Le lait de Centrale Danone, l’eau minérale Sidi Ali et le carburant des stations Afriquia… Depuis quelques jours, ces trois marques sont victimes d’un boycott lancé sur les réseaux sociaux. Ce mouvement qui surfe sur des thématiques de défense des consommateurs fait réagir les cercles politiques et économiques.
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux au Maroc s’agitent suite à un appel au boycott, assez mystérieux, lancé en premier lieu sur quelques pages Facebook avant de se propager sur Twitter. Les initiateurs du « mouvement » demandent aux Marocains de cesser d’acheter du lait de chez Centrale Danone, filiale du géant français Danone, l’eau minérale Sidi Ali, marque historique de l’entreprise Eaux minérales d’Oulmès dirigée par Miriem Bensalah (présidente sortante de la CGEM), et enfin le carburant vendu par le distributeur d’hydrocarbures Afriquia du groupe Akwa, dont l’actionnaire majoritaire est Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture. Même si l’origine de l’initiative reste inconnue, le Hashtag #nous_boycottons (traduit aussi de l’arabe #Mou9ati3oun) prend de plus en plus d’ampleur.
Entre défense du pouvoir d’achat des citoyens et attaque à l’encontre de la gourmandise et de l’avidité des entreprises, le mouvement a trouvé un certain succès populaire, au point de faire réagir les politiques. Répondant à une question orale, le 24 avril au Parlement, l’argentier du royaume Mohamed Boussaid a eu des mots assez durs à l’encontre des initiateurs de l’appel, les qualifiant d’« étourdis ».
Marges versus emplois
Pour lui, il faut au contraire encourager les entreprises marocaines qui emploient plusieurs milliers de personnes, au lieu de boycotter ses produits. Depuis cette réaction, fortement médiatisée, le ministre de la formation du Rassemblement national des indépendants (RNI) est désavoué par beaucoup de Marocains, y compris chez une partie de ceux qui condamnent le mouvement. Pour eux, il est inconcevable qu’un homme d’État utilise des mots blessants à l’encontre de la population, quand bien même elle serait en tort.
Le lendemain, le 25 avril, Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture, a profité du Salon international de l’Agriculture de Meknès (SIAM) pour essayer de répondre à ce mouvement qui le touche particulièrement.
Ce n’est pas Internet qui viendra empêcher ces gens-là de travailler, et c’est sur le terrain que ça se passe, pas dans le monde virtuel », a martelé Aziz Akhannouch
Le président du RNI a donc gardé sa casquette de ministre pour venir « au secours », avec des termes mesurés, de la filière laitière qui offre 474 000 emplois, selon lui. « Ce n’est pas Internet qui viendra empêcher ces gens-là de travailler, et c’est sur le terrain que ça se passe, pas dans le monde virtuel », a martelé Aziz Akhannouch, qui n’a pas voulu parler de son groupe, Akwa, lui aussi visé par cette campagne. Se montrant peu inquiet, le ministre ne craint pas le boycott. Il assure que « les Marocains boivent du lait le matin et l’après-midi et sont conscients qu’avec cet acte, ils aident les producteurs laitiers à continuer à travailler ».
En face, les « boycotteurs » assurent n’avoir aucune envie de faire du mal aux fermiers, mais viser les marges appliquées par les entreprises comme Centrale Danone.
Une « trahison à la nation »
Du côté des entreprises, cette dernière est la seule à s’être exprimée à travers son directeur des achats, Adil Benkirane, présent lui aussi au Salon international de l’Agriculture de Meknès. Ce dernier a mis en avant les petits agriculteurs marocains qui seraient les premiers touchés dans le cas d’une baisse de la consommation. Adil Benkirane va même plus loin, en expliquant que le « sabotage des produits marocains qui proviennent des campagnes est une trahison à la nation ».
Si le directeur des achats de la Centrale Danone reconnaît employer des mots particulièrement durs, il en assume la responsabilité. Depuis cette sortie, aucune communication d’entreprise n’a été faite.
Les « boycotteurs » n’hésitent pas à publier, par inadvertance ou volontairement, des fausses photos ou des images qui ne sont pas prises au Maroc
Les autres marques n’ont pas souhaité réagir publiquement, faisant le gros dos en attendant que le vent tourne. Contactée par nos soins, une source interne à Akwa Group, maison-mère du distributeur Afriquia, se dit « choquée et sidérée » par cette campagne. « Une partie des Marocains n’arrive pas encore à concevoir le fait que le marché des hydrocarbures subisse les variations des prix du pétrole à l’international. Nos stations respectent la réglementation nationale et nous ne sommes pas les plus chers. L’État aussi fait son travail de vérification, ce que les consommateurs ne savent pas forcément », précise notre source. Cette dernière explique également que « sur les réseaux sociaux, des publications fallacieuses cherchent à manipuler l’opinion publique et à l’induire en erreur ».
Pour montrer que le mouvement est une réussite, les « boycotteurs » n’hésitent pas à publier, par inadvertance ou volontairement, des fausses photos ou des images qui ne sont pas prises au Maroc. Quelques images, difficilement vérifiables, annonçant des baisses de prix, circulent ainsi depuis quelques jours. Sur le terrain, les Marocains sont presque tous au courant.
Une grande partie exprime son soutien au mouvement et dit espérer des baisses des prix.
Avec jeuneafrique