Marie Rose Luzolo dite « Maman Amazone » qui partagea 46 années durant la vie de l’icône de la Rumba congolaise, se livre en exclusivité sur la vie et l’œuvre de son époux disparu à Abidjan, sur la scène du Femua, le 24 avril 2016.
Trois mois presque jour pour jour après la disparition ici à Abidjan, sur la scène du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), de Papa Wemba, votre époux, vous êtes de retour en terre ivoirienne. Peut-on en savoir le sens et la portée ?
Je suis venue avec ma fille aînée, Anahendo Kadi, le staff managérial et le frère de mon mari, au nom de tout le peuple de la République démocratique du Congo, ainsi que de tous les fans qu’il a de par le monde, témoigner ma gratitude au peuple et aux autorités ivoiriennes. Merci à SEM. Alassane Ouattara, Président de la République de Côte d’Ivoire qui a honoré ma modeste personne, mes enfants et tout le Congo en décorant mon mari qui, du reste, ne nous appartenait pas, mais appartenait à l’Afrique et au monde. Merci au président Henri Konan Bédié et à Maman Henriette, son épouse, au président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre et au gouvernement ivoirien. Ma gratitude va personnellement à l’endroit du ministre d’État, Hamed Bakayoko et au ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Bandaman. Merci à mon fils A’Salfo. Merci au peuple ivoirien. Qui, d’Abidjan à Kinshasa, nous a honorées, ma famille et moi.
Tout compte fait, il ne pouvait en être autrement, car, avant que Papa Wemba ne décède ici, il affirmait qu’il adorait ce pays. D’ailleurs, ma fille qui est ici à mes côtés, y a vécu. J’ai été même jalouse d’Abidjan et de la Côte d’Ivoire. Surtout quand Papa, au début de notre union, passait son temps à fredonner le tube de Tabu Ley Rochereau: « Bel Abidjan, métropole, comme tu ressembles à Montréal…». Bref, et c’est cette terre qu’il a tant chérie qu’il a choisie pour mourir comme il l’avait rêvé, sur scène, devant son public à qui il appartenait en tant que Papa Wemba, l’artiste.
Cet artiste à qui le monde entier a rendu hommage. Je ne savais pas que l’homme qui était à mes côtés pendant 46 ans, pouvait susciter la réaction du Président Barack Obama ou faire observer une minute de silence lors de la finale d’un match de football américain aux Usa ou encore faire entonner des chants en lingala au Japon. Mieux, tout en remerciant le Président Kabila et tout le peuple congolais, pour le Congo que je connais, que les obsèques de Papa Wemba aient pu se dérouler sans incident. Ceci prouvant, plus que jamais, que mon mari était un homme au cœur bon, blanc, un rassembleur.
Justement, artiste au talent reconnu de par le monde, comment entrevoyez-vous son héritage musical, artistique ? Y a-t-il, au sein du clan Shunga Wemba, une graine de star qui devrait germer ?
Je ne peux que demander aux férus de la musique que faisait mon mari, au-delà de la Rumba, de perpétuer son œuvre. Celle qui a fait retentir la Rumba dans le monde, mais aussi, celle qui s’est ouverte à toutes sortes de métissages culturels. Moi-même, je vais défendre comme il l’a fait, la Rumba jusqu’à la fin. Justement, sur instruction du Président congolais, les ministres du Tourisme (assurant l’intérim du ministre des Arts et de la Culture, décédé dans la foulée des obsèques de mon mari auxquelles il a pris une part active) et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ont entrepris les démarches pour faire inscrire la Rumba au patrimoine mondial de l’Unesco.
Papa Wemba et son œuvre appartiennent au patrimoine de l’humanité. Revenant à l’héritage musical, il y a tous ces musiciens congolais, particulièrement ceux de Viva La Musica qui peuvent continuer l’œuvre de mon mari. Mais aussi, tous les férus de la Rumba dans le monde. Il en est de même pour tout ce qui est de la construction d’un mausolée, d’un musée, etc., à Kinshasa comme à Abidjan ou ailleurs, qui nécessite une marge de temps pour que tout soit bien fait.
Au niveau familial, il y a des talents, à l’instar de ma fille cadette, Orphée qui chanta avec lui à l’Olympia de Paris, à l’âge de 7 ans. Elle avait exprimé à Papa son désir d’épouser une carrière artistique qu’il refusa. Lui intimant de poursuivre ses études. Aujourd’hui, elle a terminé ses études à l’Efap-Bordeaux, donc, sait-on jamais ! Surtout qu’elle s’est fait agréablement remarquer dans l’émission télévisée française de révélation des talents émergents, «La nouvelle star», la saison dernière. Sinon elle est une vraie chanteuse à voix, un peu comme Papa. Il y a aussi les petits-enfants, neveux, nièces…
Toutefois, je tiens à noter que Papa a toujours voulu garder sa famille, en tant que M. Shungu, loin des projecteurs médiatiques et du showbiz qu’il ne trouvait pas sain pour l’équilibre familial. A juste titre, il a toujours scolarisé les enfants en province en France et ceux-ci ne rejoignaient Paris que pendant les vacances. C’est aussi pourquoi, il n’a jamais voulu les exposer à Kinshasa. D’ailleurs, ce n’est que lors des obsèques de leur père que quasiment eux tous, ont foulé la terre congolaise pour la première fois.
