Avec le F2P (Free-to-play), l’étude des données comportementales des joueurs est devenue incontournable pour l’industrie du jeu vidéo. Analyse du Big Data comme outil de monétisation
Sommaire
- – Dans les arcanes de la métrique
- – Analytique des jeux : les indicateurs de base
- – Métrique et monétisation
- – Vers le milliard de téléchargements : une route balisée par les données
- – De nouveaux intermédiaires
- – Les données comportementales, une vraie-fausse formule magique ?
- – Références
Les arrivées successives des jeux en ligne et des jeux sur mobile ont représenté un point de rupture important dans l’industrie des jeux vidéo à différents niveaux, pour le développement des jeux, leur distribution, et pour les joueurs qui bénéficient de plus de libertés pour jouer à leur guise sur leur smartphones, leur donnant accès à une offre de jeux simples et de courte durée (casual games).
Cette forte croissance des jeux sur mobile s’est accompagnée d’innovations dans les modèles d’affaires. Souvent apparues en Asie (portées par des sociétés comme Tencent devenue la première société de jeux vidéo mondiale en 2013), elles se sont rapidement répandues dans le reste du monde. Le modèle d’affaires dit freemium (une offre de base limitée gratuite et des services payants plus élaborés) et/ou free-to-play (F2P: accès gratuit en ligne au contenu) est devenu dominant sur le marché mondial.
Un modèle d’affaires pérenne pour de tels jeux gratuits (en partie ou en totalité) a nécessité de nouveaux flux de recettes, comme la commercialisation d’articles virtuels, d’extensions de jeux et d’autres achats dans les apps (in-app purchase). De nouvelles façons de gérer la monétisation s’imposaient. En effet, afin de drainer ces flux de recettes, il fallait mettre d’abord au point le mode de suivi des joueurs. D’où le rôle de la gestion des données provenant des utilisateurs, le Big Data, pour leur traitement. Il fallait aussi trouver la ou les métriques les plus pertinentes à cette fin.
Dans les arcanes de la métrique
Le passage des jeux vendus sur support physique aux jeux gratuits sur mobile impliquait donc de nouvelles façons de monétiser ce segment. Les modèles de gestion hérités des jeux en boîte étaient d’autant moins adaptés qu’une déferlante de développeurs indépendants déversaient quantité de jeux dans les magasins d’applications en ligne et que les consommateurs préféraient les télécharger plutôt que les acheter.
Comme l’a noté Laralyn McWilliams, relatant les débuts, en 2006, du développement du jeu Free Realms[+] pour Sony Online Entertainment : « nous comprenions comment réaliser un bon MMORPG, mais le free-to-play était l’Ouest sauvage ». Bien que le suivi des joueurs en ligne ait constitué déjà un élément important de l’univers des jeux en ligne, il devenait de plus en plus apparent que ces jeux impliquaient de récolter plus de données, plus rapidement. Un processus fort différent du “guess, ship, and pray” qui caractérisait la conception de jeux pour consoles.
Les jeux F2P obligent, en effet, non seulement à trouver des sources de revenus adéquats, mais aussi à tenir compte du fait que ces jeux occasionnels sont destinés à être interrompus. De nouveaux moyens de retenir, relancer ou faire revenir l’utilisateur s’imposaient. Dans cet univers ; la gestion du cycle de jeu devenait fondamentale. En d’autres termes, il fallait développer des stratégies dites d’acquisition, engagement et rétention, et monétisation. Là où les jeux traditionnels visaient à créer un macro-environnement favorable à l’exploitation du jeu, le modèle F2P se tourne vers le micro-management afin de susciter des comportements d’achat.
Selon Jennifer Whitson, les web designers en charge de la création des premiers jeux pour Facebooksont à l’origine des nouvelles métriques associées aux casual games. Ces web designers ont fait figure de pionniers en commençant à mesurer le succès, en ligne, en termes de vues de page, de durées de session, de nombre de joueurs et de recettes potentielles. Antérieurement, le succès critique ou la reconnaissance de l’innovation introduite par le game play prévalait. La relative simplicité de ces jeux en ligne (flash games[+]) facilitait la collecte des données en ligne, d’abord par échantillonnage et extrapolation. Plus que la jouabilité des jeux, cette métrique entendait suivre le nombre et les critères démographiques des joueurs (âge, sexe, localisation), les habituelles données essentielles pour les annonceurs. Les tests alpha/beta[+] des jeux étaient l’occasion de raffiner collecte et traitement.
