Le marché du cinéma en Chine, en pleine croissance, attire les majors d’Hollywood. Le marché reste cependant très contrôlé et les films occidentaux doivent s’adapter à la culture chinoise.
Sommaire
- – Hollywood maître du box-office chinois
- – Des quotas à faire tomber, des distributeurs à imposer
- – Vers la collaboration harmonieuse ?
- – Pékin contre les Decepticons
- – Stars chinoises et placement de produit
Le 9 décembre dernier, le groupe chinois Wanda a annoncé son intention de prendre une part minoritaire du studio américain Legendary Entertainment (The Dark Knight Rises, Interstellar,Jurassic World), partenaire d’Universal. Pour la société chinoise, qui a aussi acheté la chaine de cinéma ACM cette année, il s’agit de diversifier ses sources de revenus et de mettre un pied dans la production américaine tandis que pour le studio, c’est l’occasion d’intégrer une nouvelle source de financement et de se rapprocher un peu plus du juteux marché chinois, après avoir formé en 2013 l’entreprise en participation Legendary East, avec China Film Group.
Le marché chinois, dont le parc de salles est de plus en plus attractif et la consommation télévisée et en ligne explose, laisse en effet miroiter la promesse de relais de croissance alléchants aux studios américains pris dans la surenchère économique de leur cinéma spectaculaire. Mais l’État chinois veille, limitant drastiquement la pénétration de son marché du cinéma par les puissances étrangères, en particulier américaine. Grâce à un système de quotas, le nombre de films étrangers diffusés est limité, tandis qu’un contrôle strict est imposé sur les conditions de promotion et de sortie des films et de rémunération des distributeurs étrangers. Le piratage physique et numérique, qui contribue à diffuser les films américains par des circuits parallèles, grève aussi le potentiel commercial de la filière.
Le box-office chinois est dominé par les films américains Les Américains subissent ainsi les quotas, même s’ils en sont les premiers bénéficiaires et s’ils ont gagné un espace supplémentaire grâce à l’ajout récent d’un quota parallèle pour les films sortis en IMAX (Image Maximum, un format d’image très haute définition). De fait, malgré le nombre restreint de sorties, le box-office chinois est généralement dominé par les films américains. Cependant, les distributeurs ont encore trop peu de pouvoir et contrôlent difficilement l’exposition de leurs films et les recettes qu’ils en tirent. Afin de surmonter ces obstacles et de stabiliser l’accès à un marché à la fois incontournable et incertain, ils s’associent de plus en plus avec des producteurs ou investisseurs locaux pour cofinancer le film, s’assurer d’une meilleur exposition, quitte à ajouter des scènes ou à modifier leurs scénarios pour l’adapter au marché local.
À ce titre, peut-on déjà parler d’une collaboration harmonieuse entre la Chine et Hollywood ?
Hollywood maître du box-office chinois
Depuis quelques années, le cinéma américain domine indéniablement le box-office chinois. Malgré une percée du cinéma local en 2015, les blockbusters américains connaissent un très grand succès. En 2014, Transformers 4 avait atteint les 250 millions de dollars de recettes, Interstellar 101 millions de dollars,XMen : Days of Future Past, La planète des singeset Captain America entre 90 et 100 millions de dollars chacun. Avatar, en 2009, avait déjà généré 221 millions de dollars, un record au regard de la croissance fulgurante du réseau de salles de cinéma sur le territoire chinois depuis cette date.
Le marché n’a pas pourtant encore atteint sa maturité – et c’est ce potentiel qui attire Hollywood. Selon PWC, les revenus du box-office devraient en effet augmenter de 15 % par an jusqu’en 2019 en Chine, alors que ce taux de croissance ne devrait atteindre que 4 % aux États-Unis sur la même période. Ce marché en forte croissance attire naturellement les regards des producteurs américains, qui cherchent tous les moyens possibles pour en tirer bénéfice. La nature du parc de salles joue en leur faveur : le réseau de salles du canadien IMAX atteint aujourd’hui 251 salles en Chine, et une récente levée de fonds d’IMAX China devrait permettre de bâtir prochainement 217 nouvelles salles.
Des quotas à faire tomber, des distributeurs à imposer
L’accès au marché d’exploitation chinois est limité à en moyenne 70 films par an, selon des règles très précises décidées par l’incontournable et puissant SARFT (State Administration of Radio Film and Television – Guójiā Guǎngbō Diànyǐng Diànshì Zǒngjú). À l’origine, seuls 20 films pouvaient être diffusés en partage de recettes entre le distributeur local et le distributeur étranger. Ce sont ces quotas que visent les studios américains, car ils sont bien plus rémunérateurs que les films diffusés sur la base d’un forfait (une quarantaine chaque année). Le quota de films en partage de recettes a été ouvert à 34 films avec l’ajout de 14 films supplémentaires autorisés s’ils sont diffusés en IMAX. De fait, tous les films IMAX en Chine sont importés par des studios américains.