Et au niveau de l’élégance et de l’habillement ? Pour parler Sape et Sapologie dont il était considéré comme le pape ?
Loin de ses goûts premiers pour le bling bling et l’extravagance qui ont jalonné le milieu des sapeurs sur les deux rives du Congo et à Paris jusqu’au début des années 1990, Papa Wemba s’est raffiné en vieillissant. Il a su avec style, offrir une élégance et une prestance avec un savant mélange de styles et genres qui lui ont conféré respect. Aujourd’hui, sans peur de me tromper, je puis affirmer qu’un jeune comme Maître Gims, en France, s’inscrit dans cette mouvance. Normal, pourrais-je dire, car, ce Franco-congolais n’est autre que le fils de l’un de ses compagnons.
Je sais aussi que mon mari avait beaucoup de fans, d’amis et d’admirateurs en Côte d’Ivoire. Ce qui n’est, encore une fois, pas étonnant. En tout cas, ma famille et moi-même, sommes chez nous ici et très fières d’être liées à jamais à la Côte d’Ivoire.
A juste titre, comment recevrez-vous une invitation au Femua 2017, sur cette scène-là même où il est passé de vie à trépas ?
Ce sera avec un réel plaisir et une réelle fierté ! Oui ce sera, encore une fois de plus, un hommage que la Côte d’Ivoire lui rendra. Que la communauté des artistes lui rendra. Et pas que l’année prochaine ! Chaque fois qu’on sera invité (e) par nos frères ivoiriens, on répondra présent. Et cela, je l’ai dit et réaffirmé à A’Salfo et à vous tous mes frères et fils.
Cela pourrait paraître comme une question qui fâche mais comme vous avez confié, au préalable, qu’aucune question ne serait taboue, qu’en est-il de la supposée descendance de Papa Wemba qui aurait une trentaine d’enfants ?
Quand Papa Wemba et moi sommes connus alors qu’il avait à peine 21 ans et moi pas encore 15 ans, la première question que je lui ai posée était celle de savoir s’il avait une relation. Il m’a répondu qu’il avait trois copines, pas d’enfants et qu’il les laissait pour ne vivre qu’avec moi. Nous étions encore à Molokaï. Nous avons donc commencé notre vie à deux, puis nous avons eu nos premiers enfants. Ce n’est que plus tard, qu’il a confié avoir eu deux enfants qui avaient sensiblement le même âge que mes deux aînés. Et c’est moi qui les ai élevés, aussi bien à Ma Campagne, dans notre résidence qu’à Paris. Vous savez, il y avait M. Jules Shungu et Papa Wemba, le père de famille et la star.
Mes six enfants avec mon mari, au-delà de ses deux autres enfants que j’ai élevés chez moi, sont ceux connus de sa famille et de la mienne. Je sais, justement, pourquoi mon mari a voulu protéger nos enfants en leur évitant les milieux congolais à Paris et Bruxelles, à plus forte raison de les faire venir au pays. Jusqu’à ce qu’il meurt, toutes ces rumeurs n’avaient pas cours. Et, brusquement, l’on nous dit que mon mari a 30 enfants et qu’ils réclament leur reconnaissance ! Cela était d’autant plus choquant que cela a suscité une vive réaction de consternation de Maman Olive Kabila, la Première dame du Congo. S’ils étaient sages, ils auraient attendu qu’on enterre leur soi-disant «père» dans toute sa dignité et laver le linge sale en famille. Ni les frères et sœurs de mon mari ne les connaissent. C’est pourquoi, j’accuse leurs mères qui n’ont pas fait preuve de dignité. C’était franchement humiliant pour mes enfants, humiliant pour Papa. Par ailleurs, je tiens à dire que je ne suis ni notaire ni l’État civil pour reconnaître des enfants dont mon mari n’a jamais parlé.
Vous savez, au bout de 46 ans de vie commune, comme l’indiquent les Saintes-Ecritures, j’ai payé le prix, j’ai fait des sacrifices, j’ai payé de ma jeunesse et j’ai été l’équilibre de Papa Wemba. Et si mon mari était «100% star», j’y suis pour 100%. Je suis fière d’un seul et unique amour de toute une vie. Seulement, il m’avait confié, à mon corps défendant et au grand dam de nos enfants qui l’ont compris, en dépit de leur affliction, qu’il appartenait à son… public. Et, oui, il a vécu comme il a voulu avec moi et nos enfants à ses côtés, et est parti comme il l’a toujours voulu, parmi son public.
avec fratmat