Le suivi des joueurs se devait évoluer en même temps que la technologie. Facebook s’est révélé un terrain particulièrement fertile pour faire évoluer ces métriques initiales. On est ainsi passé d’une métrique centrée autour du recensement des pages web (web analytics) à une métrique focalisée sur les individus (social analytics). Pour la première fois, l’industrie du jeu pouvait corréler les données recueillies à tout un ensemble de données réelles (démographiques, réseaux sociaux, localisation…) sans avoir à en passer par de coûteuses méthodes qualitatives de tests.
Tableau 1. L’évolution du rôle des données dans l’industrie des jeux.
Chaque étape intègre la précédente, et le recours aux données s’accroit à chaque étape.
Source : Adapté de Jennifer Whitson
Source : Adapté de Jennifer Whitson
Tableau 2. Les méthodes d’évaluation des comportements des joueurs : qualitative et quantitative.
Source : Jennifer Whitson
Analytique des jeux : les indicateurs de base
Trois sources de données existent pour l’analytique des jeux : celles qui relèvent du suivi du fonctionnement technique du jeu (performance data), celles qui interviennent dans le procès de création du jeu (process data), et enfin celles qui suivent le joueur. Ce sont ces dernières que nous présentons.
L’analytique des jeux sur mobile est complexe, la métrique à considérer comporte un nombre important de données et les indicateurs ont proliféré, créant un univers peuplé de termes étranges. Les indicateurs utilisables les plus simples sont les notions de chargements, de sessions et d’utilisateurs actifs par jour (Daily Active Users : DAU). Les notions d’attrition (churn), de revenu moyen par utilisateur payant (ARPPU) et de DAU/ utilisateurs mensuels actifs (MAU) sont déjà plus délicates. Leur interprétation est moins intuitive et elles peuvent générer plus de questions que de réponses.
Les indicateurs de base sont les suivants[+] :
– Joueurs actifs au quotidien (DAU) : Il s’agit du nombre de joueurs ouvrant au moins une session par jour. L’indicateur se décline en utilisateurs mensuels actifs (MAU). Zynga distingue aussi les joueurs actifs mensuels uniques (MUU : monthly unique users of games) et les payants (MUP : monthly unique payers in games)[+]
– Sessions: la fréquence de l’ouverture de chaque session est un bon indicateur de l’attractivité d’un jeu.
– Le ratio joueurs actifs au quotidien/ utilisateurs mensuels actifs (DAU/MAU) est souvent présenté comme mesurant le degré d’adhésion (stickiness) au jeu, certains jeux populaires sur Facebook atteignent 50 %, mais les jeux à succès sont plus près de 20 %.
– Rétention: sans doute l’indicateur le plus important car le succès d’un jeu F2P passe par sa capacité à créer une relation sur le long terme avec le joueur. Les joueurs qui ont appréciés le jeu le plus longtemps ont une propension à payer plus grande.
– Taux de conversion : mesure le pourcentage de joueurs ayant procédé à un achat sur une période donnée rapporté au nombre total de joueurs. Dans un jeu gratuit ce taux de conversion est fondamental, surtout en prenant en compte le fait que les joueurs itératifs génèrent l’essentiel des recettes dans ces jeux.
– Revenu moyen par joueur et par jour (Average Revenue Per Daily Active User, ARPDAU), l’un des plus courants. Swerve indique pour 2014 un revenu moyen par joueur et par mois (Monthly Revenue per Paying User, PRPPU) de 15,27 dollars.
– Revenu moyen par joueur payant (Average Revenue Per Paying User, ARPPU): est sujet à des variations considérables en fonction du type de jeu. Les jeux “hardcore” ont en général un ARPPU élevé mais pas l’attrait massif des jeux occasionnels.
