Si des chiffres montrent bien une propension toute française à recourir à ce mode de contestation, il n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît de parler de « culture de la grève » en France.
Sujet de moquerie récurrent de la part de son voisin britannique notamment, la France passe pour un pays de grévistes. Les chiffres, mis en lumière par l’agence Statista , ainsi que l’actualité , ont d’ailleurs tendance à lui donner raison. La France est effectivement championne quand il s’agit de faire la grève, comme le montre le graphique ci-dessus, fondé sur les données de Wirtschafts-und Sozialwissenschaftliche Institut (WSI) de la Fondation Hans-Böckler, basée à Düsseldorf. Sur la période allant de 2005 à 2014, elle a perdu 132 jours de travail pour fait de grève pour chaque tranche de 1.000 salariés.
Dans cette course, l’Hexagone est talonné par le Danemark, qui a perdu 124 jours de travail. Mais nos partenaires européens historiques sont loin derrière. Certes, la Belgique atteint le score honorable de 84 jours, mais le Royaume-Uni et l’Allemagne tombent respectivement à 23 jours et 15 jours.
Pour autant, peut-on réellement parler de culture de la grève en France ? Rien n’est moins sûr selon Lilian Mathieu, enseignant chercheur en sociologie à l’université de Lyon 2, qui pointe une diminution du recours à la grève en France. « Le nombre de grèves a beaucoup baissé depuis les années 1970. C’est un moyen d’action coûteux en argent ainsi qu’en opportunité de carrière, les pouvoirs publics et le patronat ont tendance à sanctionner les grévistes, ou du moins ceux qui appellent à la grève. »
Selon lui, cette baisse du recours à la grève est aussi due à la mutation du paysage de l’entreprise en France. « Les PME ont pris le dessus sur les entreprises employant plusieurs dizaines de milliers de salariés. Or, il est plus difficile de faire grève dans ces sociétés plus réduites où la représentativité syndicale, et donc la protection des grévistes, est plus difficile à mettre en place. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le taux de syndicalisme en France est beaucoup plus bas qu’en Belgique ou en Allemagne. »
L’outil principal de contestation
Geoffrey Pleyers, chercheur à l’université de Louvain, en Belgique, abonde dans le sens d’une France qui ne serait pas « gréviste par nature ». « Les grèves actuelles, que l’on peut observer ailleurs en Europe, comme en Belgique, sont aussi le symbole des fortes transformations que subit le continent, notamment dans la remise en question de son modèle social. Pays attaché à un Etat social fort, c’est particulièrement le cas dans une France qui cherche à préserver un modèle ayant par ailleurs prouvé son efficacité en résistant mieux que d’autres à la crise de 2008. »
Mais si la grève est autant utilisée en France, c’est parce que l’obtention de son droit, en 1884, est le résultat d’un accord entre les pouvoirs publics et le patronat d’un côté, et les syndicats de l’autre. « Le patronat et les pouvoirs publics ont accordé le droit de grève avec pour contrepartie l’idée que cela devienne l’outil principal de contestation au détriment d’autres, reprend Lilian Mathieu. A la différence de l’Allemagne par exemple, où le dialogue social est beaucoup plus institutionnalisé. »
Efficace dans la défense de droits déjà acquis
Mais cet outil est-il efficace en termes de rapport de force et de victoires sociales ? Les Codes du travail allemand et britannique octroient une protection, certes moins importante que celle accordée par le Code français, mais tout de même raisonnable sans que les salariés de ces pays aient besoin d’avoir recours à la grève outre mesure.
« En termes de rapport de force, elle peut être déterminante, comme l’ont montré les mobilisations de 1995 contre la réforme de la Sécurité sociale ou encore celle de 2006 contre le CPE », défend Geoffrey Pleyers. « Mais il s’agit surtout d’un outil de défense des droits déjà acquis plutôt qu’un moyen pour en obtenir de nouveaux, tempère de son côté Lilian Mathieu. Les victoires sociales, par exemple celles du Front populaire, sont le résultat d’un vote. »
Et de conclure : « Aujourd’hui, comme les salariés ont tendance a poser des RTT pour participer aux journées de mobilisations plutôt qu’aux grèves, ce sont les manifestations qui sont devenues le marqueur de la protestation, encouragé par les syndicats. »
Avec Lesecho