Les grands succès du cinéma français en Chine sont essentiellement des films familiaux ou à grand spectacle. Pour consolider la présence française sur le marché chinois, coproductions et soft power sont de mise.
Sommaire
- – Le cinéma français, deuxième cinématographie étrangère en Chine après les États-Unis
- – Un nombre croissant de coproductions franco-chinoises
- – Les festivals comme outil de soft power
- – Des échanges qui s’intensifient
2015 sera sans doute une année chinoise pour le cinéma français. Avec le succès du dernier film de Jean-Jacques Annaud, Le Dernier Loup, et celui du film d’animation Le Petit Prince de Mark Osborne, le box-office chinois sourit aux français. Ces deux films atteignent respectivement 12 et 5 millions d’entrées.
Ces deux succès masquent la difficulté de pénétration de ce marché pour les films français, et traduit deux tendances gagnantes : le goût pour les films à grands spectacle ou familiaux d’une part, et d’autre part l’enjeu crucial de la coproduction à la fois pour le financement des œuvres et pour leur distribution.
Le cinéma français, deuxième cinématographie étrangère en Chine après les États-Unis
Un nombre assez restreint et variable de films français sort en Chine chaque année depuis la fin des années 2000 : 4 films en 2009, 7 en 2010, 3 en 2011, 9 en 2012, 6 en 2013 et 8 en 2014. Comme les autres films étrangers, les films français subissent la loi des quotas (entre 60 et 70 films étrangers par an, dont 34 en partages de recettes et l’autre partie au forfait). Ils sont pour l’essentiel distribués au forfait, ce qui limite de fait les recettes espérées.
Le chiffre d’affaires au box-office du cinéma français varie ainsi selon les années entre 6 et 20 millions d’euros. Ces chiffres masquent de fortes disparités, les plus gros films polarisant ainsi les entrées (Taken 2 a ainsi représenté 72 % des entrées en 2012), tandis que d’autres rencontrent un public restreint : Largo Winch 2, The Artist, Black Gold… La faiblesse des revenus générés s’explique bien sûr en partie par le mode de répartition des recettes, qui fonctionne pour l’essentiel au forfait. Certaines œuvres parviennent cependant à négocier une distribution en partage de recettes (LeVolcan, Sur la Piste du Marsupilami). Mais il faut aussi compter sur la faiblesse de l’exposition offerte par les exploitants de salles, qui n’hésitent pas à déprogrammer les films au bout de quelques jours si les entrées ne sont pas au rendez-vous, et qui privilégient à la place des films à plus fort potentiel (essentiellement les blockbusters donc, américains ou chinois), ou dont le ticket d’entrée est plus haut (les films en 3D).
En 2014, la Chine était le deuxième marché étranger pour le cinéma français avec seulement huit films En 2014, la Chine était cependant le deuxième marché étranger pour le cinéma français (17,4 millions d’entrées), derrière les États-Unis et devant l’Allemagne, et ce avec seulement huit films sortis. Le cinéma français a particulièrement été porté par Lucy, de Luc Besson. Première alternative étrangère après les États-Unis en termes de spectateurs, le cinéma français ne représente que 2 % de part de marché (et beaucoup moins par le passé : 0,4 % en 2011 par exemple) et demeure donc très minoritaire.
Les films français sont distribués par les grands groupes publics comme par de plus petits distributeurs : China Film Group détient les droits d’une quarantaine de films (Taken 2, Sur la piste du Marsupilami), Huaxia a distribué Colombiana, Le petit Nicolas, Astérix aux jeux olympiques,Indigènes. Le promeneur et l’oiseau a été distribué par Stellar et UGC. Lucy, qui a été distribué par Fundamental Films, a occupé la 19e place des films étrangers et la 36e au global ; son producteur, Europacorp, a en effet signé un accord pluriannuel avec Fundamental Films pour la coproduction et la distribution d’une partie de son line-up. Cette société s’est d’ailleurs engagée à financer à hauteur de 50 millions d’euros le prochain film de Besson, Valérian, qu’elle distribuera également sur le territoire chinois.