– Le ratio joueurs actifs au quotidien/ utilisateurs mensuels actifs (DAU/MAU) est souvent présenté comme mesurant le degré d’adhésion (stickiness) au jeu, certains jeux populaires sur Facebook atteignent 50 %, mais les jeux à succès sont plus près de 20 %.
– Rétention: sans doute l’indicateur le plus important car le succès d’un jeu F2P passe par sa capacité à créer une relation sur le long terme avec le joueur. Les joueurs qui ont appréciés le jeu le plus longtemps ont une propension à payer plus grande.
– Taux de conversion : mesure le pourcentage de joueurs ayant procédé à un achat sur une période donnée rapporté au nombre total de joueurs. Dans un jeu gratuit ce taux de conversion est fondamental, surtout en prenant en compte le fait que les joueurs itératifs génèrent l’essentiel des recettes dans ces jeux.
– Revenu moyen par joueur et par jour (Average Revenue Per Daily Active User, ARPDAU), l’un des plus courants. Swerve indique pour 2014 un revenu moyen par joueur et par mois (Monthly Revenue per Paying User, PRPPU) de 15,27 dollars.
– Revenu moyen par joueur payant (Average Revenue Per Paying User, ARPPU): est sujet à des variations considérables en fonction du type de jeu. Les jeux “hardcore” ont en général un ARPPU élevé mais pas l’attrait massif des jeux occasionnels.
– Taux d’attrition qui suit le départ des joueurs ou leur interruption du jeu.
Enfin, on peut suivre les interactions des joueurs au sein de leur communauté (« Community metrics »), le rôle des gestionnaires communauté ayant pris une place croissante.
À ces indicateurs s’ajoutent des métriques dans le jeu (In-Game Metrics) pour jauger l’économie globale du jeu, ou suivre la navigation du joueur dans le déroulement du jeu (Gameplay Metrics). Trevor McGalmont distingue deux groupes de trois métriques : « générateurs » et « aspirateurs »[+], et flux d’une part, point de départ, échec et complétion d’autre part.
Les générateurs sont les lieux du jeu ou l’utilisateur peut gagner de la monnaie virtuelle ; à l’inverse, les aspirateurs sont les lieux où il peut les dépenser. La combinaison des deux compose le flux qui solde la balance des gains et dépenses. Si la courbe prend un aspect exponentiel, cela indique que la base de joueurs a trop de monnaie virtuelle donc nul besoin d’en acquérir. À l’inverse une courbe qui tire vers le bas indique que les joueurs n’ont plus assez de ressources pour jouer.
Le second jeu d’indicateurs mesure la progression du joueur. Ainsi le point de départ renvoie au niveau qu’à atteint le joueur, beaucoup de ces jeux comportant des niveaux de jeu. Il renvoie au nombre de tentatives pour jouer à ce niveau. L’échec mesure tout simplement l’inachèvement de cette tentative. La complétion recense le nombre d’achèvements au niveau choisi.
Métrique et monétisation
Les joueurs vont payer pour contourner les obstacles qui entravent leur jeu
Selon Laralyn McWilliams le développement des jeux dans ce contexte tourne autour de trois notions de base :
– La métrique en tant que fondement de la décision,
– Une monétisation qui s’appuie sur la « friction » : les joueurs vont payer pour contourner les obstacles qui entravent leur jeu,
– Ces deux éléments sont conçus pour optimiser l’extraction de valeur des joueurs les plus intensifs (dénommés « baleines »). En effet, dans cette économie des jeux, 50 % des recettes dépendent des 10 % des joueurs payants, 13 % des 1 % de joueurs payants les plus importants, soit si on rapporte le premier groupe de contributeurs au total des joueurs : 0.15 % des joueurs rapportent donc la moitié des recettes.
Laralyn McWilliams résume ce processus à travers le schéma suivant, qui comme les pourcentages cités, atteste bien du rôle des économies d’échelle pour ces jeux : plus le haut du cône est large, plus la probabilité d’être profitable augmente. C’est pourquoi le chemin vers le milliard de téléchargements prend une importance autant réelle que symbolique.
