Couverture des magazines « Vogue », « Elle », publicités, théâtre, et des dizaines de films à son actif. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais Kalki Koechlin, actrice française née en Inde a su faire son chemin dans le monde très « select » de Bollywood.
Kalki, pouvez-vous nous raconter votre enfance ?
Je suis née dans le Sud de l’Inde dans un petit village près de Pondichéry, Peria Mudalia Chavadi. Mes parents sont tous les deux français. Ma mère vient du Périgord, mon père des Vosges. Ils se sont rencontrés en Inde et y vivent toujours. Ils ont été des membres fondateurs d’Auroville (Ndlr : village communautaire expérimental près de Pondichéry). Quand ils sont arrivés, il n’y avait rien, ils ont planté les premiers arbres… On y a vécu jusqu’à mes quatre ans puis nous sommes partis et je suis allée à l’école internationale, au coeur des montagnes du Tamil Nadu. J’ai fait ma scolarité en pension, avant d’aller étudier à Londres.
Comment était cette expérience londonienne ?
Je suis partie étudier le théâtre à l’université de Goldsmiths à 18 ans. Pour moi, partir, c’était la liberté de quitter mes parents ! Je n’avais rien planifié, je savais juste que je voulais jouer. Quand je suis arrivée, j’ai vu que c’était très dur… et aussi très cher ! C’est pour cela que je suis rentrée en Inde. Cela n’a pas été une décision de carrière, c’était très émotionnel. Si j’avais eu une belle occasion professionnelle là-bas, je serais peut-être restée, mais rien ne m’a retenue. Et puis… L’Inde, c’est chez moi !
Quelles langues parlez-vous ?
Je parle le tamoul, la langue du Tamil Nadu, l’anglais, le français avec mes parents et le hindi.
La langue de Bollywood est le hindi. Aujourd’hui, j’ai davantage un accent en français qu’en hindi, mais à mes débuts au cinéma, je ne le parlais pas très bien, j’avais seulement appris les bases à l’école pendant deux ans.
Comment avez-vous débuté votre carrière ?
A mon retour de Londres, j’étais à Bangalore pendant six mois. Puis j’ai déménagé à Bombay, la ville de Bollywood, où tout se passe au niveau cinéma. J’avais 23 ans quand je suis arrivée, j’ai fait du théâtre pendant un an. J’allais à trois ou quatre auditions par semaine. Femme de ménage, infirmière, femme sexy, la voisine d’à côté, je postulais à tous les rôles ! Le théâtre, financièrement, ce n’était pas assez… J’ai fais quelques pubs, aussi, pour payer le loyer. Mon premier rôle au cinéma a été dans le film « Dev.D » (2009), réalisé par Anurag Kashyap (Ndlr : qui a été son mari pendant cinq ans). Je jouais une prostituée. J’ai passé l’audition en anglais et en hindi. Je ne parlais pas très bien le hindi à cette époque. Heureusement, ils avaient adoré l’audition en anglais. L’équipe m’a offert des cours intensifs de hindi pendant un mois, j’ai repassé l’audition et j’ai été prise pour le rôle.
Avez-vous rencontré des difficultés pour percer dans le cinéma en Inde, avec vos origines françaises ?
C’est mitigé. D’un côté, en Inde, il y a une telle obsession de la blancheur que ma couleur de peau m’a clairement servie. D’ailleurs, après « Dev.D », on m’a proposé de faire une publicité pour une crème blanchissante. J’ai refusé, parce que c’était ridicule ! D’un autre côté, je n’ai pas du tout le look d’une héroïne indienne. Au début, je ne jouais que des rôles risqués. Prostituée, droguée… Au bout d’un moment, il a fallu que je me force à refuser des rôles. Ça m’a pris des années pour sortir de ce stéréotype de la « bad girl », pour casser cette image.
Vous sentez-vous acceptée par les Indiens ?
Pendant longtemps, les journalistes me demandaient si j’aimais bien l’Inde, si j’appréciais leur nourriture… Alors que je suis née ici ! Aujourd’hui, les gens savent que je suis indienne, ils connaissent mon histoire. Je n’ai plus besoin de les convaincre, ils m’ont acceptée. Maintenant, la plupart du temps, je joue le rôle d’une indienne, mais de Bombay ou de Delhi, une fille moderne d’une grande ville. Mais pas d’un petit village du Sud de l’Inde, ce ne serait pas crédible… Par contre, je parle très bien le tamoul, donc on ne sait jamais !
Quelle est votre relation à la France ?
Je n’ai pas de maison ni de famille là-bas. Je n’y ai jamais vécu. Aujourd’hui, quand je vais en France, c’est surtout pour mon travail. Je suis invitée aux festivals à Avignon, Cannes, Paris… En revanche, mon passeport est français. En Inde, le système de double nationalité n’existe pas. Pour avoir un passeport indien, il faut renoncer à son autre nationalité. Je peux rester en Inde toute ma vie, mais j’ai choisi le passeport français car c’est plus simple pour voyager, il ouvre plus de portes.
En quoi vous sentez-vous française ?
J’ai de bons souvenirs de vacances en France chez mes grands-parents quand j’étais enfant. J’ai la mémoire de la France de mon enfance. Ce n’est pas comme n’importe quel pays étranger ! J’y ai des liens, encore quelques cousins, mais je ne les connais pas très bien. Bien-sûr, la nourriture, j’adore ! Le fromage, le vin… En cela, je suis très Française ! J’aime beaucoup la culture, qui est très ouverte. Evidemment, beaucoup plus qu’en Inde… En France, on a le droit de dire ce qu’on veut, d’exprimer qui on est, surtout à travers l’art et la culture. Le cinéma français est très avancé, surtout la « Nouvelle Vague ». Ce côté philosophique et existentiel du cinéma français m’intéresse beaucoup. Mais je ne m’y sens pas chez moi. L’Inde est mon pays, émotionnellement aussi.