Le cinéma français est également diffusé à la télévision (comme sur la chaîne câblée CCTV6) et sur les plateformes de video à la demande. Grace de Monaco d’Olivier Dahan a par exemple rencontré un certain succès en VOD sur Youku.
Il demeure que le cinéma français privilégié en Chine reste un cinéma commercial et grand public (mais pas nécessairement sans qualité), et que les films français les plus ambitieux ou reconnus artistiquement n’y sont pas distribués en salle (ou simplement projetés ponctuellement, en festivals par exemple). Selon Unifrance, sur les dix films français les plus vus en Chine depuis 2000, sept sont des productions EuropaCorp. Cette tendance se retrouve dans le discours des pouvoirs publics chinois qui ont pu reprocher aux films français de n’avoir pas le potentiel commercial nécessaire, et qui tentent d’imposer des projections de recettes minimales à atteindre pour espérer être distribué, qui seraient payées sous la forme d’un MG (minimum garanti) par le distributeur local aux autorités.
Un nombre croissant de coproductions franco-chinoises
En 2010, après sept années de négociations, les coproductions sont enfin officiellement encadrées par un accord international entre la France et la Chine, qui a permis à la France de se hisser au second rang des pays coproducteurs avec la Chine. Ce type d’accord permet au film de recevoir la nationalité des deux pays coproducteurs, et de bénéficier par là des systèmes d’aide de chacun, tout en se situant hors quota pour le marché chinois.
Le premier film à avoir bénéficié de cet accord a été 11 Fleurs, de Wang Wiaoshuia, produit par les sociétés chinoises Chinese Shadows et WXS Production et les Français Full House et Arte France Cinema. En 2014, Le Promeneur d’oiseau de Philippe Muyl (Envision Film Pékin / Pan Eurasia France) est le premier film chinois réalisé par un Français, et a même représenté la Chine aux Oscars. En 2015 encore, Le Dernier Loup de Jean-Jacques Annaud (China Film Group / Reperage, Mars, Wild Bunch), financé et tourné en Chine, en chinois et sur un sujet chinois (le best-seller de Jiang Rong), a manqué de représenter la Chine aux Oscars. Le film d’animation 108 Rois-Démons, de Pascal Morelli, a réuni le Chinois Fundamental, le Français SamePlayer, le Luxembourgeois Bidibul Productions et le Belge Scope Pictures. Ces films de coproduction sont ainsi alternativement tournés par des réalisateurs français et chinois. Plusieurs autres coproductions sont en cours, comme The Lady in the Portrait de Charles de Meaux, Papa Lanternes d’Alon Chan, Looking for Rohmer de Wang Chao, ou encore le prochain Jean-Jacques Annaud.
Les coproducteurs majoritaires varient, mais la tendance à ce jour est plutôt en faveur des producteurs chinois : Le Promeneur d’oiseau et Le Dernier loup ont été financés à 80 % par la Chine (sur un budget de 35 millions d’euros pour ce dernier), tandis que 108 Rois-Démons a une part française majoritaire (28 %) contre 21 % pour la Chine, et voit son plan de financement complété par le Luxembourg et la Belgique (26 et 23 % respectivement).
Pour assoir cette stratégie de coproduction, la société française Wild Bunch a créé en 2015 un fonds d’investissement avec China Film and TV Capital afin de développer et financer des coproductions sino-européennes. Le montant de ce China Europe Film Fund (CEFF) n’est pas connu à ce jour, et devra être augmenté au fil des ans. Ce type d’initiative montre l’appétit croissant des sociétés des deux pays pour structurer des stratégies de coproduction et de codistribution ambitieuses.