Le cône inversé des acheteurs de biens virtuels.
Source: Laralyn McWilliams.
Vers le milliard de téléchargements : une route balisée par les données
La métrique a donc progressivement été élaborée par des créateurs de jeux , mais aussi par de nouveaux intermédiaires offrant des services spécialisés d’analyse et de traitement de données, en particulier pour les jeux sur mobile tels qu’AppAnnie ou Swerve. Le chiffre, impressionnant, du milliard de téléchargements est souvent cité, par exemple dans le cas d’Angry Birds qui l’a atteint en mai 2012, soit trois ans après son lancement, mais le lien entre ce chiffre et le recours aux données n’est pas suffisamment explicité.
Pour la conception des jeux nous avons retenu les exemples de Zynga et de Storm8, deux sociétés américaines qui ont toutes deux atteint ce seuil.
Zynga, société de San Francisco, créée en 2007, développe, commercialise et exploite des jeux de réseaux sociaux sur Internet, les sites de réseaux sociaux et sur mobiles[+]. Lors de son introduction en bourse en 2011, la société soulignait, dans les documents émis à cette occasion, que les jeux « devaient être gouvernés par les données » (data driven). Dans ces documents la société résumait son approche en liant strictement la gratuité des jeux et le recours aux données, définissant sa philosophe opérationnelle de la façon suivante, soulignant au passage la dimension quantitative des interactions :
– les jeux doivent être sociaux, les joueurs de Zynga ont créé 4 milliards de connections, les 54 millions de joueurs actifs au quotidien interagissent 450 millions de fois par jour.
– les jeux doivent être gratuits car sociaux et accessibles à tous, mais ils deviennent aussi plus profitables en raison du modèle économique gérant de nouvelles formes de relations avec les clients : « free first, high satisfaction, pay optional » [NDLR : la gratuité d’abord, un haut niveau de satisfaction, un paiement facultatif]. Le modèle réconcilie la valeur créée pour les actionnaires avec l’expérience positive du joueur.
– les jeux doivent être gratuits car sociaux et accessibles à tous, mais ils deviennent aussi plus profitables en raison du modèle économique gérant de nouvelles formes de relations avec les clients : « free first, high satisfaction, pay optional » [NDLR : la gratuité d’abord, un haut niveau de satisfaction, un paiement facultatif]. Le modèle réconcilie la valeur créée pour les actionnaires avec l’expérience positive du joueur.
– les jeux doivent être gouvernés pas les données : la culture de Zynga mêle la création et l’analytique. Les jeux et services sont développés au quotidien sur la base du recours à la métrique.
La société a effectivement investi dans le Big Data et technologies associées afin de pouvoir faire face à des niveaux de demande de données très élevés : en un jour d’exploitation ordinaire Zynga fournit un PetaByte[+] de contenus. La société a mis en place un serveur flexible de cloud qui peut ajouter jusqu’à 100 serveurs de stockage en l’espace de 24 heures. Les services publics et privés de cloud de Zynga sont connus comme parmi les plus importants services hybrides.
Zynga s’est ainsi construit autour d’une culture gouvernée par les données. Comme le note Mark van Rijmenam : « At Zynga everything revolves around metrics ». La société a séparé ses analystes de ses créateurs. Les premiers sont censés définir les questions à poser, les seconds ajuster le jeu aux réponses. L’exemple de l’évolution de l’un des jeux phares de la société Farmville est intéressant à suivre sur ce plan. En effet, dans la première version du jeu, les animaux n’avaient qu’une fonction décorative. Les données recueillies montrèrent que de plus en plus de joueurs interagissaient avec les animaux, et que, de surcroît, ils achetaient des animaux virtuels. En conséquence, dans Farmville 2.0, les animaux prirent une place plus centrale.
