Lecture rapide
- L’Afrique connaît une croissance exceptionnelle de l’Internet
- Cet engouement crée de nouvelles opportunités, mais aussi des menaces d’ordre stratégique
- Les Etats africains doivent définir une approche originale pour contrer le fléau
Portée en grande partie par l’essor de la téléphonie mobile, une révolution numérique est en cours en Afrique, toutes contrées confondues.
Autant, vers la fin des années 1990, AOL, Napster et autres Yahoo Chat semblaient être des noms de code ayant exclusivement cours au sein de l’élite, autant en 2016, rien de ce qui fait le buzz sur la toile – Facebook, Twitter ou Snapchat – n’a de secret pour le jeune Africain, qu’il vive en ville ou en campagne.
D’une certaine manière, sans être tout à fait comblée, la fracture numérique s’est atténuée et l’accès à Internet s’est peu ou prou démocratisé.
Dans les rues d’Abidjan, de Dakar, de Kinshasa ou de Yaoundé, consulter sa messagerie en pleine rue n’est plus un phénomène élitiste, pas plus que cela ne confère un statut particulier.
C’est l’inverse qui étonne et le phénomène touche toutes les couches de la société: lettrés comme illettrés, pauvres comme riches.
Même les mendiants de la Médina, à Dakar, possèdent, qui, un simple téléphone portable, qui un smartphone.
De plus, l’avènement du numérique a eu ceci d’extraordinaire sur les sociétés africaines, qu’il a aidé à sortir des pans entiers de la population de l’illettrisme absolu: même les analphabètes se mettent à apprendre à lire et à écrire, pour profiter des avantages que confère l’ère du mobile.
Par ailleurs, les applications mobiles les plus populaires ont commencé à foisonner sur le continent, notamment pour ce qui concerne les transferts d’argent.
Tribus de cybercriminels
Le nombre d’Africains connectés à l’Internet est ainsi passé à 330 millions d’utilisateurs en quelques années – consulter les Faits et Chiffres.
Cependant, comme toute innovation, l’Internet a ses revers, dont le moindre n’est pas la cybercriminalité.
Des tribus entières de cybercriminels sont apparues et ont lancé à leur tour une industrie florissante, quoiqu’en marge de la légalité.
Si, à bien des égards, l’Afrique, notamment à travers les phénomènes dits de la cybercriminalité du pauvre – la fameuse arnaque à la nigériane en est un exemple patent – y contribue dans une certaine mesure, en revanche, le gros des activités criminelles à l’échelle internationale se déroulent hors du continent africain.
Pour autant, cela ne signifie pas que ce dernier n’en est pas victime, au regard de la complexité des moyens techniques mis en oeuvre et de la nature-même de l’Internet.
Alex Abutu a réalisé un article de fond levant tous les tabous, tant sur l’origine, les formes, que sur les particularités de l’arnaque nigériane, avant qu’elle ne s’exporte au Bénin et en Côte d’Ivoire.
Dans notre dossier, Virgile Ahissou a rencontré le commissaire Nicaise Dangnibo, grand ordonnateur de la lutte contre la cybercriminalité au Bénin.
Ce dossier nous rappelle aussi que le phénomène de la cybercriminalité en Afrique ne concerne pas que l’arnaque classique style “419”; on y trouve des formes de vice variées, du relais des réseaux internationaux du crime au chantage en ligne.
L’un des tout derniers à en faire les frais est l’ancien vice-ministre congolais des Télécommunications, Enock Ruberangabo Sebineza, piégé par love chat dans une situation peu avantageuse, avant de faire l’objet d’un odieux chantage, qui conduira à sa démission…
Ailleurs, sur le continent, les économies paient un lourd tribut à la criminalité en ligne.
US$500 millions de pertes par an
Au Nigeria, le coût annuel de la cybercriminalité est estimé à 500 millions de dollars; en 2013, la cybercriminalité a coûté 26 milliards de Francs CFA à la Côte d’Ivoire et 15 milliards au Sénégal (voir Faits et Chiffres).
Au nombre des prédictions les plus alarmistes, cette estimation de Merrill Lynch Global Research, qui prédit dans un rapport datant de 2015, un potentiel “Cybergeddon” en 2020, où la cybercriminalité pourrait extraire jusqu’à un cinquième de la valeur créée par l’Internet.
Tout ceci amène à se poser une question centrale:
Le continent africain est-il préparé à faire face à la menace?