Les festivals comme outil de soft power
Afin de faire rayonner les films français en Chine, distributeurs et pouvoirs publics (CNC, Unifrance) cherchent à diffuser les œuvres dans les festivals chinois, dont les projections, bien que non commerciales, ont l’avantage d’échapper au système des quotas. Le Festival international du Film de Pékin a ainsi ouvert son édition 2014 par la projection de La Belle et la Bête, et a diffusé une dizaine de films français. Le Festival de Shanghai a également diffusé neuf films français. Contrairement à d’autres festivals internationaux (Cannes, Toronto, ou Busan en Corée), la partie « marché » de ces festivals est très peu dynamique, du fait du système des quotas qui limite de fait la portée de ce type d’évènements. Il s’agit dès lors davantage de lieu de promotion à destination du public local (limité) et des élites politiques.
D’autres évènements sont organisés directement par Unifrance, l’association de promotion du cinéma français à l’étranger. Chaque année depuis 2004 a lieu le Panorama du cinéma français en Chine, organisé avec l’Ambassade de France en avril. Unifrance diffuse pendant une dizaine de jours une douzaine de longs métrages français à Pékin et Shanghai, ainsi que dans d’autres métropoles comme Chengdu, Shenzhen, Canton et Nankin. Associé aux Festivals de Pékin et de Shanghai depuis 2013, le Panorama permettent d’assurer la présentation de huit films français dans chacun des festivals. Un peu moins de 20 000 spectateurs ont assisté à des projections du Panorama en 2014.
Depuis deux ans également, les Rencontres franco-chinoises de cinéma de Pékin sont un lieu de rencontre et de discussion des acteurs politiques et économiques des deux pays. L’édition 2014 a ainsi réuni 200 professionnels chinois, notamment le Bureau du Cinéma, les producteurs de China Film Groupe et Envision, des exploitants et les diffuseurs TV et VOD CCTV6, Youku et iQIYI, autour d’une délégation de professionnels français (notamment le CNC, Unifrance, Gaumont, UGC, Canal +, Films Distribution et les représentants de syndicats de professionnels). Plusieurs pistes de collaborations renforcées ont été évoquées, notamment le renforcement de partenariats avec les salles et plateformes VOD.
Notons enfin le succès rencontré par MyFrenchFilmFestival en Chine, festival en ligne organisé par Unifrance en partenariat avec Youku, qui a permis d’enregistrer 1,1 million de vues en quelques semaines en 2012, et 3,5 M en 2014. La cinquième édition a cependant été ternie par la censure exercée par l’État chinois sur la diffusion d’œuvres étrangères en VOD.
Des échanges qui s’intensifient
On a compris la dimension éminemment politique de la relation franco-chinoise dans le domaine du cinéma. Cette relation n’est pas neuve, et s’intensifie depuis quelques années. Sans être spécifiquement orienté vers la Chine, le système français a déjà soutenu le cinéma chinois, en particulier via le fonds Sud du CNC, devenu en 2012 « Aide au cinéma du monde », qui apporte chaque année un soutien financier à des films d’auteur étrangers. Les cinéastes chinois ont largement bénéficié de ces aides depuis 1984 : Jia Zhang Ke a ainsi reçu des aides pour Plateform(2001), Unknown Pleasures (2002), The World (2004) ; Zhang Yimou pour Shanghai Triad (1995), Wang Bing pour Le Fossé (2010) et La Jeunesse de Shanghai (2014), Lou Ye pour Summer Palace(2006), Nuits d’ivresse printanière (2010), Les Aveugles (2013)… Ces aides montrent la vitalité des auteurs chinois, exerçant parfois de manière clandestine dans leur pays (Jia Zhang Ke notamment), et l’intégration de leurs films dans les circuits internationaux (festivals notamment, comme Cannes ou Berlin).
Reste que le cinéma chinois rayonne peu en France. En dehors de quelques auteurs majeurs diffusés par les gros distributeurs indépendants, il faut regarder du côté de festivals (le Festival du cinéma chinois à Paris par exemple) pour trouver des films non diffusés dans le circuit d’exploitation commercial. Un des enjeux de la relation franco-chinoise pour le développement du cinéma français en Chine se jouera sans doute aussi ici, sur le territoire hexagonal.