Cet exemple de Farmville révèle à quel point, Zynga à travers le recours aux Big Data mêle intiment la conception du jeu et son business model, comme l’a noté Atelier Paribas. La société génère ses recettes à travers la vente des biens virtuels mais aussi de la publicité (bannière, vidéo[+] et placement de produits), les données, comme indiqué, jouant un rôle important pour la collecte de la publicité. Elle tire parti de ce traitement des données et des économies d’échelle pour effectuer des ventes croisées de ses produits, tout en améliorant constamment les jeux existants, en en concevant de nouveaux, confortant de ce fait la marque Zynga.
La société introduit délibérément des temps d’attente et mesure l’ennui !
Les joueurs ont deux raisons principales pour acheter des biens virtuels : afin de progresser d’un niveau à l’autre, et pour améliorer leur prestation dans le jeu. Pascal-Emmanuel Gobry note d’ailleurs que la société introduit délibérément des temps d’attente et de plus mesure l’ennui ! Une pratique courante pour ce type de jeux et qui vise à rendre les joueurs impatients. Ainsi un joueur de Farmville peut soit attendre sa récolte, et ne reprendre le jeu que quelques heures plus tard, soit payer pour continuer à jouer. Ces achats impulsifs présupposent aussi une gestion des données financières du joueur qui paie les jeux Zynga à partir de crédits Facebook[+]. Une fois le joueur enregistré le processus est aisé. La commande se déroule en quelques clics pour « une poignée de dollars ».
L’histoire de Storm 8 recoupe partiellement celle de Zynga en raison également du lien avec Facebook. En effet, la société californienne, a été créée, en 2009, par des ingénieurs venant de Facebook. Toutefois, si Storm8 partage avec Zynga le modèle d’affaires de la gratuité, sa stratégie de développement s’en écarte fortement. Storm8 a décidé de se concentrer sur le développement d’un portefeuille ample de jeux (quarante titres), plutôt que de miser sur un hit comme King avec Candy Crush, Zynga avec FarmVille, et Rovio avec Angry Birds.
Son portefeuille inclut un large éventail de jeux depuis les jeux occasionnels d’arcade commeBubble Mania, les jeux sociaux comme Dragon Story, jusqu’aux MMORPG[+] (World War). Elle décline ses jeux sous trois marques : TeamLava, Shark Party et FireMocha. Elle connecte un réseau de 400 millions de terminaux mobiles dans le monde[+], 50 millions de clients jouent quotidiennement et elle a atteint le milliard de téléchargements pour ses jeux[+].
Comme Zynga, Storm8 s’appuie sur l’analyse des données, l’analyse des interactions avec les joueurs. Son choix stratégique d’un modèle en réseau le conduit à utiliser différemment les données sur le marché des apps mobiles, afin de concevoir une cartographie de ses produits les comparant aux produits concurrents afin de mieux les positionner et de donner la priorité à certains éléments du jeu. La société a l’ambition de devenir le plus important réseau de jeux vidéo du monde. Par ailleurs, à la différence de Zynga qui a fortement investi dans le big data, elle s’appuie avant tout sur des prestataires externes, telle AppAnnie pour analyser ses données.
De nouveaux intermédiaires
Toutes les sociétés de jeux, et en particulier les développeurs indépendants, n’ont ni l’expertise analytique, ni les moyens d’investir. Aussi, ce recours à l’analyse et au traitement des données s’est-il accompagné de l’émergence de nombreuses sociétés spécialisées en la matière. Il s’agit souvent des sociétés provenant de l’analyse marketing et ayant mise au point de nouveaux outils destinés au suivi des applications sur les mobiles.
C’est le cas d’AppAnnie, fondée en 2010 ; avec le slogan “The Math Behind the App Stores”[NDLR : Les maths derrière les magasins d’Apps], qui fournit des services d’analyse et d’intelligence du marché. Elle a fondé sa croissance sur l’analyse, à partir des données, des marchés des apps. Son outil ; « Audience Intelligence” (introduit en 2015) est centré sur les mobiles. Il génère des données sur les utilisateurs actifs, le temps passé et la rétention, à partir de l’agrégation, l’anonymisation, et l’analyse des traces laissées par les utilisateurs (chargements d’apps, revues et commentaires sur les médias sociaux). La plateforme d’AppAnnie est utilisée par plus de 90 % des 100 premiers éditeurs, plus de 675,000 apps, dont celles d’Electronic Arts, Google, LinkedIn, Microsoft, Nexon, Nestlé, Samsung, Tencent et Universal Studios. Depuis sa création, la compagnie aurait suivi plus de 83 milliards de chargements, représentant plus de 25 milliards de dollars de revenus bruts (recettes des app stores).
