Suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, Londres pourrait perdre son statut de capitale de la tech, au profit de Berlin ou Paris.
Un air de gueule de bois dans l’écosystème tech londonien ce vendredi. 51,9% des Britanniques ont choisi de quitter l’Union européenne. Un avis loin d’être rejoint par les patrons des start-up du pays. Selon une étude techUK menée auprès de 277 d’entre eux, 70% étaient en faveur du maintien, arguant que l’Union Européenne fait du Royaume-Uni un pays plus attractif pour les investissements internationaux, donne de meilleurs opportunités de commerce et rend les entreprises plus concurrentielles dans le monde. Quelques heures après l’annonce du résultat, les CEO ne cachent pas leurs inquiétudes. Car le Brexit, selon la forme qu’il prendra après négociations, risque d’avoir un impact très négatif sur les start-up tech et sur l’écosystème londonien.
Attirer les talents sera plus compliqué
“Le Brexit va très probablement impacter le flux des talents, un problème majeur pour les entreprises”, reconnaît Taavet Hinrikus, CEO de Transferwise, une fintech britannique valorisée 1,1 milliard de dollars. Un tiers des 100 salariés du bureau londonien de lalicorne viennent d’autres pays de l’UE. Même son de cloche du côté du spécialiste du prélèvement bancaire Gocardless : “25% de nos effectifs ont été recrutés dans l’UE et ce sont les profils les plus qualifiés, principalement des ingénieurs”, décrit Hiroki Takeuchi, CEO.
Les travailleurs étrangers devront probablement désormais demander un permis de travail, processus plus long et coûteux. Sans compter que la chute du cours de la livre sterling (Georges Soros prédit une dévaluation de 15 à 20 %) ne sera pas un argument d’attractivité… En compliquant le recrutement de talents étrangers, le Brexit va fragiliser les start-up. “Les progrès observés sur la scène tech londonienne ces dix dernières années sont très impressionnants en grande partie parce que la ville a réussi à attirer des talents de toute l’Europe”, ajoute Hiroki Takeuchi.
Les coûts des start-up vont augmenter
Pour les e-commerçants, la sortie du marché intérieur commun pourrait signifier la mise en place de douanes et de taxes, sauf en cas de nouvel accord bilatéral. “Le Royaume-Uni pourrait par exemple imiter la Norvège en signant un accord de libre-échange, mais je ne suis pas sûre que l’UE sera complaisante lors des négociations”, note Naveen Aricatt, experte juridique UK chez Trusted Shops. “Il va falloir attendre de connaitre l’implémentation du Brexit, mais si la voix du peuple est respectée stricto senso alors dans deux ans il se peut que le Royaume-Uni ne fasse plus partie de la zone de libre-échange, renchérit Marc Fournier, de Serena Capital. Dans ce cas, il y aura clairement un impact sur les e-commerçants, en termes de coûts et de rapidité, avec des formalités supplémentaires, des douanes…”
Sortir du marché unique numérique européen signifiera aussi que les plateformes Web de manière générale auront plus de contraintes. De quoi, peut-être, les obliger à augmenter leurs tarifs dans les pays de l’Union. “Nous allons essayer d’éviter d’augmenter nos prix mais nous ne pouvons pas encore être sûrs que cela sera possible”, regrette par exemple le CEO de Gocardless.
Les fintech durement touchées
Si le Brexit va probablement impacter tout l’écosystème tech londonien, il sera d’autant plus catastrophique pour les sociétés britanniques du secteur fintech. Car elles bénéficiaient jusqu’ici du système de “passporting” : un agrément bancaire obtenu dans un pays de l’UE permet d’opérer dans tous les autres sans en réclamer à chaque autorité de régulation. C’est d’ailleurs en partie en jouant sur cette directive que Londres a pu devenir un hub de la fintech européenne : le pays accorde les agréments en trois ou quatre mois, contre 24 en moyenne dans les autres pays de l’Union. “Chacun des pays européens n’a octroyé que 10 à 80 licences d’établissements de paiement ces dernières années, contre plus de 1 000 au Royaume-Uni, raconte Damien Guermonprez, CEO de la fintech française Lemonway. Plus de la moitié des établissements de paiement ont été enregistrés là-bas.”
