Alexandre Davidoff, marguillier de la Paroisse de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, Lyon
Constantin Davidoff, le père d’Alexandre, fut capitaine de l’armée tsariste de Kornilov. Dans les années 1920, il suivit le sort des militaires blancs et prit le bateau à Sébastopol pour fuir le régime bolchévique. « C’était la fin de leur vie en Russie, raconte Alexandre. Ma mère est parvenue à partir de Saint-Pétersbourg légalement, c’est-à-dire avec un visa, puisqu’elle avait des origines françaises. Mais mon père a dû émigrer comme les autres ».
Crédit : Marina Shaymukhametova
De Sébastopol à Constantinople, puis dans tous les coins du monde, des milliers de Russes blancs cherchaient du travail en Europe. « Ils trouvaient des annonces d’offres d’emploi dans les journaux et venaient pour des contrats d’ouvriers, mineurs, charbonniers, chauffeurs de taxi… Mon père a dû travailler dans une usine de textile à Lyon ». En arrivant en France, les émigrés russes avaient tous le même statut – apatrides – et il leur a fallu plusieurs années pour obtenir la nationalité française, rappelle Alexandre.
Aussitôt que les premiers réfugiés arrivèrent à Lyon en 1924, ils créèrent une paroisse orthodoxe qui rassemblait les Russes de la région. C’est là qu’Alexandre Davidoff, informaticien et ancien élève de l’Université Paris VII – Sorbonne, sert aujourd’hui. « Avant j’étais secrétaire-bénévole, j’aidais beaucoup notre paroisse… Et maintenant ça fait 30 ans que je suis marguillier ».
Né Français et impliqué dans la vie sociale et culturelle de son pays, Alexandre n’a toutefois jamais négligé ses origines russes. Selon lui, être marguillier d’une paroisse orthodoxe contribue à la préservation de la culture russe et permet de rester en contact avec la génération des « nouveaux émigrés ».
« Aujourd’hui, les paroissiens russes sont de plus en plus nombreux à Lyon, confie-t-il. Il y a beaucoup d’étudiants et de jeunes diplômés russes qui respectent leurs traditions religieuses. Et puis il y a des Français qui sont curieux de voir les rites orthodoxes ou qui veulent faire connaissance avec des femmes russes, on dit qu’elles sont belles… », dit-il en souriant. « Tout cela crée notre public ».
Voyageant souvent à Moscou et à Saint-Pétersbourg, ce Français voit la Russie comme un pays en perpétuelle aspiration à l’ascension économique. « C’est la patrie de mes ancêtres, et son développement m’est particulièrement important. La Russie doit bien sûr évoluer, mais on ne doit surtout pas oublier qu’il faut évoluer sans révolution », juge-t-il.
Marie-Irène Cartron-Mirochnitchenko, organisatrice de voyages en Russie, Royan
Fille de Vassiliy Mirochnitchenko, officier de la Marine impériale décoré de la Croix de Saint-Georges, Marie-Irène demande de l’appeler simplement Macha. Le portrait de son père à Royan, dans le département de Charente-Maritime, orne son appartement.
Crédit : Marina Shaymukhametova
« Papa a navigué sur le légendaire croiseur Aurore et participé à l’évacuation des émigrés blancs à Sébastopol en novembre 1920 », confie-t-elle. Après avoir erré dans plusieurs pays dont la Turquie et la Roumanie pendant quatre ans, le lieutenant Mirochnitchenko arrive à Marseille en 1924. « En France il travaillait comme machiniste de théâtre pour monter et descendre les décors. Puis avec un ami russe ils ont appris la plomberie, et papa est devenu plombier ».
La vie de la première génération des émigrés blancs était riche en rebondissements. Nombreux étaient ceux qui arrivaient en France et ne trouvaient pas de travail. La pauvreté régnait dans les milieux des réfugiés russes. « La vie courante ce n’était pas une vie amusante », dit Macha. Malheureusement, son père décéda quand elle n’avait que cinq ans.