Swrve, société concurrente également crée en 2010, revendique de la même façon un leadership dans le domaine en pleine croissance du marketing mobile. L’algorithme comportemental qu’elle a mise au point permet d’évaluer la propension de l’utilisateur à être actif ou inactif (« Predictive Marketing Suite »). La société offre des services d’analyse prédictive, combinées avec l’émission de messages à l’intention des utilisateurs.
Flurry[+], créé en 2005, est un autre concurrent, dont les services sont utilisés par 170 000 développeurs, et 8000 éditeurs. La société indique suivre 1,4 milliards de terminaux chaque mois et gérer 5,5 milliards de sessions d’apps quotidiennes.
Dans le domaine des jeux seulement, Ninja Metrics se présente comme un pionnier multidisciplinaire, ayant fondé en 2007 le champ de la recherche sur les données sur les jeux (analyses des joueurs, des données sur les jeux et des algorithmes de développement des jeux), introduit une partie des techniques de base. La société a conçu un moteur d’analyse (Katana Analytics Engine) qui offre une plateforme analytique modulable, utilisée selon la compagnie par les jeux les plus réputés du marché. D’autres sociétés comme GameAnalytics ou Kontagent[+] proposent des services analogues d’analytique des jeux et de monétisation.
Les données comportementales, une vraie-fausse formule magique ?
Malgré la sophistication des outils déployés et les investissements consentis, la situation financière de Zynga n’a cessé de se dégrader depuis sa mise en bourse. Le recours aux données n’apporte aucune garantie de succès, ni ne constitue la formule magique que certains, plus ou moins intéressés, y décèlent, surtout dans sa dimension prédictive. Les critiques des erreurs de prévision comme l’impact éventuellement négatif sur la créativité et l’innovation sont connues. Les problèmes soulevés par la protection des données ont également fait l’objet de nombreux commentaires.
La concentration sur les seuls clients payants et les joueurs intensifs n’est pas forcément la meilleure manière de concevoir des jeux pour tous, même si indéniablement elle apporte des méthodes de monétisation intensive. Jennifer Whitson indique que les métriques sont excellentes pour l’optimisation, mais terribles pour l’innovation. À ses yeux, mettre un tableur devant les yeux d’un développeur ne saurait suffire à « créer de la magie ». Un équilibre est nécessaire.
Elle note de surcroît (cf. tableau 2) que les données permettent bien de suivre, en temps réel ce que fait le joueur mais pas de comprendre le pourquoi, ni d’interpréter le contexte, d’où les erreurs que se sont empressés de souligner les critiques. Néanmoins, les métriques sont là, les méthodes aussi pour suivre un univers complexe, en évolution rapide, mais les portes de l’interprétation restent ouvertes.
Références
Trevor McCALMONT, “Metrics All Game Developers Should Know By Heart”. Gamasutra.com, 2015.
Aphra KERR, John KELLEHER, “The Recruitment of Passion and Community in the Service of Capital. Community Managers in the Digital Games Industry”. Critical Studies in Media Communication, July 2015.
Jean-Paul SIMON, « Comment le mobile change le jeu vidéo ». Inaglobal.fr, 2014.
Jean-Paul SIMON, « Le Big Data un enjeu pour les industries créatives ». Inaglobal.fr, 2015.
Mark van RIJMENAM, “Zynga: A Big Data Company Masquerading as a Gaming Company”. Smartdatacollective.com, 2013.
Jennifer WHITSON, Game Design by Numbers. Instrumental Play and the Quantitative Shift in the Digital Game Industry. PhD. Carleton University, Ottawa, Canada, 2014.
avec inaglobal