Les fintech de l’UE veulent récupérer le business des britanniques
Suite au Brexit, tous les établissements de paiements détenant leur licence au Royaume-Uni devraient se faire retirer le droit d’opérer dans les autres pays de l’Union Européenne. “C’est très positif pour les start-up européennes, puisque nous allons pouvoir récupérer le business de nos concurrents”, se réjouit le patron de Lemonway.
Les sociétés britanniques risquent quant à elles de devoir demander un nouvel agrément dans un pays de l’UE. “On ne sait pas encore si on va le faire et on ne veut pas se décider trop vite, mais nous l’envisageons”, reconnaît Hiroki Takeuchi, de Gocardless. Les fintech pourraient aussi choisir de passer par le rachat d’une société de l’Union européenne. De quoi peut-être déclencher une phase de consolidation sur le secteur européen…
Les capitaux seront investis dans d’autres pays de l’UE
“Le Brexit pourrait potentiellement nous empêcher de réinvestir au Royaume-Uni”, assure Marc Fournier, qui compte le britannique Worldstores au portefeuille de Serena Capital. “Le marché ne sera plus vu comme un marché européen et sera doté de bien moins d’avantages.”
Surtout, les négociations sur les modalités du Brexit devraient durer deux ans. Deux ans d’incertitude pour les entrepreneurs et les investisseurs. “On ne peut pas calculer le risque, d’autant que c’est la première fois qu’un pays sort de l’Union européenne, analyse Naveen Aricatt, experte juridique UK chez Trusted Shops. Les entreprises et investisseurs ne voudront pas investir sans savoir comment ils seront taxés, à quelles législations ils seront soumis…”
Si le CEO de Gocardless, Hiroki Takeuchi, reste persuadé que “les bonnes sociétés arriveront toujours à lever des fonds”, il s’attend également à une fuite des capitaux. “Les VC sont là où vont les sociétés, et le marché de libre échange européen était l’une des raisons principales du succès des start-up tech londoniennes, je pense que les start-up risquent de partir à Paris, Berlin ou Stockholm et que les fonds suivront. Je me demande si Londres pourra garder sa place de leader sur la scène tech européenne.”
Une brèche pour les autres capitales européennes
Témoignant sur le Brexit, Niklas Zennstrom, cofondateur de Skype, a déclaré qu’il avait choisi d’installer le siège à Londres en 2003 car la ville est un hub financier et peut attirer des talents de toute l’Europe… Mais qu’il ne serait pas sûr de refaire le même choix en cas de retrait de l’Union Européenne. Déjà, depuis l’annonce des résultats du référendum, les entrepreneurs se préparent à délocaliser tout ou partie de leurs activités.
Les start-up délocalisent leurs activités
“Nous allons probablement déployer plus de ressources sur le marché européen, des infrastructures, mais aussi des salariés, notamment en France, notre plus gros marché hors Royaume-Uni”, explique par exemple le CEO de Gocardless. Emmanuel Lumineau, patron français de la start-up basée à Londres BrickVest, a quant à lui décidé de délocaliser le siège et son équipe de 15 collaborateurs à Paris ou Francfort en y demandant la licence nécessaire aux opérations de sa fintech, qui sera donc valable dans tous les pays de l’UE.
De grandes capitales européennes pourraient y voir l’occasion de prendre la place de Londres sur la scène tech en déployant, comme la marie de Londres ces dernières années, une politique extrêmement favorable aux entrepreneurs et ingénieurs étrangers. “J’espère que les politiques français vont désormais en faire de même désormais pour attirer les londoniens chez nous en leur offrant des fonds et des locaux, explique Marc Fournier, managing partner de Serena Capital. Le Brexit ouvre une brèche pour les écosystème de Berlin ou Paris.”
Avec Journal du Net