Lors d’une conférence de presse faisant suite à la réunion des ministres des finances qui s’est tenue à Paris en Octobre 2015, Michel Sapin déclare à propos de la zone CFA[1] : « La France est entièrement ouverte à toutes les discussions. Tous les membres de cette zone monétaire sont libres et indépendants, ils peuvent donc demander à rediscuter les accords monétaires qui les lient avec la France. Rien n’est figé ni tabou ». Cette annonce a d’avantage amplifié la spéculation autour du F CFA soutenue depuis quelques années par la montée en force d’un panafricanisme qui se dit avisé.
Alors que l’opinion publique s’attendait à l’ouverture du débat sur les mutations des mécanismes de fonctionnement et / ou à une éventuelle sortie des économies africaines de la zone CFA, le comité ministériel lors de sa dernière session de travail – qui s’est tenue à Yaoundé du 8 au 9 Avril dernier – semble affirmer sans ambages que la zone CFA reste un instrument approprié pour les pays membres.
Pour rappel, la zone CFA repose depuis plus de 50 ans sur des accords qui définissent d’une part les modalités de la coopération monétaire entre pays africains et, d’autre part sur les modalités de la coopération monétaire avec la France – articulés autour de la fixité du F CFA arrimé d’abord au franc français puis à l’euro en vertu de l’article 234 alinéa 1 du traité de Maastricht.
Grâce à l’originalité de son mécanisme de fonctionnement, cette « construction originale » a à plus d’un titre traversé les décennies en conservant sa convenance et son dynamisme (Noyer, 2012,5). De la sorte, elle a su résister aux évolutions du Système Monétaire International, à la décolonisation, à la globalisation, à la dévaluation, à l’avènement de l’euro qui offrait l’opportunité de mutations profondes et, récemment aux différentes crises financières internationales.
Bien que la zone CFA relève avec brio le défi de la pérennité, les réalités socioéconomiques de la CEMAC et de l’UEMOA posent de façon permanente la question de la pertinence de la coopération monétaire avec la France et donc de la monnaie unique et des changes fixes.
- Avantages théoriques et critiques réelles
Théoriquement, la monnaie unique et les changes fixes suppriment à la fois les coûts de transaction et l’incertitude liés au taux de change (Ripoll, 2000) ; accroissent la transparence des prix dans les pays suffisamment ouverts (Benassy-Quéré et Coeuré, 2010). En ce sens, ils simplifient les calculs économiques et rendent les transactions internationales moins risquées. En ce sens, ils permettent de réaliser des gains d’efficacité monétaire (Krugman et Obstfeld, 2008).
Avec la garantie monétaire, ces conditions sont également supposées favoriser l’afflux des IDE dans les régions Ouest et Centre Africaine. Mais, selon les statistiques financières internationales, la plus grande part des IDE de la France – principal partenaire commercial et financier de la zone CFA – en Afrique est orientée vers le Maroc.
Néanmoins, les changes fixes restent favorables au commerce et à l’attrait des capitaux extérieurs. Durant la phase initiale de sa mise en place, l’arrimage à l’euro a permis la hausse des recettes d’exportation et des flux de capitaux de plus de 30% et 100% respectivement au Cameroun, en Côte d’ivoire et au Sénégal[2].
Cependant, la prééminence de la défense du taux de change fixe entre le F CFA et l’euro favorise la constitution excessive des réserves[3] de change au détriment du financement des économies (Kako Nubukpo, 2015). Aussi, pour les économies permanemment sujettes à des chocs extérieurs, la fixité du taux de change handicape lourdement le processus de l’ajustement alors que la volatilité de la parité euro-dollar – préoccupation mineure pour la BCE à cause de l’importance du commerce intra-zone euro – se répercute intégralement sur la parité du F CFA et contraint le taux de change réel. Zafar (2005) montre qu’en provoquant des appréciations réelles d’environ 8% en zone UEMOA et 7% en zone CEMAC entre 1999 et 2004, un euro fort – un F CFA fort – réduit la marge de manœuvre de la compétitivité-prix des pays membres.
Or, la probabilité d’abandonner un régime de change fixe augmente avec l’appréciation du taux de change et le degré d’ouverture des économies. Ce d’autant plus que la perte de compétitivité est l’une des causes principales du déficit du compte courant – plus important pour les pays ayant une stratégie d’ancrage du taux de change (Ghosh et al., 1997). Ceci suggère une influence forte de la compétitivité (Berger et al., 2000) dont le maintien est important pour le développement économique des pays.
