Dans notre édition N°162 du 15 mars 2015, nous revenions sur les derniers rebondissements du long feuilleton judiciaire opposant depuis plus d’une décennie le groupe Planor Afrique de l’opérateur économique burkinabè, Appolinaire Compaoré, à l’un de ses ex-associés, au sujet de la compagnie de téléphonie mobile Telecel Faso. Nous écrivions que l’homme d’affaires burkinabè et son groupe étaient sur le fil du rasoir, au regard de la tournure que prenait désormais l’affaire. En effet, par une décision en date du 11 février 2015, la première Chambre civile de la Cour de cassation de Paris renvoyait dos à dos les deux protagonistes dans cette affaire sur laquelle le groupe Planor avait jusque-là la haute main. Cela nous avait valu en son temps un prompt droit de réponse, digne d’un véritable procès en sorcellerie. Arguant de ce que le différend l’opposant à son ex-partenaire serait clos depuis belle lurette, Appolinaire Compaoré nous accusait, entre autres, de vouloir jeter inutilement du discrédit sur la gouvernance de son entreprise. Eh bien, l’évolution des faits vient de démontrer que la partie est loin d’être pliée. Mieux, la suite pourrait réserver de grandes surprises. L’affaire est de nouveau devant le Tribunal du commerce de Ouagadougou.
Les signaux ne sont pas bons à Telecel Faso. L’entreprise va mal. Elle croulerait sous des dettes énormes. Le dernier rapport annuel de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est assez illustratif à ce sujet. Parmi les trois opérateurs en présence sur le marché de la téléphonie mobile au Burkina, Telecel est le seul qui doit à ses deux autres concurrents à la fois. En effet, dans le cadre des conventions d’interconnexions que les différents opérateurs ont établies entre elles pour permettre à leurs clients respectifs de communiquer, il arrive qu’en fin d’exercice, après les jeux des compensations, l’un doive à l’autre.
Dans ce cas, celui qui doit est tenu de payer son créancier en apportant un complément en numéraires. C’est ainsi qu’il ressort dans le rapport que Telecel doit de l’argent, même beaucoup d’argent, à la fois à Airtel et à Telmob. Il ressort aussi que Telmob doit, mais uniquement à Airtel. Pour éponger ses dettes qui traînent depuis des années, des pourparlers auraient permis à Telecel d’obtenir des moratoires de payement. Mais là encore ça coince ; elle a du mal à respecter ses engagements. Les échéanciers de payement auxquels elle s’est engagée ne sont pas respectés. Par exemple, le moratoire signé avec Airtel en mars 2013 faisait ressortir une dette avoisinant le milliard de FCFA. La durée du moratoire était de 18 mensualités allant de mars 2013 à août 2014. A la date du 09 octobre 2013, quatre (04) mensualités étaient en retard de paiement. Avec Telmob, la situation est quasi similaire.
Mais il n’y a pas que ça. Sur le plan des investissements, le constat est loin d’être reluisant. Le retard par rapport aux autres opérateurs est manifeste et cela se ressent sur la qualité des services offerts, tant au niveau de l’internet que de bien d’autres services à valeur ajoutée. Du coup, l’entreprise fait face de plus en plus difficilement à la concurrence. Résultat, au niveau du parc des abonnements, Telecel se retrouve à la dernière place, loin derrière ses deux autres concurrents, avec un total de 2 385 013 abonnements au 31 décembre 2014 contre 4 642 890 pour Airtel et 5 468 488 pour Telmob. Inutile de revenir sur le déphasage avec le cahier des charges de l’entreprise. Dans un tel contexte, ce qui est redouté, c’est l’avenir même de l’entreprise. Aen croire les spécialistes, si rien n’est fait, il faut craindre que Telecel ne s’écroule définitivement. Ce qui serait un très grand dommage pour l’économie nationale.
Procédure de sauvetage !
Sans compter ce que cela pourra avoir comme incidence au plan social, notamment en termes de perte d’emplois. C’est de ce constat assez alarmant que la procédure en ce moment en cours devant le Tribunal du commerce de Ouagadougou tire sa source. En principe, c’est le 20 juin prochain que le tribunal devra connaître de nouveau l’affaire Telecel Faso. Cette affaire qui n’a que trop duré devant les tribunaux, tant au niveau national qu’international. Cette fois-ci, pour ce qu’on a pu apprendre, la présente procédure est assez spéciale. A ce qu’on dit, elle n’aurait rien à voir avec ce qu’on a connu jusque-là dans ce long marathon judiciaire dont les origines remontent à plus de dix ans. Au-delà des gros enjeux financiers, c’est la survie même de l’entreprise Telecel Faso qui est ici en jeu. Il s’agit, explique une source proche du dossier, d’une procédure de sauvetage d’une entreprise en danger.
A terme, il s’agit, comme la loi le prévoit, de faire entrer dans le capital de l’entreprise un partenaire de référence, à même de lui redonner un souffle nouveau. Un actionnaire majoritaire qui prendrait le gouvernail de l’entreprise, afin de la remettre sur les rails. Cela, comme l’avait du reste autorisé une décision de justice partiellement exécutée en 2008. Cette démarche s’avère d’autant plus urgente que l’actuel actionnaire majoritaire, le groupe Planor Afrique d’Appolinaire Compaoré, en l’occurrence, se retrouve à la croisée des chemins. En plus d’importantes dettes vis-à-vis de ses partenaires banquiers, son grand projet de création d’une compagnie de téléphonie mobile (Alpha Telecom) au Mali, ayant fait couler beaucoup de salive à un moment donné, est plus que jamais compromis.
Tout comme cet autre important projet de création d’une banque (Wari Banque), qui n’a visiblement pas pu bénéficier de l’onction favorable de la commission bancaire de l’UEMOA. Tout semble se passer comme si le monde de Planor s’effondrait. Nous sommes rentrés en contact avec Appolinaire Compaoré afin de comprendre ce qu’il en est exactement. Il nous a plutôt renvoyé à son avocat conseil, un certain Me Armand Bouyain. Ce dernier a promis de nous revenir après une concertation avec son client. Mais jusqu’à ce que nous bouclions ces lignes, il n’a toujours pas fait signe de vie. Faut-il laisser Telecel s’effondrer avec le groupe ? C’est la question nodale à laquelle le juge est appelé à répondre ce 20 juin, à travers le recours introduit par le recourant CFI (Compagnie financière et d’investissement). Affaire à suivre
avec ecodufaso