Alors que 2015 marquait le passage officiel à la TNT en Afrique, un an après, quel est le bilan du déploiement de la télévision numérique terrestre sur le continent africain ?
Sommaire
- – La TNT en Afrique, une nécessité
- – Un déploiement inégal
- – Des coûts importants
- – Alimenter la TNT en chaînes et programmes locaux
La télévision numérique terrestre (TNT) qui nous intéresse en particulier est celle qui est en train de voir le jour sur le continent africain : un cocktail tonique de chaînes gratuites, de chaînes payantes et de services innovants. En Afrique, lancer la TNT est un passage quasiment obligé mais complexe. Il est très important d’en rappeler les raisons car certaines sont sous-estimées et d’autres ne correspondent pas toujours à celles invoquées dans les pays occidentaux. Ces deux dernières années, un grand pas a été franchi, et même si le financement reste un problème dans quelques pays, la plupart des acteurs locaux en charge du dossier reconnaissent que la TNT est une opportunité pour construire le secteur audiovisuel du continent africain. Alors que le flou régnait encore début 2015, il semble que les décideurs y voient désormais beaucoup plus clair.
La TNT en Afrique, une nécessité
Le numérique offre en effet plus d’opportunités que l’analogique. Le déploiement bénéficie d’abord aux citoyens, c’est un outil d’accès universel à l’information. La TNT gratuite est à l’heure actuelle le moyen le moins cher pour permettre l’accès à la télévision au plus grand nombre d’habitants : en Afrique, elle est moins coûteuse que la fibre, le Vsat ou la 4G. Elle permet également une meilleure qualité d’image et du son, et offre une plus grande variété de chaînes.
La TNT constitue aussi une nécessité technique pour les diffuseurs : les États ne peuvent plus continuer de diffuser leurs chaînes de télévision sur l’ancien réseau analogique, car les fabricants ne livrent plus ces équipements. En cas de panne, il devient difficile de réparer les infrastructures, faute de matériel analogique disponible auprès des distributeurs. Ce fut récemment le cas en Côte d’Ivoire.
L’UIT (l’Union internationale des télécommunications) recommande d’opérer cette transition afin d’être aux normes, et de bénéficier des multiples opportunités du numérique, comme l’optimisation du spectre des fréquences, qui sont une denrée rare sur le continent comme ailleurs. Lorsque un pays migre sa diffusion télévisée vers la TNT, les pays voisins risquent de connaître des interférences aux frontières s’ils n’ont pas eux-mêmes choisi cette technologie. Ils doivent donc s’y préparer.
La TNT est aussi un moyen de remettre à plat et de rénover son paysage audiovisuel pour le dynamiser. En utilisant le numérique, les professionnels du secteur peuvent réduire leurs coûts de production, de transmission et de diffusion, et valoriser leur patrimoine national.
D’autres raisons incluent le lancement de systèmes interactifs, comme la VoD via des décodeurs connectés à internet, ou des systèmes d’alerte (météo, élection, e-gouvernement, etc.).
Enfin, la TNT est l’opportunité d’améliorer la couverture du territoire en haut débit internet par l’installation sur les pylônes de matériels mixtes audiovisuel/télécoms (4G-WiFi, services départementaux comme les urgences).
Un déploiement inégal
Jusqu’à présent, six pays africains ont lancé la TNT et ont commencé ou terminé de couper l’ancien signal analogique : tout d’abord Maurice, puis la Tanzanie, le Kenya, le Maroc, la Namibie, le Rwanda, et bientôt le Malawi. Dix-huit autres pays ont lancé la TV numérique terrestre tout en conservant le signal analogique. Onze pays se préparent à lancer la TNT prochainement, et douze autres sont en retard, tandis que dix pays ne prennent pas encore de mesures sérieuses à cet égard.
Les plus grands acteurs privés de la TNT en Afrique sont Startimes (Chine) et GoTV (Naspers – Afrique du Sud). Startimes est opérationnel dans treize pays et compte environ 6,5 millions de clients (pour des services gratuits et payants) en Afrique en mars 2016, tandis que GoTV couvre onze pays et compte plus de 2 millions de clients à la même date. D’autre acteurs privés ou publics sont également présents. Le nombre total de foyers équipés de la TNT sur le continent aujourd’hui est estimé à plus de 10 millions de foyers sur environ 110 millions de foyers équipés de postes de télévision sur le continent, soit environ 9 % du marché potentiel : il reste donc de la marge, et la croissance de ce segment devrait s’accélérer d’ici 2020, rattrapant peu à peu la pénétration de la TV numérique sur satellite.
