Nous déplorions dans ces colonnes, il y a quelques jours, l’abandon, puis l’incendie de la Pyramide, cet immeuble qui faisait partie des monuments emblématiques de notre capitale économique.
Nous avions aussi, à cette occasion, parlé de la première résidence du Président Houphouët-Boigny qui fut également celle de son successeur, Henri Konan Bédié puis du Premier ministre Affi N’Guessan, aujourd’hui livrée à des squatters qui l’ont transformée en une décharge ; des maisons du Pdci-Rda à Treichville et Yamoussoukro laissées, à l’abandon, de splendides villes chargées d’histoires telles que Grand-Bassam, Man, ou Sassandra, que nous n’arrivons pas à valoriser pour attirer des touristes. Dieu seul sait combien leurs devises pourraient nous être utiles en cette période de disette. Ce dont il est question ici, est, en réalité, notre incapacité à reconnaître le caractère historique de certains de nos bâtiments et la valeur de quelques-unes de nos cités. Nous vous parlerons aujourd’hui de l’entretien de nos villes et, plus globalement, de la problématique même du développement.
Il y a quelques années, Mel Théodore, alors maire de Cocody, entreprit d’embellir les trottoirs du boulevard de France, du carrefour Saint-Jean à celui du lycée Sainte-Marie. Il mit des pavés sur les trottoirs et des lampadaires le long de la voie. Tout le monde loua Mel pour cette belle initiative ; tout le monde trouva que la commune de Cocody avait changé de visage, rien qu’avec cela. Et il fut pratiquement déclaré meilleur maire de Côte d’Ivoire pour avoir embelli cette partie de sa commune.
Après Mel Théodore, il y eut à la mairie de Cocody, Jean-Baptiste Gomont Diagou, puis, en ce moment, Aka N’Goan Mathias. Que reste-t-il des pavés et des lampadaires de Mel ? Parcourez ce petit tronçon de route et vous verrez des trous dans la chaussée, des sacs d’ordures posés ici et là, des lampadaires cassés, renversés, tordus ou penchés. (Voir notre reportage photos à la page 32 de cette édition.) Cela fait des années qu’il en est ainsi. Plus personne n’y fait attention. Parce que c’est cela notre normalité. Oui, ce qui est normal chez nous, ce sont des rues défoncées, des ordures par terre, des trous dans les trottoirs où chacun peut se fracturer la jambe à tout moment ; des lampadaires aux ampoules inexistantes, couchés par terre ; des panneaux de signalisation cassés… Ni le maire précédent de Cocody, ni l’actuel, ni aucune autorité de cette commune n’ont remarqué que quelque chose de très joli avait été fait auparavant, qui ne demandait qu’à être entretenu.
Je suis sûr que personne, au niveau de la municipalité de Cocody, n’a remarqué dans quel état se trouvent les lampadaires et les trottoirs de ce boulevard qui est l’un des plus importants de leur cité. La normalité à Cocody, c’est ce que nous voyons là. Pourquoi chercher autre chose ? Personne n’a daigné enlever ces lampadaires, ni les réparer. L’espace dont nous parlons ne fait pas plus de cinq cents mètres. On ne peut pas dire que son entretien ruinerait une commune comme Cocody. Toujours dans cette cité, du temps de Mel Théodore, le ministère de la Culture fit réaliser une sculpture représentant la libération des Noirs de l’esclavage. Le maire qui succéda à Mel estima que cette sculpture était démoniaque. Il la fit détruire pour construire en lieu et place une statue de Saint-Jean. Après la chute du régime auquel appartenait ce maire, certains estimèrent que sa statue à lui était aussi démoniaque. Et elle fut démolie.
Tout cela m’amène à dire que notre histoire de développement n’est qu’une vaste comédie en laquelle nous-mêmes ne croyons pas. Nous plaquons chez nous des choses que nous voyons ailleurs, parce que nous les avons trouvées jolies, nous les admirons pendant un temps, puis nos esprits se détournent vers autre chose. Vous souvenez-vous de l’horloge faite en fleurs qui décorait l’entrée de la maison du Pdci-Rda à Yamoussoukro ? Houphouët-Boigny l’avait vue à Genève et il eut envie d’en faire chez lui à Yamoussoukro. Il la fit donc construire devant la maison du Pdci-Rda qui était, à l’époque, l’un des plus beaux bâtiments de son village natal. L’horloge en fleurs de Genève existe toujours et fait partie des curiosités de la ville. Celle de Yamoussoukro n’existe plus depuis belle lurette. Il y a quelques années, quelqu’un s’était avisé de placer des horloges partout dans la ville d’Abidjan.
J’avais alors écrit un billet dans lequel je me demandais combien de temps tout cela mettrait pour se détraquer. Je ne sais pas combien de temps elles ont tenu, mais elles n’existent plus. Pareil pour le monument aux martyrs et tous les autres monuments construits sous Gbagbo. Ils ont été détruits. On nous avait dit que la ville de Grand-Bassam pouvait être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Nous avons trouvé que ce serait bien qu’elle y soit. Nous nous sommes donc battus pour l’obtenir. Nous l’avons obtenu. Qu’en faire après ? Personne ne nous avait donné le mode d’emploi. Nos esprits se sont donc détournés vers autre chose. Et Grand-Bassam continue de tomber en ruine. Alors, dites-moi, combien de temps mettront les travaux d’embellissement que le maire du Plateau est en train de réaliser en ce moment pour tomber aussi en ruine ? Combien de temps mettrons-nous pour transformer le nouvel échangeur de Marcory en dépotoir ?