La MPAA (Motion Pictures Association of America), dirigée par Christopher Dodd et soutenue par les plus grands studios, exerce depuis des années un fort lobbying dans le cadre des négociations internationales pour ces quotas soient ouverts. Les américains visent en particulier la réouverture des négociations dans le cadre de l’OMC pour les faire tomber en 2017. Ce sont des enjeux diplomatiques structurants, qui infusent les discours politiques au plus haut niveau, en particulier lors des précédentes négociations en 2012, entre les vice-présidents Joe Biden et Xi Jinpin.
Les distributeurs étrangers ne peuvent promouvoir eux-mêmes leurs films Les conditions de distribution elles-mêmes sont problématiques. Les distributeurs étrangers ne peuvent promouvoir eux-mêmes leurs films, ils doivent passer par des sociétés d’importation qui soumettent le film aux autorités pour autorisation, calendrier et conditions de diffusion. Le pourcentage des recettes accordées aux distributeurs étrangers est lui aussi plafonné. Il atteint 20 à 25 % maximum.
Les marché de la vidéo physique et de la vidéo à la demande est encore plus dur d’accès, les films étant confrontés à un piratage massif. Alors que Netflix n’était pas encore implanté en Chine, sa production phare, la troisième saison de House of Cards, y était déjà largement diffusée sous le manteau.
Vers la collaboration harmonieuse ?
Pour intégrer le marché chinois en évitant la barrière des quotas, les sociétés américaines cherchent des partenariats, pour assurer des coproductions ou même des associations capitalistiques sur des sociétés locales codétenues. Les exemples sont nombreux ces deux dernières années, à tous les niveaux de l’industrie.
Du côté des salles d’abord. La société canadienne IMAX Corp a ainsi prévu d’équiper des dizaines de nouvelles salles en Chine de sa technologie offrant des images plus grandes et de meilleure résolution, et a été capitalisée pour cela par des investisseurs chinois (China Media Capital).
Pour la production, les exemples sont légion. Dès 2001, Sony/Columbia Pictures coproduit avec Huayi Bros pendant quatre ans les premiers blockbusters locaux, notamment Big Shot’s Funeral etCrazy Kung Fu avec Stephen Chow. Plus récemment, en 2014, le riche groupe Fosun a investi dans Studio 8, lancé par Jeff Robinov (ex-Warner Bros). Un consortium a été monté autour de Flagship Entertainement, détenu à 51 % par des entreprises chinoises (dont le fonds China Media Capital et la chaine hongkongaise TVB) et à 49 % par Warner Bros, afin de produire une série de films chinois, dont plusieurs films « tente pole » (films à très gros budget qui structurent l’année de production d’un studio). China Media Capital a également investi dans la joint-venture chinoise de Dreamworks Animation basée à Shanghai, dans un fonds commun avec IMAX destiné à financer des « tente-pole », et dans Star China TV (détenu par 21st Century Fox). Le groupe de Murdoch a aussi l’ambition de s’établir en Chine sur les deux volets de son activité, cinéma (20th Century Fox) et télévision (Sky, Fox). Le géant des médias et du divertissement américain Disney a enfin annoncé en avril un partenariat avec le groupe public China Animation, ainsi qu’avec le poids lourd de l’internet Tencent, pour un projet de développement de films d’animation chinois.
L’objet de tels partenariats est variable : pour certains, il s’agit de mieux financer et d’adapter au marché local des productions de culture américaine ; pour d’autre, d’élaborer une production chinoise plus internationale, de faire émerger des talents et de faire bénéficier au partenaire chinois de l’expertise industrielle américaine. La coproduction, si elle est reconnue officiellement, permet de qualifier un film coproduit comme chinois et d’échapper ainsi mécaniquement au régime des quotas. Mais la qualification d’un film comme coproduction n’est pas automatique, et les autorités chinoises se font de plus en plus exigeantes. Expendable 2, initialement prévu comme une coproduction, a finalement perdu son permis au moment de sa sortie en salle, devant ainsi réintégrer le rang des films du quota.
