Au pays de Paul Biya, tout paraît immobile. Pourtant, de nouveaux visages émergent, notamment dans les espaces laissés vacants par l’État. Jeune Afrique est allé explorer ce vivier.
Au Cameroun, de nouveaux visages émergent, notamment dans les espaces laissés vacants par l’État.
«Politic na njangui » (« la politique, c’est la tontine ») : cette formule choc en pidgin, inventée il y a vingt ans par l’ancien Premier ministre Simon Achidi Achu, résume toujours aussi bien la prédominance du « donnant-donnant » dans le processus de gestation des élites camerounaises, en même temps qu’elle offre la clé essentielle pour comprendre cette étrange impression de « renouvellement sans renouveau » par laquelle le politologue Fred Eboko décrit l’évolution du régime de Paul Biya.
Le zèle avec lequel les élites politiques et traditionnelles du Grand Nord, président de l’Assemblée nationale en tête, ont signé il y a quelques mois une « motion de soutien et de déférence » envers le chef de l’État, à qui ils demandent de se représenter à l’élection présidentielle de 2018, n’est qu’un exemple parmi d’autres de la persistance de réflexes d’allégeance envers le pouvoir qui se perpétuent de décennie en décennie et de génération en génération.
Cet immobilisme concerne la classe politique, mais aussi, très directement, la sphère économique. Au Cameroun, la porosité, le chevauchement et la mixité entre ces deux espaces de la vie publique sont les caractéristiques majeures du contexte sociopolitique.
L’État demeurant par excellence le premier instrument d’extraction, d’accumulation et de redistribution des ressources – ne serait-ce que pour alimenter ses multiples réseaux clientélistes -, il est toujours très difficile d’émerger dans le secteur privé sans son apport, son soutien et sa complicité. Ici, la politique est un business, et celles et ceux qui en ont fait leur métier sont au sens propre des « entrepreneurs politiques ».
Un contrepied à l’engourdissement politico-économique
À l’inverse, femmes et hommes d’affaires sont parfaitement conscients que leur récolte dépendra de ce qu’ils ont semé dans le champ du pouvoir. Chacun s’efforce donc d’avoir un pied de part et d’autre d’une frontière parfaitement artificielle, l’objectif étant de durer le plus longtemps possible en position de responsabilité. D’où l’apparence d’un paysage politico-économique à la fois atone, en pilotage automatique et en phase avec le tempérament d’un président dont la prudence confine parfois à la frilosité. « S’il pouvait vitrifier le Cameroun, Biya n’hésiterait pas », confie l’un de ses anciens proches.
La métaphore est exagérée, bien sûr, mais elle dit assez bien la difficulté qu’il y a à voir de nouveaux visages émerger des eaux dormantes d’un système aussi figé et, par voie de conséquence, la difficulté de l’exercice qui va suivre. Sélection forcément subjective, donc critiquable, ces « 50 qui feront le Cameroun » sont le fruit d’un casting dont les élu(e)s proviennent souvent d’espaces d’où l’État s’est retiré – développement local, secteur associatif, société civile, musique, médias, diaspora… – pour se concentrer sur l’essentiel.
Le foisonnement de structures apolitiques et d’initiatives privées qui, faute de développement global, ont choisi la voie du développement individuel (« On ne développe pas, on se développe » entend-on parfois) est plus que jamais l’une des singularités du génie camerounais. C’est dans ce vivier-là, aussi, que J.A. est allé puiser celles et ceux qui, demain, seront le Cameroun.
Avec JeuneAfrique