La mission des banques centrales est lourde, et la victoire du vote en faveur du « Brexit » au référendum britannique du 23 juin pourrait encore la compliquer. Les banques centrales « ont déjà fait savoir qu’elles se tenaient prêtes à prendre les mesures nécessaires pourassurer le bon fonctionnement des marchés », a voulu rassurer Jaime Caruana, directeur général de la Banque des règlements internationaux (BRI), dimanche 26 juin lors de la présentation du rapport annuel de l’institution.
Pour éteindre l’incendie des Bourses et des devises, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon, la Réserve fédérale américaine ou encore la Banque centrale européenne (BCE) ont en effet dès vendredi 24 juin assuré qu’elles n’hésiteraient pas à injecter les liquidités nécessaires sur les marchés. « Elles ont su réagir rapidement ; elles peuvent le faire à nouveau, car elles disposent des outils », a ajouté M. Caruana. Il reconnaît cependant « qu’une période d’incertitude et d’ajustement nous attend ».
Si le rapport de la BRI, considérée comme la banque centrale des banques centrales, ne s’étale pas plus sur le vote en faveur du « Brexit », il souligne les nombreux risques pesant sur l’économie mondiale. Avec un premier constat : celle-ci va nettement mieux. De fait, de nombreux indicateurs se sont rapprochés de leur moyenne d’avant crise, tandis que le chômage poursuit sa décrue dans la plupart des pays. Mais les problèmes de fond demeurent. Trois risques majeurs menacent le retour à une croissance durablement robuste, selon l’institution installée à Bâle, en Suisse.
Des taux d’intérêt bas inquiétants
Le premier d’entre eux est l’envolée des dettes publiques et privées sur tous les continents, le deuxième est « la baisse de la croissance de la productivité » et le troisième est « le rétrécissement de la marge de manœuvre des politiques publiques », à savoir des gouvernements comme des banques centrales.
Dans le détail, l’institution de Bâle s’inquiète notamment de la « persistance de taux d’intérêt extrêmement bas ». Elle rappelle que 8 000 milliards de dollars (7 195 milliards d’euros) de dette souveraine s’échangeaient à taux négatifs à la fin de mai, et souligne que, « malgré les immenses efforts déployés par les banques centrales depuis la crise, l’inflation demeure obstinément faible, et la croissance de la production décevante ».
Un constat partagé par de nombreux économistes. Mais pas par ceux de la BCE ou de la Banque de France. Dans son bulletin de mai-juin, cette dernière estime que les rachats de dettes de la BCE et ses autres mesures non conventionnelles sont efficaces. Non seulement elles auraient évité un scénario déflationniste à la zone euro, mais en plus elles devraient contribuer à gonfler l’inflation annuelle de l’union monétaire de 0,5 point sur la période 2015-2018, tandis qu’elles augmenteraient la croissance cumulée de 1,6 point d’ici à 2018.
Peut-être. Mais s’ils s’installent trop longtemps, les taux bas ou négatifs « peuvent exercer des effets délétères sur l’économie réelle », prévient la BRI. Parce qu’ils rognent les marges des entreprises, ébranlent la confiance des épargnants, encouragent la prise de risque – et donc, potentiellement, la formation de bulles spéculatives.
Mieux utiliser la dépense publique
De plus, ils ont favorisé l’endettement : les crédits accordés aux acteurs non bancaires des pays émergents ont doublé depuis 2009, pour atteindre 3 300 milliards de dollars à la fin de 2015. Or « l’économie mondiale ne peut plus se permettre de recourir au modèle de croissance alimenté par l’endettement qui l’a amenée à sa situation actuelle », souligne le rapport. Pour être saine, la croissance doit s’appuyer sur la hausse de la production et des revenus, et non le crédit.
En outre, admet la BRI, « la politique monétaire supporte, depuis beaucoup trop longtemps, une part excessive du fardeau ». Comprendre : depuis la crise, les banques centrales se sont retrouvées seules aux manettes, chargées de stabiliser le système financier, puis de relancer la croissance. Les gouvernements se sont bien trop reposés sur elles. Or, avec le temps, l’efficacité des mesures monétaires faiblit. Le risque est alors que la confiance des agents économiques envers les banques centrales se dégrade…
Comment sortir de ce piège ? La BRI propose des « mesures d’urgence », dont le principe est le suivant : rééquilibrer les politiques publiques, en donnant plus de place au volet budgétaire et aux réformes structurelles. La BRI n’incite néanmoins pas à augmenter la dépense publique, mais à mieux l’utiliser, afin de favoriser l’investissement, notamment dans les infrastructures, et soutenir la croissance à long terme.
De même, elle appelle à revoir la fiscalité, afin que celle-ci décourage l’endettement excessif des ménages, entreprises et institutions financières. Cela afin d’éviter, par exemple, la formation de bulles immobilières comme celle observée en Espagne avant la crise.
Autre priorité : renforcer la solidité des banques, afin qu’elles soient suffisamment bien capitalisées pour jouer leur rôle dans l’économie en prêtant aux entreprises. La BRI suggère notamment de limiter le versement de dividendes, si nécessaire. De quoi réduire la recherche effrénée du rendement au sein des institutions financières, en somme, car celle-ci se fait souvent au détriment du financement des ménages et entreprises.
En conclusion, la BRI souligne l’importance de « ne pas céder à la tentation de recourir à des solutions à courte vue ou de prendre des raccourcis. Les mesures adoptées doivent être fermement orientées sur le long terme. Le monde a besoin de politiques qu’il ne regrettera pas d’avoir adoptées, le jour où demain arrivera ».
Avec Le Monde