Puisqu’elle ne permet donc pas d’atténuer la vulnérabilité aux effets externes, la zone CFA est loin de garantir et de maintenir la stabilité macroéconomique comme attendu. Tout au contraire, le F CFA du fait de sa fixité à l’euro permet de transférer les chocs et les fluctuations sur les autres variables macroéconomiques ; Levy-Yeyati et Sturzengger (2000) l’associent à une volatilité plus élevée[4].
De ce fait, le taux de change effectif réel, les termes de l’échange et le PIB[5] réel sont en moyenne[6], plus volatiles que dans les autres pays d’Afrique Subsaharienne[7]. En s’arrêtant temps soit peu sur la volatilité trimestrielle du PIB réel en Afrique Sub-saharienne entre 2001 et 2010, on constate que les pays de la zone CFA sont d’environ 1,5 fois plus volatiles que les autres pays d’Afrique Sub-saharienne qui n’ont pas opté pour un taux de change fixe depuis 2001. D’ailleurs, la fixité de change expliquerait environ 14%[8] de cette volatilité.
Plus encore, grâce à ses principes de convertibilité et de libre transférabilité, la zone CFA favorise les sorties des capitaux financiers indispensables à la construction des économies et s’oppose à la formation de l’épargne intérieure au profit de l’endettement extérieur dont le remboursement contraint les populations (Agbohou, 2013).
Telles sont les principales critiques à l’égard du F CFA. Mais, la structure même de ces économies et leur fonctionnement sont entre autres autant d’éléments qui obligent à relativiser.
Il convient alors de souligner que le F CFA – c’est-à-dire la monnaie en elle même – n’a aucune influence sur l’activité économique. Son efficacité dépend de l’usage qu’on en fait et donc de sa gestion. C’est d’ailleurs pour cela que le choix d’un régime de change dépend essentiellement des conditions socio économiques et des nécessités des économies ; les principales nécessités étant relatives à la solidarité et à la crédibilité.
- Le F CFA n’est pas l’alpha et l’oméga du développement économique des pays
Les développements récents de la théorie des zones monétaires privilégient une analyse en termes d’économie politique et mettent l’accent sur l’importance de la crédibilité de la politique monétaire. Le F CFA confert aux pays qui l’ont adopté une crédibilité internationale du fait de son lien fort avec l’euro et, le plus grand bénéfice lié à l’appartenance à la zone est la rigueur et la discipline qui découlent des engagements institutionnels pris au niveau supranational (Alésina et Barro, 2002). Elles permettent de lutter efficacement contre l’inflation dont la maitrise est un atout dans le contexte des économies à faible niveau de revenu. A cet effet, la permanence de la zone CFA et la relative stabilité qu’elle autorise contrastent avec l’instabilité économique et politique de l’ensemble du continent africain.
En instituant un ensemble de règles communes, la zone CFA est aussi un catalyseur de la solidarité entre pays. Cette solidarité est vue comme une condition nécessaire et suffisante de l’optimalité de la zone, en tant qu’elle constitue la finalité d’une union monétaire (Ondo Ossa, 2000). Par solidarité, il faut entendre l’aptitude d’un pays à supporter le coût de gestion d‘un autre. Elle permet aux pays en difficultés économiques et financières d’être soutenus par les pays « sains ». D’où la mise en commun des fonds dans les comptes d’opérations permet aux pays déficitaires de continuer à régler leurs achats extérieurs.
Un exemple illustratif est relatif à la période 1985 – 1991, période au cours de laquelle tous les pays membres de la zone CFA avaient un solde commercial déficitaire à l’exception du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Congo et du Gabon. Plus récemment, la RCA (2004-2009) et le Tchad (199-2003) ont également connu une persistance de leur déficit commercial dont les conséquences ont pu être atténuées par le biais de cette même solidarité.
En assurant la convertibilité illimitée des F CFA en euro, la France participe également à cette solidarité ; ce d’autant plus qu’elle accorde par son trésor national une garantie de non dépréciation de l’euro par rapport aux DTS[9] pour les 50%[10] des avoirs extérieurs que les pays africains sont tenus de déposer dans les comptes d’opérations (rémunérés) pour garantir leur valeur.
Quant on parle de 50% des avoirs extérieurs déposés dans les comptes d’opérations, l’imagerie populaire africaine ne peut s’empêcher de dénoncer un hypothétique mécanisme de détournement de leurs ressources au profit de la France. Il est donc opportun et de judicieux de souligner que les avoirs des pays africains dans les dits comptes d’opérations sont peu signifiants pour leurs économies et pour celle de la France. En effet, entre 2011 et 2012, le solde du compte d’opération de la CEMAC au du trésor français représentaient en moyenne 0.32% de la masse monétaire de la France et 0.00652% de la masse monétaire de la CEMAC. On peut donc convenir que la mise à l’écart de ces fonds n’entrave en rien le financement des économies.
