Des maisons vendues sans être construites. Des frais de souscription encaissés avoir de terrain. Des nombres de maisons réalisées qui sont deux à trois fois moins que le nombre de souscription. Ainsi que résume l’imbroglio dans lequel est plongé le gouvernement ivoirien, dans la mise en œuvre de son programme des logements sociaux
Le projet en quelques mots
Lancée en grandes pompes début 2012 par le président Alassane Ouattara, le programme présidentiel des logements sociaux et économiques vise à permettre à chaque ivoirien, en fonction de ses moyens, de s’offrir un toit à faible coût. Et cela consistait à construire, en cinq ans, 60.000 logements sociaux et économiques dont 50.000 à Abidjan et 10.000 en province.
Le projet, censé trouver une solution à un déficit cumulé d’environ 400.000 logements dans le pays dans les années 2010, a suscité un grand engouement au sein des populations ; qui ont massivement souscrits auprès de la quarantaine de promoteurs agréés par l’Etat dans le cadre des projets.
En effet, le programme veut que les souscripteurs, d’un niveau de salaire cumulé inférieur à 300.000 FCFA pour les logements sociaux et plus pour les logements économiques et de standing, paient un apport initial de 10% du prix du logement. Ensuite, les promoteurs leur livre un logement selon son option, dont le prix n’excède pas 12 millions de FCFA pour les logements sociaux, payable sur 15 ans ou plus selon le type de maison.
Mais voilà que jusqu’à ce jour (juin 2016), soit près de huit mois après la fin du premier quinquennat d’Alassane Ouattara, aucune cité n’a encore été livrée aux bénéficiaires de ce programme. Et l’espoir tant porté par le projet est en train de virer en désarroi voire en désillusion chez les souscripteurs, laissant se développer en eux, un sentiment de frustration de s’être fait grugés.
Déphasage entre encaissement et construction
Les blocages auxquels fait face cet important projet sont de divers ordres, mais la mauvaise foi de certains opérateurs véreux y compte pour beaucoup. Certains d’entre eux, n’ont pas hésité, après avoir reçu le foncier de l’Etat, à encaisser plus de premier apport que de maisons à construire. L’un d’entre eux, par exemple, a réalisé moins de moins de 100 maisons, non encore habitables, pour plus de 800 souscription, a-t-on appris lors d’une rencontre entre ces entreprises et le ministre du Logement social et de l’Habitat, Gnamien Konan, le 9 juin 2016 à Abidjan.
Ce déphasage entre nombre de souscriptions et maison réalisées ne se limite pas qu’à Abidjan. Car même à l’intérieur du pays, dans plusieurs villes dont Bondoukou, Yamoussoukro, Bouaké, à part les villas témoins, aucune maison n’a été construite, alors que les opérateurs désignés pour ces localités ont bien encaissé l’argent des souscripteurs. A cela s’ajoute le fait que les terrains reçus sont souvent utilisés à d’autres fins.
Détournement stratégique
En effet, des opérateurs ont tout simplement opté pour un détournement stratégique du projet de sorte à privilégier les logements économiques aux logements sociaux. Si bien que là où des logements sociaux étaient prévus, l’on assiste à la construction de logements économiques qu’on veut vendre à des personnes ayant plus de pouvoir financier et à des prix pouvant aller jusqu’à deux à trois fois plus cher que les prix homologués avec le gouvernement. « C’est devenu une affaire ‘qui a plus d’argent ?’ », se plaint Touré Armande, enseignante qui a souscrit pour un logement social et n’espère plus entré en possession de sa maison.
Aussi certains promoteurs vendent les maisons en construction aux plus offrants, ne se gênant pas pour les arracher aux souscripteurs déjà inscrits chez eux pour payer leurs logements par apport bancaire. D’autres ont plutôt réalisé des projets immobiliers normaux sur les terrains à eux offerts, pour les revendre aux Ivoiriens de la diaspora.