« Ma mère était Française, mais quand j’étais petite, je disais que j’étais née à Moscou, ce qui n’était pas vrai bien sûr. Mais dès l’âge de 8 ou 10 ans je me présentais non pas comme une Française d’origine russe, mais comme une Russe. Donc déjà à cet âge-là je ne me considérais pas comme les autres ».
Mariée à un Français qui l’encourage à garder sa double identité, elle dit que son grand chagrin est de ne pas parler couramment en langue de ses ancêtres. « J’ai commencé à apprendre le russe quand j’avais 30 ans, et puis à voyager en Russie. Et maintenant je suis secrétaire et organisatrice de voyages à l’association ‘Atlantique Oural ».
Dans la région de Charente-Maritime, Marie-Irène participe également à des rencontres avec les descendants des émigrés russes qui ont lieu tous les ans à Talmont-sur-Gironde. « Nous sommes de moins en moins nombreux, malheureusement. Parmi les gens de cette génération, je suis relativement jeune ». Les enfants des « apatrides » ont actuellement entre 70 et 85 ans. « On va vers la fin maintenant, dit Marie-Irène. Nous sommes les derniers ».
La nouvelle génération de descendants des émigrés russes, celle de leurs enfants, est aujourd’hui entièrement assimilée à la société française.
Alexandre Jevakhoff, historien, économiste et haut fonctionnaire français, Paris
Il est connu en France grâce à sa carrière politique. Ancien élève d’HEC, de Sciences Po Paris et de l’ENA, Alexandre Jevakhoff a commencé son parcours professionnel en tant qu’inspecteur des finances en 1981, puis a travaillé dans les ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères. D’origine russe, il est président de l’association internationale Cercle de la Marine impériale.
Archives personnelles
« Mes deux grands-pères ont quitté la Russie avec Wrangel [commandant en chef des Armées blanches du Sud durant la guerre civile russe] en novembre 1920 », relate-t-il. En arrivant à Constantinople, des milliers d’émigrés blancs se retrouvèrent sous la protection du gouvernement français pendant quelques mois. « Plus tard, la France a fait appel aux autres pays pour accueillir les émigrés russes. Cet appel n’a pourtant pas reçu de réponse positive de la part des pays interrogés, sauf le Brésil qui avait accepté d’accueillir mille réfugiés ». Cependant, de nombreux émigrés russes ont décidé de se réfugier dans l’Hexagone, car la plupart des représentants de la noblesse tsariste parlaient couramment français.
La famille Jevakhoff s’est installée dans une des places fortes de l’émigration blanche, Paris. Aujourd’hui, ce petit-fils de militaires de la marine impériale est marguillier de la cathédrale Alexandre Nevsky à Paris. Quant à son origine russe, il dit : « Pour moi c’est une question très facile. Je suis Français d’origine russe. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que j’ai deux patries. J’ai une seule patrie, un drapeau, un hymne national. Mais, malgré cela, je suis Russe et je suis orthodoxe ».
Ayant grandi dans une famille d’émigrés blancs, l’ancien inspecteur des finances avoue que sa langue maternelle est le russe. « J’ai commencé à parler français à l’âge de 7 ou 8 ans, car nous ne parlions que le russe à la maison, et ma famille a toujours cherché à préserver ses origines ».
Outre sa carrière de haut fonctionnaire en France, il exerce également l’activité d’écrivain. Auteur de plusieurs livres, dont Les Russes blancs et La guerre civile russe, il décrit de nombreux événements méconnus jusqu’à présent et reconnaît que les parties des chroniques de l’émigration russe ignorées par de nombreux chercheurs sont, pour lui, d’une importance primordiale. « Issu de cette émigration russe, je suis naturellement resté très attaché à cette histoire que j’essaie de faire connaître aujourd’hui », confie-t-il.
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