L’une des causes du déficit de production agricole en Afrique subsaharienne est le faible accès aux engrais. Mais attention, tous les engrais ne sont pas les bienvenus.
Produire plus et mieux est à l’ordre du jour partout à travers le monde. Mais en Afrique, la tâche est d’autant plus ardue que la productivité agricole y est plus faible qu’ailleurs. L’accessibilité aux engrais pour les petits agriculteurs revêt donc une importance capitale.
Jusqu’à une période récente, l’Afrique était surtout parvenue à accroître sa production alimentaire grâce à l’extension des superficies cultivées. Toutefois, la pression démographique, la concurrence accrue entre agriculture et élevage et, surtout, la baisse de la fertilité des sols obligent aujourd’hui les pays africains à investir massivement dans les engrais. Mais quels engrais utiliser? Minéraux, organiques, organo-minéraux? Les avis peuvent diverger. Mais chacun s’accorde sur la nécessité de produire plus sur une même surface. Il faut intensifier durablement pour accroître les rendements.
Les statistiques parlent d’elles-mêmes: l’Afrique utilise en moyenne 10 kg/ha d’engrais contre 100 kg au niveau mondial et 200 kg en Asie! Et bien souvent, ils sont destinés aux cultures de rente et/ou commerciales.
Comment expliquer cette faible utilisation d’engrais en Afrique? Les raisons sont multiples et souvent connues: coût élevé (jusqu’à 4 fois plus que dans le reste du monde), infrastructures portuaires, routières et de distribution insuffisantes, difficultés d’accès au financement, etc.
Diminuer le coût des engrais
Les prix des engrais, dictés par le marché international, sont élevés et le resteront. Or, en diminuer le coût est souvent une des conditions pour que les petits producteurs y accèdent. De nombreux pays ont recours aux subventions. Mais la pratique est coûteuse, pesant sur le budget de l’État, et elle est souvent inefficace car les populations ciblées ne perçoivent pas toujours les subventions. Sans parler des cas de détournement ou de fraude.
Ceci dit, des pays comme le Malawi, le Mozambique, le Nigeria ou encore le Rwanda ont mis en place, avec l’International Fertilizer Development Center (IFCD), un programme de coupons d’engrais. Cette “subvention intelligente” consiste à distribuer à des agriculteurs ciblés des coupons à identification unique et sécurisée. Munis de ces derniers, l’agriculteur se rend auprès de distributeurs agréés et ne lui paie que le reliquat. Ce système, plus transparent, basé sur le partenariat public-privé, permet de toucher effectivement les agriculteurs qui en ont besoin et de développer un réseau privé de distribution.
Du “sur mesure”
Une autre façon de diminuer le coût des engrais pour les producteurs est d’améliorer leur efficacité en tenant compte des caractéristiques du sol et des cultures. L’idéal serait d’avoir un engrais spécifique pour chaque champ et chaque produit, ce qui est bien évidemment impossible. Mais on peut s’en rapprocher.
En Éthiopie par exemple, 3500 prélèvements ont été effectués sur l’ensemble du territoire pour dresser une cartographie aussi complète que possible des sols. Il a été relevé les teneurs non seulement en azote, en phosphore et en potassium (NPK) mais aussi en oligo-éléments. Puis, après des essais en champs et l’application de modèles mathématiques, des formulations d’engrais ont été élaborées pour des régions et des cultures données. De quelque 120 formules initiales, on est revenu à une douzaine.
Atteindre les agriculteurs
Encore faut-il rendre accessibles ces engrais et donc mailler le territoire de distributeurs. Dans certains pays, les circuits sont relativement développés. Ainsi, en Ouganda, on dénombre 2000 distributeurs d’intrants. Dans d’autres, de larges zones restent vierges. Au Niger, depuis le début des années 2000, le ministère de l’Agriculture développe des magasins gérés par des organisations de producteurs; il en existe aujourd’hui environ 800. Ces magasins vendent des intrants, proposant de petits conditionnements et les producteurs peuvent aussi y bénéficier de conseils.
Une autre façon d’améliorer la disponibilité des intrants est de lier le petit producteur au marché. En d’autres termes, les fournisseurs d’intrants mettent les producteurs en relation avec les acquéreurs du produit final. C’est ce que fait dans le maïs par exemple, Wienco, première entreprise privée de distribution d’engrais au Ghana, avec l’association de petits agriculteurs Masara N’Arziki. À un bémol près: les producteurs doivent emblaver au moins 5 hectares de maïs pour être membres de l’association, ce qui exclut de facto les petits ou très petits producteurs. On revient en quelque sorte au modèle intégré des filières cotonnières d’Afrique de l’Ouest, si ce n’est que ce sont aujourd’hui des filières privées.
Vers l’intensification écologique
Si certains font la promotion d’une agriculture entièrement biologique la majorité des spécialistes s’accorde sur la difficulté de se passer entièrement d’engrais minéraux. Mais ils ne suffisent pas. Encore faut-il avoir suffisamment de matières organiques dans le sol et de bonnes pratiques culturales.
De nouvelles voies et des solutions alternatives sont développées pour aider l’agriculteur à faire face aux nouveaux défis. Elles s’appellent agroécologie, agroforesterie, permaculture, intégration agriculture-élevage, etc. Elles prônent une intensification écologique où rien ne se perd mais tout se transforme: les déjections animales deviennent du fumier, les déchets divers du compost. De nouvelles pratiques émergent comme le non-labour ou le semis-direct sur couverture végétale permanente, la rotation des cultures notamment avec des légumineuses ou l’introduction d’arbres fertilisants. Et ces engrais organiques, qui participent à une meilleure gestion de la fertilité des sols, sont à la portée des petits producteurs. Une révolution verte “africaine” en gestation qui ne repose pas sur le même modèle que celui pratiqué naguère en Asie ou en Amérique latine.
Anne Guillaume-Gentil
Source : magazine SPORE
Juin-juillet 2015
Leurre d’une unité de production d’engrais
Au Comice d’Ebolowa en 2011, le président de la République promettait aux agriculteurs une unité de production d’engrais. Courant octobre 2011, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) signe avec la société allemande FERROSTAAL un protocole d’accord pour une étude de faisabilité en vue de la construction d’une usine de production d’engrais chimiques. Deux ans après la signature des documents relatifs à la réalisation de l’usine, ça patine sur le terrain. Le projet vise une production annuelle d’environ 600 000 tonnes d’ammoniac et 700 000 tonnes d’urée et paraît coûteux : près de 1250 milliards FCFA. Le choix du site à Limbe, dans la région du Sud-ouest, est controversé. La région est à fort potentiel séismique et volcanique, se dressent des ONG. Autant d’hypothèques qui pèsent sur la fameuse usine…
Avec La voix du paysan