Il y a aussi un autre problème : celui des dossiers n’ayant pas trouvé de site. En effet, ces souscripteurs ont bien payé leur apport initial aux opérateurs qui pourtant n’avaient pas de terrain. Ou encore, des promoteurs ont pris de l’argent avec des souscripteurs pour des villes ou espaces où ils n’ont pas de terrain octroyé. Ainsi, ces dossiers restent stockés et en souffrance dans les services des promoteurs immobiliers.
Aujourd’hui, l’objectif de 60.000 logements n’est pas encore atteint ne serait-ce qu’au quart. Mais du côté des souscripteurs, on se défend en pointant du doigt le gouvernement qui n’aura pas tenu ses engagements en ne réalisant pas les travaux de viabilisation, techniquement appelé Voiries et réseaux divers (VRD).
VRD en question
« Pourquoi livrer des maisons quand on sait que les bénéficiaire n’auront pas d’installations et infrastructures d’assainissement. Il faut des routes, des canaux d’évacuation, l’accès à l’électricité, à l’eau, etc”, affirme-t-on du côté des opérateurs.
Pourtant, le Premier ministre ivoirien Daniel Kablan Duncan avait, en personne, procédé le 25 janvier 2015 à Bingerville dans la banlieue Est d’Abidjan, au lancement des travaux des VRD primaires sur les sites des logements sociaux. Pour la réalisation de ces travaux, l’Etat a même décaissé la somme de 39, 65 milliards de FCFA, avait précisé le Premier ministre lors de cette cérémonie. Et les entreprises NSE, EKDS, Albedo et Franzetti qui ont été retenues pour ces travaux, avaient reçu, ce jour, une enveloppe globale de plus de 1,1 milliard de FCFA pour démarrer le chantier. Mais jusque-là, ces travaux sont encore à la traine.
En attendant, des promoteurs ont décidé prendre elles-mêmes en charge certains travaux de VRD, surtout au niveau de Bingerville. Mais cela ne suffit pas pour créer la sérénité chez les qui sont aux prises entre désarroi et désillusion.
Désarroi des souscripteurs
Pour cet agent municipal résident à Yopougon (Abidjan), « nous sommes très loin des attentes». Il estime que tout n’a pas été dit au départ aux souscripteurs. Ce dernier, qui n’a plus que 10 ans d’activité avant la retraite a perdu tout espoir de se procurer une maison. « Aucune banque ne va accepter de me donner un prêt dont le remboursement va courir sur plus de 10 ans”, désespère-t-il.
Face au très faible voire inexistant engagement des banques dans l’accompagnement des opérateurs dans ce projet des logements sociaux, d’autres souscripteurs se demandent comment faire pour payer le reste de l’argent dû pour acquérir leur maison.
Dans cette situation, les autorités ivoiriennes ne cachent pas elles-mêmes d’être dépassées par les choses. « Le gouvernement a perdu le contrôle du programme de logements sociaux», a admis le ministre Gnamien Konan, héritier malgré lui, d’un dossier déjà très mal ficelé par ses prédécesseurs. Ainsi, pour relancer la machine et redonner espoir aux souscripteurs, le gouvernement a décidé de « reprendre les choses en main ».
Stratégie de relance du gouvernement, rachat à 100% des logements sociaux
Pour ce faire, le ministre du Logement a annoncé que le gouvernement ivoirien va racheter tous les logement sociaux déjà construits et livrables. Ce, à travers le Fonds solidarité habitat. Un choix stratégique selon M. Gnamien pour privilégier les populations les plus démunis. Mais comment cela va-t-il se faire ?
Selon Gnamien Konan, l’idée est d’abord de racheter tous les logements sociaux, et de les revendre sans frais supplémentaire aux souscripteurs qui pourront bénéficier de facilités de remboursement à terme. Mais au cas où des promoteurs seraient intéressés à vendre également des logements économiques à l’Etat dans le cadre de cette initiative, ils devront faire une offre globale qui comprend au moins 65% de logements sociaux et 35% de logements économiques.
Là encore, on se demande bien si l’Etat dispose de ressources suffisantes pour tenir ce pari. En attendant, tous les regards des souscripteurs restent tournés vers le président Alassane Ouattara
avec ladiplomatiquedabidjan