Les studios passent aussi des contrats avec les plateformes de diffusion en ligne VOD et SVOD chinoises, afin de profiter du florissant marché de la consommation numérique. NBC Universal a ainsi signé un contrat de plusieurs années avec iQIYI (filiale de Baidu) pour y diffuser le catalogue des futures productions Universal, mais également avec Alibaba, pour sa filiale de diffusion en ligne TBO, déjà surnommé « le Netflix chinois ». Les acteurs de l’internet chinois s’associent même à la production : Alibaba Pictures par exemple finance un slate (portefeuille) de projets Universal, et investit également aux côtés de Paramount dans Mission Impossible 5 : Rogue Nation. Mais Alibaba ne se contente pas de coproduire : l’entreprise a aussi travaillé à la promotion du film, et constitue une des principaux guichets d’achats avec son système d’e-tickets. Elle génère ainsi des bénéfices à plusieurs étapes de l’exploitation du film.
Les investisseurs chinois permettent ainsi non seulement aux films d’être mieux financés au moment de leur production, d’être mieux diffusés, et parfois même, mieux désirés.
Pékin contre les Decepticons
Ces collaborations ont en effet parfois vocation à influencer le contenu même du film, en y ajoutant des éléments chinois destinés à plaire au public local. De plus en plus de blockbusters américains se plient à l’exercice, parfois dans le corps principal du film, parfois en ajoutant des scènes supplémentaires et personnages inédits que l’on ne trouve que dans la version chinoise. L’exemple le plus emblématique de ces dernières années est Transformers 4, de Michael Bay, produit par Paramount, China Movie Channel et Jiaflix Enterprises. L’action se déroule pour partie en Chine, avec des scènes à Pékin et Hong Kong, et fait intervenir des acteurs chinois : Han Geng, célébrité locale chanteur de K-pop, et l’actrice Bingbing Li (également vue dans Le Royaume interdit etDetective Dee 2). Le casting des acteurs chinois du film avait lui-même fait l’objet d’une émission de téléréalité… Le déroulement du scénario aussi met en valeur la Chine, puisque le pays venant au secours de l’humanité en péril contre les méchants Decepticons n’est pas les États-Unis mais la Chine… Une transformation profitable du script puisque le film, qui a rencontré un succès mitigé aux États-Unis, a écrasé le box-office chinois et a ainsi assuré sa rentabilité…
Stars chinoises et placement de produit
Marvel Pictures et DMG Entertainement ont également sorti une version d’Iron man 3 adaptée au public chinois, avec l’actrice Fan Bingbing et l’acteur Wang Xueqi (Terrejaune, Opération Jaguar,Bodyguards and Assassins) qui interprète Dr Wu. Mais cette version-ci n’a pas fait l’unanimité, une partie du public, se plaignant notamment dans les colonnes du Quotidien du Peuple, que les ajouts n’apportent absolument rien au film, et que le placement de produit chinois y était trop ostensible (boisson lactée Gu Li Duo notamment…). Le même problème s’est posé avec Transformers 3, dans lequel un acteur asiatique buvait du lait Shuhua et allait jusqu’à demander « May I finish my Shuhua milk, Donny? »… Il y a ainsi une véritable demande pour que les éléments chinois du scénario ne soient pas simplement greffés comme un appendice au script initial, mais soient bel et bien intégrés, de manière nécessaire, à la trame narrative.
À ce titre, The Great Wall, dirigé par Zhang Yimou, coproduit par Legendary (Universal) et China Film Group, avec Matt Damon et Willem Daffoe, devrait servir d’étalon (à 150 millions de dollars) à ce qui peut se faire de plus avancé dans la collaboration harmonieuse sino-américaine. Tourné en Chine, en anglais, par le cinéaste chinois le plus installé, racontant la résistance ultime d’un groupe d’humains contre une invasion de monstres, le film promet la fusion entre le savoir-faire narratif et pyrotechnique hollywoodien et le territoire et la vision d’un réalisateur chinois. Verdict en hiver 2016.
La collaboration sino-américaine, paradoxale et plurielle, rivale et mutuellement bénéfique, exprime en réalité la rencontre entre une stratégie de diversification et de localisation d’une part (Hollywood), et la stratégie d’internationalisation et de montée en gamme de l’autre. La Chine joue jusqu’à présent parfaitement sa partition, bénéficiant économiquement des succès du cinéma américain sur son territoire, gardant la main sur le rythme d’ouverture de son marché, structurant et internationalisant ses producteurs et offrant à ses acteurs de l’internet la possibilité d’accroitre leur contrôle sur la production des contenus. Hollywood doit rester vigilant pour éviter que sa conquête du marché chinois ne se finisse en victoire à la Pyrrhus.
avec inaglobal