Y a t il la place pour un cinéma indépendant en Inde ?
Oui, ça commence. Il y a des choses intéressantes qui se passent. Financièrement, il n’y a pas beaucoup de soutien pour ces films. Mais de plus en plus, on voit des films indiens qui vont aux festivals de Cannes ou de Toronto, et qui ont quand même leur petit succès en Inde. Je pense notamment aux films « Queen » ou « Lunch box ».
Quelle est votre relation avec le cinéma indépendant ?
J’adore les deux types de films. Pour moi, c’est aussi difficile de faire un film commercial de Bollywood. Quand le film se passe dans ce monde de rêve, il faut quand même essayer de trouver une vérité dans le personnage pour capter l’attention du public. J’ai aussi beaucoup appris avec les films à gros budgets. Je veux faire toutes sortes de cinémas. Je cherche quand même des films où je sais que je vais apprendre quelque chose. Des rôles avec de la substance ! Je n’ai pas envie de tourner le rôle de la jolie fille que tout le monde pourrait faire !
Y a-t-il un réalisateur avec lequel vous rêveriez de tourner ?
Beaucoup, oui. En Inde, j’adorerais travailler avec Vishal Bharadwaj, Vikramaditya Motwane, Chaitanya Tamhane… A l’étranger, j’aime beaucoup Lars von Trier, Martin Scorsese, Michel Gondry, Jean-Pierre Jeunet…
Quelles actrices vous inspirent ?
Il y en a tellement ! En Inde, j’adore Tabu, elle est superbe. Sinon… les noms qui me viennent sont Juliette Binoche, Meryl Streep, Hilary Swank…
Avez-vous déjà joué dans un film étranger ?
J’ai fait un tout petit rôle dans un film de Michael Winterbottom (« Road to Guantanamo », en 2006) mais c’était un film sur l’Inde. Et une minuscule apparition dans un film de Claude Lelouch, « Un + une » (2015), qui a été tourné en Inde. Je visitais juste le tournage et quand j’ai rencontré Claude Lelouch, il m’a proposé de tourner avec lui. C’était surtout honorifique. Mais j’ai quand même tourné avec Jean Dujardin ! Je n’ai même pas vu le film… Par contre, je n’ai jamais participé à un film qui ne soit pas lié à l’Inde, d’une manière ou d’une autre.
Vous aimeriez tourner dans un film français ?
Oui, si c’est un bon film, un bon rôle, absolument !
En tant qu’actrice à forte couverture médiatique, que pensez-vous de la condition des femmes en Inde ?
Je commente beaucoup ces choses là. En tant que femme, en Inde, il y a beaucoup de problèmes de sécurité. Ici, la mentalité n’est pas la même. A l’école, les enfants ne sont pas éduqués sur l’égalité des hommes et des femmes. Même à Bollywood, les femmes sont beaucoup beaucoup moins bien payées que les hommes. Moi, je pense qu’un homme peut faire ce qu’une femme peut faire et vice-versa. J’ai écrit des pièces de théâtres dans lesquelles je joue et je parle des inégalités hommes-femmes.
Un Skype avec Kalki
Nous étions à des milliers de kilomètres de distance, nous avons décidé de réaliser l’interview via Skype. Les dix premières minutes sont laborieuses… A tour de rôle, on ne s’entend pas, on ne se voit pas… Pour trouver un endroit qui « capte », Kalki Koechlin, en peignoir beige, me fait visiter virtuellement son grand appartement, à la décoration claire et épurée. Malgré le ridicule de la situation, l’actrice ne perd pas son calme, reste souriante, jusqu’à ce que la connexion passe. Je lui demande dans quelle langue elle souhaite communiquer, elle décide de réaliser l’interview en français : « Ca me fera un entraînement ! » Elle me consacrera deux heures entières, ponctuées par quelques coups de téléphone, et un livreur venu lui apporter son repas, qu’elle accueille chaleureusement, et en hindi. Puis, c’est avec un sourire gêné qu’elle m’annonce que sa maquilleuse est arrivée, qu’elle est désolée, mais qu’on peut continuer demain… Ca tombait bien, elle venait de répondre à ma dernière question.
Quatre films qui ont changé sa carrière
. Dev.D (2009, réalisé par Anurag Kashyap)
Dans cette adaptation contemporaine du célèbre roman bengali « Devdas », Kalki Koechlin joue une adolescente qui tombe dans la prostitution. Elle décrochera un Filmfare Award pour ce rôle, l’équivalant d’un Oscar indien.
. Zindagi Na Milegi Dobara (en français, « On ne vit qu’une fois »), (2011, réalisé par Zoya Akhtar)
Première apparition dans un film commercial à gros budget, ce road movie qui se passe en Espagne lui permet d’accroître sa popularité.
. That girl in yellow boots (2010, réalisé par Anurag Kashyap)
Kalki a coécrit le scénario de ce film dans lequel elle joue le premier rôle, celui d’une jeune Européenne qui part à la recherche de son père en Inde. Le film sera projeté aux festivals de Toronto et de Venise.
. Yeh Jawaani Hai Deewani (2013, réalisé par Ayan Mukherjee)
Ce film, histoire du périple à travers les montagnes indiennes de l’Himalaya de trois amis d’enfance, est un blockbuster qui rencontrera un énorme succès.