80 % du territoire sénégalais est couvert par la TNT La dernière annonce du secteur concerne Excaf, opérateur privé en charge de la TNT officielle au Sénégal : « A ce jour, près de 380 000 décodeurs TNT sont sur le point d’être vendus et installés dans les foyers du Sénégal, en particulier sur Dakar, Thiès et Kaolack, les sites qui reçoivent le signal. L’approvisionnement du marché se fera en quantité suffisante pour répondre à la demande très pressante des populations, vu qu’à ce jours 80 % du territoire est couvert par l’infrastructure TNT » explique Madame Mahé Diouf Tall, Directrice Commerciale d’Excaf le 1er avril 2016.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire et le Cameroun expérimentent leur TNT avec des bêta testeurs depuis quelques mois. La Côte d’Ivoire va bientôt annoncer les appels d’offres (via la HACA) pour trouver les bons partenaires techniques et commerciaux. Au Congo-Brazzaville, Canal+ a lancé son premier service TNT, EASYTV en février 2016. Canal+ va probablement lancer un service similaire dans d’autres pays francophones, encadré par une réglementation stricte et des quotas concernant la production locale. Au même moment, Startimes s’intéresse également aux pays francophones, tandis que l’autre acteur chinois, Huawei, semble avoir presque disparu du paysage. En Afrique du Sud, MultiChoice a lancé le premier service TNT du pays – GoTV – pour 99 rands/mois[+]. Et en Éthiopie,GatesAir a remporté en mars 2016 le marché de l’installation de l’infrastructure du projet national de transition vers la TV numérique. À l’appui du contrat, GatesAir va concevoir, installer, tester et mettre en service une solution de réseau DVB-T2 pour 26 nouveaux sites de transmission et de mise à niveau des systèmes sur 74 installations existantes. En outre, GatesAir fournira une solution de financement via une institution financière, J.P. Morgan, avec le soutien de l’« Export Development Canada ».
Des coûts importants
Il faut au moins 10 millions de dollars pour couvrir uniquement les 2 ou 3 villes principales Précisons que lancer un service de TNT dans un pays requiert un investissement d’au moins 10 millions de dollars pour couvrir uniquement les 2 ou 3 villes principales. Le montant dépend bien évidemment des contraintes locales, du réseau existant, de la répartition de la population, de la taille et du relief du pays. Au Nigeria et en RDC, 450 millions de dollars seraient nécessaires pour couvrir l’ensemble du territoire selon les premiers devis, tandis qu’environ 70 millions de dollars sont nécessaires au Bénin, en Guinée, au Kenya, en Ouganda, et au Sénégal, selon la dernière mise à jour de l’étude de Balancing Act (avril 2016).
Ces coûts comprennent uniquement la mise en place d’un comité dédié, le cadre règlementaire, les dépenses en infrastructures techniques, la campagne de communication, ainsi que des budgets alloués au suivi et au service après-vente (études, centre d’appel et sélection des distributeurs), accompagné parfois de subventions pour les décodeurs. Ces devis ne comprennent pas certains postes importants : les coûts annuels de production de chaînes et de programmes locaux qui doivent répondre à la demande imposée par les quotas nationaux, ou encore le recyclage des équipements obsolètes. La question de l’archivage des programmes est également omise. Comme l’écrivait le physicien Michel Blay : « Pas de science sans mémoire. Une science sans mémoire est destinée à mourir ou à tourner en rond ».
Avec un investissement élevé, quel est le retour sur investissement de la TNT ? Il s’agit souvent d’une rentabilité à long terme. Les recettes potentielles du déploiement de la TNT varient selon les choix des États. Des licences audiovisuelles pour les diffuseurs TV et radios, pour les fournisseurs de bouquets gratuits/payants permettraient d’amortir une part de l’investissement. La location du réseau TNT aux chaînes TV et radios est une autre option choisie par exemple par la Côte d’Ivoire et le Kenya. Certains États comptent aussi sur la redevance audiovisuelle, les taxes sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications et des chaînes TV et radios. Les taxes sur les importations de récepteurs TNT et la TVA (sur les ventes de téléviseurs, boîtiers, achat de programmes/chaînes, etc.) constituent une autre source de remboursement. Par ailleurs, la valorisation des points hauts des pylônes TNT permet des rentrées d’argent de la part des services télécoms haut débit (3G, 4G, Wifi). Mais le plus gros retour sur investissement provient de la valorisation du dividende numérique : la vente des licences 4G constitue un apport qui permet l’investissement rapide dans le déploiement TNT.
En effet, la publication d’un nouveau plan de fréquences, qui inclut les réaménagements de fréquences rendus possibles par la fin de la télévision analogique et le développement de la télévision numérique, permet de disposer de bandes de fréquences non attribuées, en particulier dans la bande 800 MHz. C’est le dividende numérique.
Le droit d’utilisation de ces fréquences pour une période donnée peut être vendu par les autorités publiques. Il permet la monétisation du dividende numérique. Une partie de ces fréquences peut être réservée à l’État pour ses besoins propres ou à des services publics.
avec inaglobal