Sud), une sensibilité hostile par principe au dialogue avec la Corée du Nord, dont les représentants à la présidence sud-coréenne pendant 9 ans (2008-2017) ont d’ailleurs une lourde responsabilité dans la dégradation des relations intercoréennes pendant cette décennie perdue pour la réunification. Affaiblis mais déterminés, les conservateurs anti-Corée du Nord peuvent encore mobiliser des relais puissants pour faire échouer les promesses de paix, de dialogue et de réconciliation – notamment dans certains médias néoconservateurs et dans des officines anticommunistes créées et alimentées par les crédits américains pendant la guerre froide, certains ayant un intérêt objectif à ce que la guerre froide ne prenne jamais fin en Asie.
Le 24 avril 2018, à quelques jours du sommet intercoréen, le Président Moon Jae-in faisait part de son regret de ne pas pouvoir soumettre son projet de révision constitutionnelle (qui avait été déposé sur le bureau de l’assemblée le 26 mars 2018) à l’approbation des citoyens le même jour que les élections locales, le 13 juin 2018. En effet, faute de majorité suffisante à l’Assemblée nationale, les démocrates au pouvoir n’ont pas réussi à faire adopter une nouvelle loi sur les référendums nationaux – l’ancien texte ayant été déclaré anticonstitutionnel en 2014, car ne permettant pas la participation des citoyens sud-coréens qui résident à l’étranger.
Si les oppositions parlementaires étaient en désaccord sur le contenu du projet de révision constitutionnelle, ce débat n’a même pas pu être mené, compte tenu de l’obstruction parlementaire pour faire adopter la loi sur les référendums nationaux. Selon le Président Moon Jae-in,
L’Assemblée nationale a empêché un vote sans même délibérer sur le projet de révision constitutionnelle proposé par le président sur la base du souhait du peuple.
Cette attitude relève d’une stratégie plus large de rejet systématique de la politique gouvernementale par la principale formation d’opposition, le Parti de la Liberté de la Corée (qui a obtenu 24 % des voix à l’élection présidentielle de mai 2017), concurrencé par un rassemblement de centre-droit, le Parti Bareun du futur, constitué de démocrates et de conservateurs en rupture de ban. Selon l’institut de sondages Realmeter, dans une enquête dont les résultats ont été rendus publics le 26 avril 2018, le taux de soutien du parti Minjoo (au pouvoir) s’élevait alors à 52,7 %, devant le Parti de la Liberté de la Corée (20,9 %), le Parti de la Justice (social-démocrate, 5,7 %), le Parti Bareun du futur (5,7 %) et le Parti pour la Paix et la Démocratie (démocrate, 2,9 %).
Alors que le Président Moon Jae-in a appelé à une union nationale autour du sommet intercoréen, cette proposition a été sèchement rejetée par le leader conservateur Hong Joon-pyo, qui a dénoncé un « show politique » et une politique de capitulation comparée à l’attitude des démocraties face à Adolf Hitler en 1938 :
Si la Corée du Nord n’abandonne pas ses armes nucléaires, tout accord entre les deux Corées ne fera que bénéficier à l’ennemi (…) La comédie de la paix intercoréenne de l’administration Moon affaiblit l’alliance avec les Etats-Unis (…) Cela me rappelle l’accord de Munich de Chamberlain en 1938.
La loi de Godwin se vérifie (à savoir que plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’une comparaison avec les nazis ou Adolf Hitler approche de 1) ; elle signifie surtout que la prophétie des conservateurs sud-coréens doit se réaliser, au risque sinon pour eux d’être marginalisés définitivement – alors que les élections locales du 13 juin pourraient leur faire perdre d’importantes positions.
Dans ce contexte, les conservateurs – qui dominent la presse sud-coréenne, sont majoritaires dans la haute hiérarchie militaire et ont des relais parmi les églises protestantes, au sein de l’administration des Etats-Unis et d’autres pays occidentaux (la prudence des communiqués de certains gouvernements occidentaux, après le sommet du 27 avril 2018, témoigne de cette influence) – doivent faire échouer le dialogue intercoréen, par tous les moyens. Il y a là un risque majeur, à ne pas négliger, pour la poursuite de l’actuelle séquence diplomatique. Face aux menaces qui pèsent sur un processus encore fragile, l’AAFC espère que l’électorat rejettera, le 13 juin, les partisans des tensions et de la marché à la guerre, dont le jusqu’au-boutisme avait conduit le monde au bord du gouffre d’une guerre nucléaire en 2017.
Sources :
http://french.yonhapnews.co.kr/news/2018/04/24/0200000000AFR20180424001300884.HTML