Reprendre le chemin de l’université pour élargir ses compétences ? L’idée convainc les managers chevronnés comme leurs employeurs, de plus en plus nombreux à les accompagner financièrement.
Zine El Abidine El Amrani, directeur chargé des dommages chez Saham Assurance, avait une formation d’ingénieur. Après plus de dix ans d’expérience professionnelle, dont cinq ans dans cette entreprise marocaine, il ressentait le besoin de faire évoluer son poste et a demandé à suivre une nouvelle formation.
Il s’est ainsi lancé en 2012 dans un double MBA (maîtrise en administration des affaires) de l’université Paris-Dauphine, externalisé à l’Institut des hautes études de management (HEM, lire p. 135) de Casablanca. Aujourd’hui manager chez Vivo Energy, le Ghanéen David Davenport a quant à lui obtenu un MBA international à l’Institut supérieur de management (ISM) de Dakar en 2006. Il disposait déjà d’un bachelor en banque et finance.
D’une durée moyenne de un à deux ans, en complément d’un niveau bac + 4, voire plus, le MBA s’adresse principalement à des cadres aguerris. Sur le continent, même s’il se banalise, il reste un précieux sésame pour compléter ses compétences et accéder aux plus hauts postes de direction dans la finance et les services, mais aussi dans la fonction publique, l’armée, la santé et les ONG.
Profil du candidat idéal, financement de la formation, intérêt et gestion des MBA dans les entreprises… Jeune Afrique a fait le tour de la question en interrogeant des DRH, des chasseurs de têtes et des diplômés.
Habituellement, les cadres qui sont appelés à faire un MBA exercent déjà d’importantes responsabilités et ont entre sept et dix ans d’expérience. « Souvent, les entreprises repèrent au travers d’un système d’évaluation interne le potentiel de leurs cadres les plus performants, ceux à faire évoluer ou ceux qui devraient changer de poste », décrit Abdoulaye Binate, directeur des ressources humaines de Banque Atlantique et ancien représentant du cabinet américain de conseil en management Hay Group pour l’Afrique de l’Ouest.
« La tentation est grande de donner des opportunités de progresser à un cadre qui a déjà géré des équipes importantes et de le faire bénéficier d’une véritable formation », poursuit-il.
Des entreprises parfois sponsors
Le coût – élevé – d’un MBA varie en général de 5 000 à plus de 60 000 euros pour une faculté prestigieuse comme Harvard, suivant la notoriété de l’école et sa localisation (sur le continent ou en dehors). Si Zine El Abidine El Amrani a pu faire financer 50 % de sa formation par son entreprise, les modalités diffèrent en fonction des secteurs et des pays.
Au Sénégal, d’après Drissa Ouedraogo, directeur exécutif du MBA de l’ISM, 70 % des entreprises participent à hauteur de 80 % au financement des MBA. Dans des pays comme la Tunisie, la Côte d’Ivoire ou le Mali, ils peuvent être remboursés tout ou partie par l’État, au titre de la formation professionnelle.
Mais il arrive aussi que la charge soit totalement supportée par l’intéressé… Car les entreprises ne sont pas encore toujours enclines à financer ces formations. « Le MBA aspire une grosse part du budget de formation d’une société, qu’elle préfère parfois réserver à d’autres besoins », explique Abdoulaye Binate.
Un moyen d’attirer les talents
« Il s’agit d’abord pour les entreprises d’éviter que les cadres stagnent », rapporte Moez Joudi, directeur général de la société de formation tunisienne Formapro. « Elles forment leurs meilleurs éléments dans l’espoir de les conserver et pour qu’ils se sentent plus investis encore dans la vie de l’entreprise », développe Abdoulaye Binate. « Ces cadres-là sont des atouts pour les sociétés.
Ils vont introduire des outils qu’ils auront obtenus lors de leur formation, ajoute Joël-Eric Missainhoun, directeur exécutif du cabinet de recrutement AfricSearch en Côte d’Ivoire. Cela apporte également un plus à la strate dirigeante, lui permettant d’interagir dans un environnement international avec des standards européens ou asiatiques. » Enfin, si la compagnie renforce ses capacités, c’est aussi un moyen d’attirer à elle d’autres talents venus de l’extérieur.
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Quelle évolution pour quel diplômé?
Pour Zine El Abidine El Amrani, l’expérience a été positive : « Je n’étais pas initié à toutes les facettes du monde de l’entreprise. Mon MBA a élargi et consolidé mes compétences, me permettant d’acquérir une vision transversale dans l’analyse financière et stratégique ainsi que dans le management et de développer un réseau de contacts d’horizons différents, qui sont pour certains devenus des partenaires d’affaires. »
Quant à David Davenport, il admet que le MBA a été un formidable accélérateur de carrière : « Cela m’a ouvert toutes les portes. Sans que je doive nécessairement présenter ma candidature, les entreprises sont venues à moi. Grâce à mon MBA, je suis rentré directement comme cadre confirmé au sein de la distribution africaine de Shell [cédée en février 2011 au négociant Vitol et à la société d’investissement Helios]. J’ai bénéficié ensuite d’une certaine mobilité entre les différentes branches – marine, mines, export. Je suis chargé aujourd’hui de 32 pays. »
Comme l’explique Joël-Eric Missainhoun, « l’obtention d’un MBA peut conforter un dirigeant au sujet d’un cadre, mais cela ne va pas booster de manière automatique sa carrière. Si l’entreprise offre un MBA à son salarié, il n’est pas dit qu’elle lui concède une augmentation.
Et si la rémunération augmente trop, cela peut venir bouleverser la hiérarchie des salaires. » David Davenport voit ses revenus augmenter chaque année grâce à son diplôme. En revanche, pour Zine El Abidine El Amrani, il n’y a pas eu de corrélation entre le MBA et ses augmentations de salaire.
Pour la plupart des DRH interrogés, le MBA est un tremplin vers des responsabilités plus étendues, mais l’expérience acquise sur le terrain et le contact avec les équipes restent des éléments encore plus déterminants. Le diplômé devra faire la preuve de ses nouvelles capacités en matière de leadership, de prise de parole en public et de négociation, et ceci sur le long terme. Pour qu’on lui confie plus de projets, il devra démontrer que l’entreprise a eu raison de miser sur lui.
Dans le viseur des chasseurs de tête
Une fois le diplôme en poche, les dirigeants titulaires d’un MBA deviennent très souvent des cibles privilégiées pour les chasseurs de têtes – les recruteurs restent néanmoins très regardants sur le prestige de l’établissement où le diplôme a été obtenu. « On améliore globalement son employabilité », reconnaît Zine El Abidine El Amrani. Comme c’est toujours la règle quand une entreprise paie le MBA, il est tenu à un « contrat moral », une clause qui l’oblige à rester deux ou trois ans.
David Davenport évoque une clause de non-concurrence liée à des avantages attractifs. Un système de prime a été établi : un treizième mois équivalent à dix mois de salaire. Et pour chaque mois passé, un bonus qui s’ajoute à la retraite complémentaire. Autant d’éléments mis en place par les entreprises pour retenir leurs meilleurs éléments sur un marché où ces derniers restent très disputés.
avec jeuneAfrique