Mode d’emploi Un avocat qui intègre une entreprise, un juriste qui rejoint un cabinet… Pour qui est tenté par ce grand saut, quelques précautions sont indispensables.
Une formation initiale commune, des compétences techniques similaires, un souci commun de la réussite de l’entreprise : avocats et juristes en entreprise partagent beaucoup. Afin de redynamiser leur carrière, en quête de nouveaux équilibres ou de nouveaux défis, certains envisagent le passage d’une profession à l’autre comme une bonne option.
Si le changement d’avocat à juriste paraît techniquement simple, il mérite pourtant un minimum d’anticipation. Ces dernières décennies, le passage par la carrière d’avocat était souvent envisagé comme la dernière étape de la formation. Se sur-spécialiser, traiter une grande variété de dossiers, apprendre à travailler sous pression : ces ultimes compétences acquises en cabinet assuraient de devenir, à terme, un directeur juridique performant.
Aujourd’hui, les directions juridiques sont plus structurées et recrutent des profils très diplômés dès la première embauche. Si elles continuent à « faire leur marché » en cabinet, elles se montrent de plus en plus regardantes sur les profils. « Une sur-spécialisation sera évidemment un handicap pour un poste de juriste généraliste », explique Matthieu Galian, fondateur de Bridge consulting, cabinet de consultants RH. D’un autre coté, certains profils dans des secteurs pointus « par exemple : le shipping à Paris, le contentieux des brevets, la fiscalité immobilière… », cite-t-il, peuvent envisager plus facilement ces reconversions.
Choc culturel
« La difficulté est plutôt d’ordre culturel, poursuit Matthieu Galian. Le manque d’expérience collective des avocats, qui collaborent le plus souvent avec leurs pairs, peut compliquer leur intégration dans l’entreprise, où l’écosystème est très différent et les profils des interlocuteurs plus variés ». « Entre deux et cinq ans d’expérience en cabinet, vous êtes bienvenus à peu près partout, à partir de dix ans cela devient plus compliqué d’intéresser : vous avez un profil trop marqué », détaille, pour sa part, une ancienne avocate qui a rejoint une grosse entreprise publique.
Sans compter que la rémunération est souvent un frein. « Les recrutements avec diminution de revenus font peur à une entreprise qui peut craindre, sur le long terme, que ce sacrifice ne pèse sur la motivation », précise Matthieu Galian. Il est donc important de comprendre pourquoi on souhaite opérer ce changement, anticiper sur ces conséquences et analyser en amont les implications pour avoir un argumentaire solide lors des phases de recrutement.
Autres contraintes, d’ordre plus technique : lors du changement, il faut se désinscrire et régler toutes les cotisations et impôts en cours (Urssaf, CNBF, RSI, TVA, BNC…), prévoir une inscription au régime général de la sécurité sociale en veillant à ne pas être un temps sans couverture. Enfin, il faut se faire omettre du barreau. Ce dernier point implique pour ceux qui auraient des dossiers en propre de leur trouver préalablement un repreneur.
Définir le juriste d’entreprise
Dans l’autre sens, le passage de la profession de juriste à celle d’avocat est facilité par la procédure de passerelle définie par l’article 98 du décret de 1991 organisant la profession d’avocat. Les « 8 ans, au moins, de pratique professionnelle au sein d’un service juridique d’une ou plusieurs entreprises » dispensent de la formation théorique et pratique et du CAPA, pas de tout. Un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle est indispensable. Le demandeur doit également déposer un dossier auprès de son barreau d’affectation, qui évalue l’authenticité de ces huit années d’expérience. « Certains barreaux sont peut-être plus ouverts que d’autres. C’est difficile à évaluer puisqu’il n’existe aucune statistique de refus et acception nationale ou même par barreau », avance Thierry Wickers, ancien président du CNB et chef de a délégation française à la CCBE, « en outre, le renouvellement régulier des conseils peut avoir une influence sur la stabilité de leur jurisprudence ».
Pour ce dernier, la principale difficulté vient du fait que la notion de juriste d’entreprise n’est pas définie, ce qui « peut donner lieu à interprétation ». Pour y voir plus clair « il faut se référer à la jurisprudence qui exige de vérifier que l’activité juridique a été exercée dans une entreprise, que cette activité au sein de l’entreprise a été exclusive et dans le cadre d’un service spécialisé de l’entreprise », détaille-t-il. A titre d’illustration : ne peut entrer dans ce cadre le dirigeant d’entreprise, même si dans l’exercice de ses fonctions, il s’est trouvé dans l’obligation d’envisager les conséquences juridiques des opérations.
Faire sauter les effets de seuil
Un dernier point, valable pour un mouvement quelque soit son sens : ce changement de carrière implique un changement de caisse de retraite. En ce qui concerne la CNBF, si la retraite complémentaire n’était pas impactée par ce type de carrière « partagée », le calcul de la retraite de base, financée par les droits de plaidoirie, est lui bien moins intéressant pour un ancien avocat qui n’aurait pas atteint les 60 trimestres – soit 15 années – de cotisations. Un point toujours d’actualité qui pourrait, pourtant disparaître, très prochainement. Le 2 avril dernier, le conseil d’administration de la CNBF a voté la suppression de cette règle des 15 ans, après que ses dernières études ont montré que cette suppression n’aurait pas d’impact sur les cotisations.
Reste à ce que cette réforme soit confirmée par le ministère des Affaires sociales et votée en loi de financement de la sécurité sociale, au mieux fin 2016, pour être applicable après un décret en Conseil d’État. Et Gilles Not, directeur de la CNBF, de commenter : « Cette règle impliquait un effet de seuil très important et pouvait être un frein à la mobilité ». Une raison de plus pour ne pas hésiter à sauter le pas pour ceux qui seraient tentés.
Avec Les Echos