Avec un niveau de masse monétaire plus élevé que celui de la France, on s’attendrait à ce que les actions de la politique monétaire en zone CFA se fassent véritablement ressentir dans les économies, ce d’autant plus que les différents taux directeurs sont inférieurs à 3%.
Mais, les modifications des taux débiteurs des banques ne suivent pas systématiquement les variations des taux directeurs et restent élevés compte tenus des risques. Ainsi, le financement des économies par le biais des banques est beaucoup plus régi par les considérations externes que par les conditions internes au système bancaire d’où le double rationnement de crédit (rationnement par les prix et par les conditionnalités d’accès au crédit) permanent dans ces économies. L’existence d’un système monétaire stable et unifié n’a malheureusement pas permis l’émergence d’un système bancaire et financier efficace dans les pays africains de la zone franc.
Pour revenir au cas réserves extérieures des pays membres, force est de constater que leur niveau est bien inférieur à celui des autres pays africains à niveau de développement comparable. C’est dire que les pays de la zone CFA gagnent peu dans les échanges avec l’extérieur. Leur faible compétitivité prix (qu’on attribue l’arrimage à l’euro) en est la cause. Pourtant, lorsqu’on compare la moyenne[11] des taux de change effectifs réels de la CEMAC et de l’UEMOA à ceux du Nigéria et du Ghana sur la période 1999 – 2012, on constate que la différence est négligeable (l’UEMOA étant d’ailleurs en moyenne plus compétitive que le Ghana et le Nigéria).
La conception[12] du taux de change effectif réel d’Edwards (1989), montre qu’il dépend fortement des politiques économiques et des facteurs internes (politique fiscale, productivité, niveau des dépenses publiques, etc.). C’est donc dire que d’autres facteurs relatifs à la compétitivité hors prix influencent les échanges avec l’extérieur et notamment la structure des économies.
Pour ce qu’il en est, aussi bien pour les économies de la CEMAC que pour celles de l’UEMOA, la propension marginale à importer est plus forte que la propension marginale à exporter. Les importations sont élastiques par rapport au revenu et au taux de change effectif réel. Les élasticités-revenu et prix estimées valent respectivement 1.36 (1.26) et 3.12 (1.62) pour la CEMAC (l’UEMOA). Ainsi, une amélioration du revenu de 1% augmente les importations de 1.36% et 1.26% en CEMAC et en UEMOA respectivement tandis qu’une appréciation du taux de change effectif réel de 1% qui rend les produits étrangers moins chers augmente les importations de 3.12% et 1.62% en CEMAC et en UEMOA respectivement.
Dans le même temps, les exportations elles sont inélastiques par rapport au taux de change effectif réel. Elles n’augmentent que faiblement (0.27% en moyenne) suite à une modification de 1% des prix relatifs favorables aux pays de la zone CFA.
Ces faits sont attribués entre autres à la faible diversification des productions domestiques (concentrées sur le pétrole, le cacao, le coton, entre autres), au caractère embryonnaire des industries locales et à la forte extraversion des habitudes alimentaires qui, rendent les revenus de ces économies tributaires des fluctuations des prix internationaux des matières premières et les maintiennent fortement dépendants des biens alimentaires et manufacturés extérieurs. Ainsi, même lorsque les prix relatifs deviennent défavorables et que les importations baissent, la pression qu’exercera la demande interne sur l’offre tendra plutôt à augmenter en interne les prix à la consommation.
- Des reformes concrètes à mener en attendant (peut – être) un nouveau système de change
Les défis des économies africaines de la zone CFA sont donc plus structurels que conjoncturels et un simple changement de monnaie ou de régime de change ne suffira à les relever. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les avantages de la monnaie unique et des zones monétaires n’ont jamais pu être optimisés au sein de la zone. Puisque le régime de change et les conditions économiques interagissent, la question qui demeure est celle de savoir quels changements faut-il initier pour que la zone CFA en plus d’être soutenable puisse être efficace et améliorer le niveau développement des économies?
Les recommandations vont prioritairement dans le sens de l’amélioration de l’environnement des affaires, de la promotion et de l’accélération de l’intégration économique (intra et inter sous régions) et de la convergence, de la coordination des politiques économiques (programmation monétaire et programmation budgétaire pour l’élaboration d’un Policy Mix adéquat), et de la diversification des structures productives.
Le choix du régime de change approprié quant à lui exige au-delà d’une telle analyse de comparer dans le temps le bénéfice net de la fixité de change du F CFA par rapport à l’euro relativement à celui qui résulterait des régimes de change alternatifs dans un scénario de simulation.
Avec L’Afrique