Les plus réalistes, comme le chef de la cellule de lutte contre la cybercriminalité au Bénin, vous répondront par la négative, au regard des difficultés à mettre en œuvre une législation bien souvent absente, du reste ; dans une longue interview à SciDev.Net, Nicaise Dangnibo explique les contraintes d’une lutte efficace contre la cybercriminalité dans le contexte d’un pays pauvre sans moyens adéquats.
D’autres, comme le Sénégalais Papa Assane Touré, secrétaire général du gouvernement sénégalais, préconiseront que les solutions endogènes s’inspirent d’exemples venus du Nord – lire L’Afrique et la cybercriminalité: le cas du Sénégal.
Ces points de vue sont synthétisés dans l’excellent article d’opinion de Roch Nepo, qui appelle à une action concertée au niveau africain, avec un accent sur des politiques tenant compte des réalités propres à l’Afrique et du contexte technologique international.
Ce dossier aborde également une autre conséquence de la cybercriminalité, bien souvent occultée: l’attrait qu’exerce sur la jeunesse un moyen de se faire de l’argent facile.
Ceci constitue un risque évident pour les diplômés des écoles africaines qui sont, pour la plupart, désœuvrés; d’où une solution qui appelle des politiques publiques propres à créer des emplois.
Mais encore faudrait-il connaître le portrait-type d’un cybercriminel, pour pouvoir comprendre les raisons qui l’auront poussé à franchir la ligne rouge de l’illégalité.
Si dans les pays avancés, la cybercriminalité implique la mise en place de logiciels espions mis au point pour commettre des infractions pénales, en revanche, n’ayant pas toujours des compétences et les moyens intellectuels conséquents, les cybercriminels africains se contentent de ce que dans le milieu, d’aucuns appellent des “larcins”: arnaques diverses, chantage, etc.
Les auteurs de ces forfaits, notoirement connus dans le monde, ont des noms qui varient en fonction des pays.
En Côte d’Ivoire, on les appelle les “brouteurs“; au Bénin, ils sont désignés sous le nom de “Gayman“.
Au Cameroun, s’ils ne portent pas de nom particulier, ils n’en sont pas moins fûtés, dans les techniques d’arnaque.
Julien Chongwang nous propose dans ce dossier, à travers une interview, le portrait-type, d’un cybercriminel camerounais, rencontré à Douala.
Au niveau gouvernemental, les enjeux de la sécurité de la toile sont nombreux.
Plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Bénin, ambitionnent de créer des pôles de développement des TIC, mais très peu prennent à bras-le-corps la dimension sécuritaire et il est plus que temps de prendre la mesure de la situation, comme le souligne encore Roch Nepo, qui parle de “défi stratégique majeur” pour le continent.
Les nombreuses attaques début 2016 des groupes de militants contre des sites du gouvernement sénégalais peuvent en témoigner (lire Faits et Chiffres).
Fraudes aux examens
A ces formes d’activités illicites sur la toile, on peut également ajouter la fraude aux examens. Les cas sont désormais nombreux où les gouvernements, faute de mieux, ont dû couper l’Internet, pour éviter des fuites lors des épreuves du baccalauréat – lire “Le BAC estampillé “Facebook au Niger” et “Cyber-triche au Congo-Brazzaville“.
C’est le cœur-même des systèmes éducatifs qui est attaqué et y remédier n’est pas qu’une question de crédibilité de la formation et des diplômes délivrés par les écoles africaines, c’est aussi une problématique essentielle concernant les compétences requises pour le développement.
Le dernier pays à en avoir fait l’amère expérience est l’Algérie, où le gouvernement a dû mettre l’Internet au piquet, fin juin, à la veille des examens du baccalauréat…
Si la raison invoquée paraît légitime pour le commun des mortels, en revanche, les défenseurs des droits humains y ont vu une répétition générale en vue d’une future coupure politiquement motivée, qui ne manquerait pas de constituer, selon eux, une forme de cybercriminalité d’Etat, au regard des conventions internationales, qui garantissent le droit à l’information…
Ce dossier est loin d’être exhaustif, au regard de la complexité des problèmes suscités par l’avènement de l’Internet, dans des contextes africains particulièrement vulnérables, en raison du manque criard de ressources et de compétences.
Mais il se propose de donner aux décideurs un aperçu général de la question de la cybercriminalité, des risques auxquels elle expose nos sociétés et des réponses, forcément pas parfaites, qui pourraient y être apportées, tant d’un point de vue juridique que d’un point de vue technique.
Avec Scidev